Sa promotion ravit. Elle récompense une vie encore jeune mais riche d’expériences. Bigué Bob, pourtant, dit de sa promotion qu’elle est une consécration collective.Par Moussa Seck –

C’était bien avant 1999. Des dimanches ! Les dimanches d’une enfance ensevelie par le cours du temps. Mais le cœur ! Le cœur, lui, n’oublie pas ces dimanches au cours desquels papa s’amusait avec ses enfants. Un papa sérère, ancré alors dans le folklore du terroir. Chaîne à musique, dimanche, au siècle dernier, une maison, une joie, une fille, grande devenue, et qui dépose les fagots de sa mémoire. «D’ailleurs»… Petit blanc, une seconde suspendue dans l’éternité de la réminiscence. Une face, face à un ciel de juillet qui menace d’arroser Cité Keur Gorgui. Juillet, aujourd’hui. Vendredi, aujourd’hui.

Sorano – Pièce théâtrale «Aguène et Diambone» : Une ode à l’unité nationale

Aujourd’hui, 2024. Les nuages flottant dans le ciel des souvenirs sont percés par un rapide éclair. Ça xalam dans une voix que beaucoup de proches déclaraient faite pour la radio. Et, il plut dans la mémoire de Bigué Bob. «D’ailleurs, disait-elle, la première fois que je suis allée voir Xalam, et qu’ils ont mis un medley, des souvenirs de mon enfance me sont revenus, j’avais écouté Xalam sans savoir que c’était Xalam.» Travail de papa ! Les dimanches du père avaient secrètement ensemencé dans l’esprit de la fille des graines de culture. Folklore sérère, d’autres musiques et 99 vient interrompre cette souterraine transmission du goût de la culture du père à la fille. Mais le fils, grand-frère de cette dernière, prit le relais. Le big bro toussa et la sister attrapa le rhume du hip-hop. «Je pense aussi que c’était une voie tracée depuis toute petite. Je le pense…» Ainsi en est-il de l’histoire entre Bigué Bob et la culture.

Pépite des pairs
C’était en 2007. Une fille vient tendre à sa maman une fiche. Celle d’une école, pour inscription, pour formation. La fille s’expliquera, la maman ne lui demandera rien. Rien, sur la formation que son enfant envisage de suivre. Rien parce que d’évidence, elle sait que sa fille s’inscrira en études de journalisme. C’est alors l’Iseg qui recevra celle qui aujourd’hui reçoit tous les éloges. Hier, la confiance de maman n’avait pas discuté le choix d’études de sa fille. Aujourd’hui, nul ne discute la confiance que le quotidien Enquête place en la personne de son Bijou. Une pépite de Directrice de publication. Pépite, pépite, pépite. La journaliste spécialisée en culture, aujourd’hui promue directrice de ce journal dont elle a accompagné les débuts en 2011, est triplement une pépite. Parole des pairs ! Une pépite de journaliste, elle est : «Bigué Bob se détermine par son noble sens professionnel, son talent rédactionnel et son chaleureux humanisme.

Abdoul Aziz Dramé Faye, écrivain-poète : «Le jardin de l’espoir est un monde de possibilités et d’espérance»

