Par Serigne Saliou DIAGNE –

«C’est malheureux d’être champion d’Afrique au Sénégal. Etre champion d’Afrique au Sénégal, ce n’est que de nom. Etre champion d’Afrique pour gagner une prime de 50 000 F Cfa de la part du ministère des Sports, et une autre somme de 30 000 F Cfa rajoutée à cette dernière par le président de la Fédération. Mieux vaut aller jouer au football, car Sadio Mané ou Gana n’auraient jamais accepté cette somme. Je vous remets votre prime. Fier d’être champion d’Afrique. Il est temps que cela cesse.» Cette déclaration du sprinter sénégalais Louis François Mendy, après son triomphe au 110 mètres haies lors des Championnats d’Afrique, a sonné comme un rappel violent, à quelques semaines des Jeux Olympiques, du manque de reconnaissance et des conditions difficiles dans lesquelles beaucoup de sportifs sénégalais évoluent. Suite à la disparition de Kène Ndoye, nous publiions, dans ces mêmes colonnes, une chronique pour implorer qu’on «sauve nos idoles du martyre», tellement les conditions de nos athlètes sont tragiques, avec un manque de considération, une absence d’assistance et une détresse indescriptible une fois qu’ils se retirent du jeu.

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C’est encore une fois, la question des primes modiques qui est au centre du débat, avec le cri du cœur de Louis François Mendy. Les épisodes tristes d’athlètes sénégalais s’apitoyant sur leur sort ou s’alarmant de leurs conditions sont tellement nombreux, qu’on finit par bâtir à l’esprit une discrimination de facto, avec un football roi au détriment de toutes les autres disciplines. La talentueuse escrimeuse Binta Diongue aura eu à exposer les difficultés qu’elle rencontrait pour représenter notre pays à l’international et avoir la préparation adéquate dans les différents rendez-vous auxquels elle était conviée, avant de montrer à quel point il est impossible de vivre de son art. La nageuse Jeanne Boutbien, qui fut porte-drapeau de notre pays aux Jo de Tokyo 2020, après des performances majeures aux Championnats d’Afrique, contera les mêmes mots pour la Nation. Le sort est également pareil pour la lutteuse Isabelle Sambou, qui aura été la plus proche ces dernières années à rapprocher notre pays du graal d’une médaille olympique. Dans tous les arts martiaux, il y a énormément de mal pour les athlètes et les fédéraux à réunir les ressources nécessaires pour participer à tous les circuits et surtout performer avec les meilleurs. Le Comité national olympique et sportif sénégalais (Cnoss) a entamé, dans l’optique de l’organisation des Joj Dakar 2026, de prôner une dynamique de partenariat pour permettre aux athlètes sénégalais d’avoir accès à des stages et immersions, mais le traitement-même des athlètes et l’épanouissement socio-économique de ceux-ci restent tout un défi qu’il faudra un jour adresser.

Tirelire modique ou maudite ?
Pour la question des primes aux athlètes, il faut tout d’abord parler de la nature caduque des textes qui les encadrent. Les primes journalières aux sportifs sont encadrées par un arrêté du ministère des Sports qui date de vingt ans. Le régime des récompenses au sportif de haut niveau est encadré pour sa part par un arrêté signé en 2003 par Youssou Ndiaye, alors ministre des Sports de l’époque. Cet arrêté fixait une prime de 700 000 francs pour tout titre de champion d’Afrique, avec souvent un retard dans le paiement de ces primes. On se rappelle encore qu’en 2021, il avait fallu un coup de force de l’ancien ministre Matar Ba pour qu’une injustice d’une quinzaine d’années soit corrigée avec le règlement de primes impayées dans 25 disciplines et concernant plus de 1000 athlètes. Quand on rajoute aux primes modiques, l’impossibilité de les payer à temps et le traitement de faveur qu’on indexe à tort pour nos sélections de football avec des primes spéciales de la présidence de la République et un régime de primes à la victoire différents, la frustration des athlètes peut se comprendre.

