Le cinéma Pathé Dakar a accueilli, mardi dernier, la projection en avant-première du docufiction «1776, Thierno Souleymane Baal et la Révolution du Fouta». Ce film, réalisé par Moe Sow, est un hommage, mais aussi un focus. Focus sur le père de la Révolution torodo, Thierno Souleymane Baal. A travers des séquences narratives, des témoignages et de la reconstitution pour mettre en perspective la Révolution du Fouta de 1776 menée par Thierno Souleymane Baal et ses compagnons, le réalisateur a voulu réhabiliter un pan du patrimoine immatériel sénégalais à travers celui que l’on surnomme «le briseur du mouddo horma». Par Ousmane SOW –

Le film s’ouvre par : «il était une fois dans le trouble des empires» et se referme par les recommandations de Thierno Souleymane Baal. Ce dernier, à travers son combat contre l’injustice, l’enrichissement illicite, la dévolution monarchique du pouvoir, l’impunité et la corruption au 18ème siècle, a réussi à instaurer une société basée sur des valeurs de transparence, de compétence et d’efficacité. Il a été aussi celui qui, grâce à son courage, a mis fin au règne des Déniyankés et tiré le Fouta du joug des Berbères. Pousser les jeunes à s’inspirer de cet érudit qui a mené la plus grande Révolution du Fouta de 1776, connue sous le nom de Révolution torodo, qui a généré un régime politique, l’Alma­miyya, qui a vu se succéder à la tête du Fouta 35 Almamys sur une durée de 114 années avant l’occupation coloniale française, était l’objectif du réalisateur. D’une durée de 55 minutes, ce film intitulé 1776, Thierno Souleymane Baal et la Révolution du Fouta, projeté devant un parterre de personnalités parmi lesquelles le Premier ministre Ousmane Sonko, le Haut représentant du président de la République Aminata Touré, la ministre de la Jeunesse, des sports et de la culture Khady Diène Gaye, et en présence de l’équipe du film, a été financé par le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica), avec la contribution de l’Association Ceerno Siley­maan Baal (Acsb).

Tourné entre le Sénégal et la Mauritanie, c’est également un film hommage. Journaliste et productrice exécutive du film, Marième Selly Kane a souligné la complexité du projet entamé depuis plus de 2 ans. «Faire un film, c’est très compliqué ici au Sénégal. Nous avons voulu mettre la barre assez haut avec ce format docufiction qui mêle narration, témoignage et reconstitution pour mettre en perspective la Révolution du Fouta de 1776 menée par Thierno Souleymane Baal», déclare Marième Selly Kane, tout en rappelant qu’en 2021, l’Association Ceerno Sileymaan Baal avait organisé un colloque international à l’université Cheikh Anta Diop pour rendre hommage à ce héros national méconnu des Sénégalais. «Nous ne pouvions pas attendre la sortie des actes du colloque parce que ça pouvait prendre 7 ans ou plus. Alors, il était plus adéquat de faire un document audiovisuel pour faire connaître ce héros national parce que de toute façon, il est question aujourd’hui de réhabiliter notre patrimoine immatériel et de faire en sorte que notre jeunesse, dans le cadre de la Renaissance africaine, ait des modèles», fait-elle savoir. Cependant, pour incarner ce personnage historique, le réalisateur a choisi Oris Erhuero, un acteur an­glais, doublé pour l’occasion par le comédien Pape Faye. Malgré des choix artistiques controversés, notamment une désynchronisation notable des voix, le film a été salué pour son fond.

Un pied de nez à Hegel
Dia Ibrahim Samba Mody, doctorant en philosophie, a exprimé son admiration. «Le film est intéressant d’un point de vue purement cinématographique, quand bien même il y a beaucoup de manquements sur le plan technique. Ils ont doublé, ils ont essayé de faire des choses en 3D et ce n’était pas trop ça. Mais, c’est à saluer. Le fond est là, d’autant plus que c’est une personnalité historique qui peut beaucoup inspirer les jeunes Sénégalais au lieu de voir un leader occidental. Thierno Souleymane Baal, c’est quelqu’un qui m’inspire beaucoup», a-t-il expliqué. Pour Dia Ibrahim Samba Mody, «il est temps que le cinéma sénégalais commence à s’intéresser à ces héros, parce que le cinéma est le terrain où se déroule une guerre culturelle. A travers le film, on peut imposer comment les gens doivent nous voir, doivent parler de nous», fait-t-il savoir à la fin de la projection, soulignant également que le film vient contredire l’idée hégélienne selon laquelle l’Afrique n’aurait pas d’histoire. C’est un philosophe qui parle. «Ce film est un pied de nez à Hegel qui disait que les Africains ne sont pas assez entrés dans l’histoire. Lorsqu’il dit par exemple, les Africains n’ont pas d’Etat, ne connaissent pas la spiritualité, ne connaissent pas la politique, je crois que des travaux comme ça vont effectivement démentir des préjugés de ce genre qui ont été véhiculés», dit-il, rappelant que Thierno Souley­mane Baal a eu à fusionner islam et gestion politique. «C’est extraordinaire. Il était très en avance sur son temps, bien au-delà d’aujourd’hui. Je crois qu’il y a beaucoup de choses dont on peut s’inspirer à travers sa vie et ses actions», a-t-il conclu. L’entrepreneur culturel et acteur Stéphane Toupane, qui a interprété le rôle de Abdoul Kader Kane, le premier Almamy du Fouta, a partagé son émotion. «Ce rôle m’a permis de découvrir qui était Thierno Souleymane Baal. Et ce sont des documentaires comme ça qu’on doit pouvoir financer aujourd’hui pour que les jeunes puissent savoir qui est qui, surtout concernant les traditions sénégalaises du Fouta et de l’Afrique tout entière», témoigne-t-il pour conclure.