Le monde artistique sénégalais pleure la disparition de Félicité Codjo. L’artiste, récemment exposée à Oh Gallery, a tiré sa révérence ce 9 juin. Installée à Dakar depuis 1987, la Béninoise d’origine fut une des animatrices de l’atelier d’art thérapie de l’hôpital Fann. Elle a exposé ses œuvres aussi bien au Sénégal, In de la Biennale 2002 et 2018, qu’à l’étranger. Le Quotidien publie en hommage, ce texte de la commissaire d’exposition Khady Gadiaga.

Félicité, un nom qui continuera à arpenter inlassablement la frontière entre art de vivre et art visuel pour faire tourner la mécanique des rêves. La nouvelle de sa mort nous laisse groggy. Nous console seulement que son éclipse n’est que physique. Certains êtres ne meurent pas, ils se métamorphosent. Une part d’elle va dans l’invisible. On croit que la mort est une absence, quand elle est une présence discrète.

Sa vie fut un parcours ininterrompu dans les méandres de l’art sous toutes ses formes pour explorer la profondeur de l’âme humaine. Le mouvement, les couleurs et le tempo sont autant de passions qui l’ont guidée depuis toujours. Sa peinture n’a eu de cesse de façonner la nature humaine en quête de dépassement de soi, comme d’autres modèlent la glaise ou cisèlent la pierre. Entre l’art thérapie et sa propre pratique, elle a cherché à transmettre des vérités communément partagées. Félicité a créé de véritables voyages au cœur de la psyché humaine, là où les blessures et les imperfections se rassemblent sous le nom libération. Elle parvient ainsi à brouiller les limites du perceptible. Dans ses espaces hors du temps, le spectateur devient à son tour un élément évanescent qui passe sans laisser de trace… L’artiste peintre lumineuse et organique a été pour nous une passeuse de félicité, grâce à la singularité de sa nature qui transcende ces arts, tout en nous offrant à travers son art un plaisir inégalé pour nos sens.

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Surdouée de la palette, son œuvre mérite assurément d’être étudiée pour sa manière d’exister au monde et pour sa perméabilité à l’inspiration. Sa peinture couvait un inextinguible feu de vie lui permettant de traverser, voire de transmuter, la brûlure des épreuves et les blessures de l’âme. Une invitation à l’harmonie qui convoquait puissance, beauté, mais aussi limites de la résilience sublimée par une extraordinaire capacité à transformer le traumatisme en don. C’est dire que la peinture de Félicité Codjo est vivante, vibrante, elle a une âme et vit ensuite chez les gens.

Elle endosse la responsabilité de ce que l’artiste est et va être, et ce qu’elle met dans son œuvre. Quelle intention, quelle beauté, quelle douceur… et cette connexion à l’invisible dont le lien est l’amour, qui fait que l’œuvre d’art va avoir un «cœur qui bat», qui peut «nourrir et résonner avec le cœur du public». Et lorsque le cœur est touché, l’harmonie peut s’installer et amener à l’amour universel, ce qui «les renvoie à la beauté qui se trouve en eux-mêmes».

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Son œuvre était à la fois parfum et tableau, musique et spectacle… dès que le lien s’établit entre une note universelle et subtile, et notre incarnation humaine, alors peuvent s’ouvrir en nous des capacités qui brisent les limites, nous reconnectant avec l’essentiel. C’est cela la guérison à laquelle Félicité Codjo nous intimait. Celle de transcender le quotidien pour toucher quelque chose de divin.

Tu as juste quitté nos ombres, nos souffrances et nos peines, divine Félicité. Tu as pris de l’avance au pays de la Vie. En souvenir de toi, nous fleurirons nos cœurs, là où tu vis en nous ; là où nous vivons pour toi.
Merci pour tout l’Artiste.
Khady Gadiaga, 
10 juin 2024