Ces qualités se sont particulièrement illustrées dans le traitement de l’actualité et des faits culturels. Un domaine dans lequel elle brille depuis plus d’une décennie, au Sénégal et hors du pays, quand elle était encore reporter à Walf Grand’Place», dit d’elle Mamadou Oumar Kamara, du Soleil. Une pépite, d’une particulière brillance, dans le paysage médiatique sénégalais, elle est : «Autant pour son domaine d’expertise que pour son genre, l’arrivée de Bigué Bob à la tête du quotidien Enquête est plus que symbolique. Si des femmes ont déjà occupé des postes de direction dans les médias, notamment Aminatou Mohamed Diop, une des premières rédactrices en chef, Safy Ly Sow à la tête de Sud Quotidien ou Jacqueline Fatima Bocoum au Groupe 7, il est rare de les voir portées à la tête des rédactions proprement dites», dit d’elle Le Quotidien. Une pépite de collègue au quotidien, elle est : «elle a toujours de ces idées qui permettent d’affiner un peu mieux le texte, parfois même de nous amener à changer d’orientation», dit d’elle le rédacteur en chef de son journal. Mor Amar qui rajoute qu’il ne traite «pas d’un sujet en culture sans en discuter au préalable avec elle. C’est vraiment son dada. L’une des meilleures journalistes culturelles que je connaisse. Tellement agréable de l’écouter parler de culture». Et qui regrette, en raillant bien sûr : «Malheureusement à cause de ses contraintes liées aux postes de responsabilité qu’elle occupe, on n’a plus la possibilité de la lire comme auparavant. Elle nous a un peu sevrés.» Une collègue a-t-on dit ! Bigué Bob est plus que cela pour Mor Amar. «Elle est une confidente, une sœur avec qui je parle de tout parce que c’est quelqu’un en qui on peut avoir confiance. C’est une personne hyper généreuse et attentionnée qui sait prendre soin de ses amis.» Ces derniers, alors, lui rendent attention et générosité.

Nomination : Bigué Bob à la tête du journal «Enquête»

«Quand j’ai vu toutes les effusions de joie, l’engouement des autres, que les femmes journalistes me disent que c’est une belle consécration pour nous toutes», la concernée dira, «je me dis que je ne me dois pas de décevoir ces femmes-là. Parce que si aujourd’hui, moi, je n’y arrive pas ou j’y arrive mal, on dira que c’est pour ça qu’on n’a jamais fait confiance à des femmes».

A onzu billahi minal philosophie
C’est en toute confiance que la grande royale sillonne le bureau de son journal. C’est, aussi, en toute complicité qu’elle chuchote avec ses collègues. De part et d’autre, ce bureau, traversé de rayons lumineux. Il fallait l’y voir, elle aussi, baigner dans cette lumière, baignant les autres dans la lumière de sa joie de vivre. Une robe, de tissu léger, de couture sobre. Sans doute l’actuelle présidente de l’Association des critiques de cinéma du Sénégal (Ascc) ne préfère pas les lourds habits qui entravent les mouvements. Aussi n’a-t-elle jamais aimé, même responsable au journal, rester cloitrée dans les bureaux. Ses habitudes de reporter à Walf ne l’ont jamais quittée. Dakar, ses rues transpirant le grafiti. Le Sénégal, sa culture respirant dans les détails de la vie quotidienne. Toute cette manne ambiante de culture qu’il faut recenser, traiter, cartographier l’appelait toujours vers le dehors. Et peut-être, parce qu’il y avait un désir inconscient de ressusciter dans le journalisme de vieilles amours de géographie. Ce fut l’orientation post-Bac à la Fac. Géographie oui mais non : «trop rigide», dit-elle. Et la géo n’était d’ailleurs qu’un amour mineur. Le majeur, la sociologie. L’autre majeur, la philosophie. Mais, que n’a-t-on dit sur les philosophes, et la maman, que n’aura-t-elle entendu dire de ces fous ? De ces fous, la mère ne voulait pas qu’on compte sa fille. Adieu Platon, elle ne sera nietzschéenne. Heureusement, dans la vie pratique, Hegel l’attendait. Le philosophe allemand attendait que celle qui a tôt commencé à travailler (à l’âge de 20 ans) réalise un parcours exemplaire, arrive à ce point de sa vie pour lui servir sa citation. «Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion», souffle le maitre.

Amadou Moustapha Dieng rend hommage à Serigne Saliou Mbacké : «Ce livre est un témoignage de mon parcours spirituel»

Stagiaire, prestataire, reporter, cheffe de desk, rédactrice en chef, coordinatrice de la rédaction, Directrice de publication, dans ce monde, avant 40 ans, c’est grand. Et celle qui se rêvait disciple des «fous» de souffler pour sa part : «J’ai toujours travaillé en n’ayant pas, en me disant que forcément demain, je serai à cette station, parce que la passion était là et que je trouvais mon bonheur, et que j’ai vraiment essayé, où que je puisse être, de bien faire, quelle que soit la station où j’ai pu être.» Quelque chose de grand ?

