Faire baisser les tarifs des services de télécommunications, c’est faisable mais…

Par suite de la brillante intervention de Alioune Sall, ministre en charge des Télécommunications entre autres, j’ai pris la liberté de produire cette contribution pour développer des aspects essentiels abordés, mais que par courtoisie, le ministre, lui-même étant du secteur, ne voulait pas donner l’impression de «favoriser».
Les télécommunications sont l’infrastructure de base de toute politique de transformation numérique, et de ce fait, doivent répondre au moins aux deux critères suivants : la disponibilité au sens de la couverture territoriale et l’accessibilité financière à toutes les couches de la population. Ces critères sont, à première vue, antinomiques, car les opérateurs de réseaux de télécommunications augmentent leurs charges d’amortissement et d’exploitation en étendant leurs réseaux dans les zones économiquement défavorisées desquelles ils attendent peu de gains financiers ; ils sont donc tenus d’appliquer des moyennes pondérées à leurs tarifs pour traiter tous les consommateurs de la même façon.
Baisser les tarifs des services de télécommunications ne peut s’obtenir par un marchandage avec les opérateurs ; ces derniers y adhéreront uniquement lorsque démonstration leur aura été faite qu’ils ne vendent pas à perte à leurs clients sur les services de détail et ne subventionnent pas leurs concurrents sur les services de gros. Cela justifie le temps nécessaire évoqué par Alioune Sall. Il faut ajouter à cela qu’aucun opérateur ne doit facturer à ses clients le coût des services de gros (consommés par les clients d’un autre opérateur, qu’il soit national ou international).
Baisser les charges globales de couverture des zones défavorisées
L’important n’est pas que chaque opérateur soit physiquement présent partout, mais que chaque consommateur puisse communiquer où qu’il soit si la zone est couverte par un des opérateurs. La notion de partage d’infrastructures est bien galvaudée et ne répond pas à ce besoin : ce sont désormais des «activités» qu’il faut que l’opérateur servant doit vendre à l’opérateur servi soit via le mécanisme d’itinérance nationale, soit par celui de Mvno (opérateur mobile virtuel).
Auditer le coût de chaque service relevant de chaque application offerte sur un réseau
C’est pour l’opérateur le seul moyen d’être sûr que les tarifs qu’il offre à ses clients ou à ses concurrents tiennent compte de tous ses coûts. Sans cela, le mécanisme de couverture territoriale visé ci-dessus serait inapplicable. Au surplus, les forfaits et autres «Passes Internet» vendus par les opérateurs ne sont que des crédits appelés à être débités. Si l’Etat met la pression sur les opérateurs pour en baisser le prix de 15% par exemple, ces derniers peuvent l’accepter en grande pompe mais, au moment de débiter ces crédits, augmenter le rythme de consommation de 15%, et l’Etat n’y verrait que du feu sans ces audits de coût et la possibilité pour le consommateur d’accéder au détail de ses consommations.
Récupération des ressources du trafic dit «entrant»
En réalité, il s’agit du solde de la balance des comptes du trafic international. D’aucuns pensent que cela n’est plus possible à cause de la «neutralité de l’Internet», ou que ce solde serait désormais en défaveur du Sénégal. Ce n’est pas le cas. Mais, en plus de l’audit des coûts visé ci-dessus, il y a du travail aussi bien à l’Union internationale des télécommunications (Uit-T/Com 3 et Cmti) qu’entre les opérateurs du Sénégal et les correspondants internationaux. Aujourd’hui, les consommateurs du Sénégal supportent indument, sur les communications internationales reçues, quelque 300 à 800 milliards de F Cfa par an1 devant provenir de la balance internationale des comptes de trafic, mais cachés derrière les applications Ip.
Il y a d’autres sources de réduction de coûts, mais relevant des stratégies de l’Etat qu’il ne serait pas adroit de détailler ici.
Sommes-nous capables d’effectuer ce travail ?
Non seulement le Sénégal dispose de l’expertise requise, chez les opérateurs, chez le régulateur Artp, au ministère en charge et dans les cabinets de consultance, mais dispose aussi des outils logiciels (rassemblés dans un système expert dédié au calcul du coût de tout service relevant de toute application offerte sur un réseau de télécommunications, du plus simple au plus complexe).
Que faudrait-il faire dans l’immédiat ?
Pour des raisons de transparence et conformément aux engagements de bonne gouvernance des nouvelles autorités sénégalaises, l’Artp, qui est au cœur de ce processus, pourrait, dans un premier temps, lancer un Appel international à manifestation d’intérêt (Aimi) pour un audit du coût de tout service relevant de toute application offerte sur chacun des sous-réseaux de télécommunications des opérateurs concessionnaires (Sonatel, Free, Expresso). Si cela n’est pas interdit par la loi, la première phase du dépouillement pourrait être une confrontation des modèles tarifaires, chaque candidat disposant de 60 mn pour présenter physiquement son outil en situation de calcul et être soumis aux demandes de clarification aussi bien des représentants de l’Etat que des autres candidats.
Papa G. TOURE
Expert Sénior en calcul des coûts
1 Chiffres en première analyse, fondés sur le fait que la diaspora sénégalaise a doublé comme population du pays depuis l’an 2000 et que la télédensité dans les zones d’immigration y est passée à 16%, tenant compte aussi du fait que les calculs relatifs au trafic international entrant montreront une baisse de coût en raison de la densification du réseau depuis 2000. Rappelons qu’en 2000, le solde de la balance des comptes était d’environ 30 milliards de F Cfa en faveur du Sénégal.