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D’aucuns diront que les différentes disciplines sportives, pour ce qu’elles génèrent en termes de revenus, ne se valent pas toutes de la même manière en termes de gratification. Soit ! Rien qu’en prenant l’exemple de l’Afrobasket où l’équipe championne ne bénéficie pas de prize-money de la Fiba et finance l’intégralité de sa participation, on se rend compte que beaucoup de disciplines sur notre continent et dans lesquelles nos athlètes sont engagés dans l’espoir d’atteindre les rendez-vous mondiaux, ne nourrissent pas leurs hommes. Cela implique donc une certaine vision et un volontarisme de la part des pouvoirs publics pour accompagner toute personne défendant les couleurs du Sénégal dans n’importe quelle discipline.

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Le vice-président de la Fédération sénégalaise d’athlétisme (Fsa), El Hadj Bara Thiam, est monté au créneau pour apporter son soutien à Louis François Mendy, nouveau champion d’Afrique du 110 mètres haies. Il défend que son protégé est dans son droit de s’insurger contre les traitements inégaux réservés aux sportifs sénégalais quand il s’agit de primes, clamant que toutes les disciplines se valent. Son plaidoyer doit être entendu, d’autant plus que notre pays aura au moins une dizaine de représentants aux Jeux Olympiques de Paris 2024 dans les disciplines individuelles, avec des talents prometteurs pouvant aller loin dans leurs compétitions respectives.

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Avec toutes les tribulations qui se dressent sur le parcours des athlètes sénégalais, on peut aisément comprendre le changement de nationalité sportive de certains talents, une fois qu’ils ont pu prouver sur la scène internationale. Plus d’opportunités s’offrent à eux et une reconnaissance que leur pays est incapable de leur accorder, ils la trouvent ailleurs. Mourir pour l’empire en chassant le ciel bleu éternel en vaut la peine, si la horde de Gengis Khan porte triomphalement les dépouilles auprès des nôtres ! L’esprit de ce chant mongol est valable pour toute personne qui défend sa Patrie et porte ses couleurs, du soldat au sportif. On a beau taxer les gens de mercenaires optant pour un autre pays sportif, on ne changera pas cette donne tant que nos sportifs ne seront pas valorisés dans leurs disciplines.

Suivre l’exemple ivoirien
Aux 23èmes Championnats d’Afrique d’athlétisme qui se sont tenus au Cameroun, le Sénégal a brillé avec trois médailles d’or. Outre la première médaille d’or au 110 mètres haies du Sénégal obtenue par Louis François Mendy, Saly Sarr excellera au triple saut et Cheikh Tidiane Diouf explosera le 400 mètres pour empocher deux autres breloques. Une telle performance, dans la foulée des Jeux olympiques d’été de Paris 2024, présage une forme du moment qui pourrait aider notre pays a bien réussir à cette rencontre majeure du sport mondial. Il y a des rendez-vous qui ne se ratent pas et pour lesquels les nations misent beaucoup afin de s’offrir un certain prestige et de faire agir un certain soft power par le sport.

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Un pays comme la Côte d’Ivoire ne lésine pas sur les moyens dans sa politique de faire du sport une rampe pour davantage exposer le pays à l’international, tel que le font les pays du Golfe. La Coupe d’Afrique des nations 2023 aura été un événement majeur pour fédérer autour des couleurs nationales et vendre un esprit ivoirien à la conquête du sport, les prestations des athlètes ivoiriens aux prochains Jeux Olympiques de Paris seront dans un continuum pour pousser en avant cette dynamique. Cela, d’autant plus que dans des disciplines comme le sprint, des championnes et champions de ce pays comme Marie-Josée Ta Lou ou Murielle Ahouré rivalisent avec les meilleures athlètes américaines et jamaïcaines aux premières places. Une somme de 450 millions F Cfa a été dégagée par l’Etat ivoirien pour appuyer les 13 athlètes en lice pour Paris 2024 et maximiser leurs chances de décrocher des médailles. Combien Dakar est-elle prête à mettre dans les poches de la dizaine d’athlètes qui iront défendre nos couleurs ? Nous clamons bien être plus patriotes que tous, doublés d’une fierté inébranlable. A nos autorités d’être à la hauteur du jeu.
saliou.diagne@lequotidien.sn