Mahmoudou Wane l’avait prédit. Quelque chose de plus grand ?
Marie-Louise Ndiaye le prévoit. Mais Bigué Bob est folle, même sans la philosophie. C’est Marie-Louise qui a dit. C’est cette consœur, mais sœur, qui nous dira aussi qu’à leurs débuts, la folle intriguait toujours par sa capacité à improviser des prises de parole lors des conférences de presse. La grâce de dire ! Cette facilité à trouver le mot juste, du contenu pour ses idées, ne lui vient-elle pas de son passé de Mc lors des évènements scolaires ? Rappelons aussi que la radio a été sa première expérience journalistique ! Sa grâce de dire ne serait-elle aussi une résultante de sa précoce fréquentation des livres, et de telle sorte que trouver le mot, et le mot juste, n’est pas chez elle chose difficile. A l’oral…

Boussole
A l’écrit, il lui a été donné la chance de rencontrer un autre grand maître.
Jean-Meïssa Diop, pour aiguiser sa plume. Feu Jean-Meïssa Diop, pour l’obsession du mot juste. Ce dernier ne badinait pas avec la jeune journaliste. «Diva», «Star», chez lui, ne s’employaient pas légèrement. Et voilà que M. Diop, de là-haut, témoigne de l’accomplissement de sa protégée d’avant. Cette pépite refuse cependant la starisation. Elle semble se méfier de trop d’honneurs ! Ce ne sont pas des honneurs de yaama neex, lui fera comprendre Gaston Coly, directeur d’Enquête. Une boussole, cependant, Bigué Bob accepte d’être pour la nouvelle génération de femmes journalistes. Son parcours est assez riche pour que sa personne constitue une boussole, en effet. Elle coche la case de la concience professionnelle : parole des pairs. Elle coche la case de la rigueur : témoignage des pairs. Elle coche la case de la passion du métier : répétition des pairs. Elle coche la case du sacrifice pour l’information : anecdote ! «En 2011, avec Abdoulaye Wade, il y a eu des tensions telles qu’il nous est arrivé de rester à la Bag (Brigarde des affaires générales) jusqu’à 4 heures parce qu’on avait retenu des gens de Y’en a marre, de l’opposition, et qu’on ne pouvait pas rentrer sans savoir si, eux, ils vont rentrer ou s’ils allaient être retenus.» Peu importe ce qu’allait être la suite, ça deviendrait de l’information. Il ne fallait passer à côté. Quatre heures ce jour, une heure un autre jour, des contraintes de temps, surtout lorsqu’on a des enfants à la maison. Surtout lorsque la société regarde d’un certain œil le fait de rentrer tard. Surtout lorsqu’on ne se réveille pas à onze heures par fainéantise, mais parce qu’on a passé la nuit à prêter attention aux virgules, à la syntaxe de plus d’un texte.

Mais, il fallait bien quelqu’un pour effectuer le voyage au bout de la nuit. Une boussole, précisément, pour dire par l’action à Diéry Diagne, Arame Ndiaye, Absa Hann (Bigué Bob cite ces petites sœurs) que c’est possible. Que c’est possible en presse écrite pour les femmes (souvenirs : on n’en trouvait quasiment pas dans les rédactions), que c’est possible pour les journalistes attirés par la culture (les «ñàkk njariñ» de la rédaction.

Elle reprend ironiquement le sobriquet dépréciatif). Et parce qu’elle est généreuse et refuse la starisation, la pépite qui ne veut pas briller seule, renvoie le mérite à tous, à toutes. Sa promotion est une «consécration collective». Possible encore une fois, pour la culture et ses journalistes, même si l’état des choses semble attirer plus la lumière sur ceux d’autres desks. Même si ces desks semblent plus privilégiés. Même si un dossier fouillé de culture semble moins valoir qu’un autre de moindre autorité dans un desk autre.