Alors que ses principaux rivaux, Chine et Russie en tête s’organisent notamment à travers le renforcement des Brics, la stratégie occidentale en Afrique pose question.

Pris séparément, les Etats-Unis et l’Europe ont vu leur influence respective reculer sur le continent.

Une influence occidentale sous pression
Avant le sommet Etats-Unis-Afrique de décembre 2022, les Etats-Unis avaient semblé privilégier une approche isolationniste. Donald Trump n’est jamais venu sur le continent africain. Quelques phrases malheureuses et de sérieuses entraves à l’accès aux visas américains pour les citoyens de nombreux pays africains avaient éclipsé des initiatives positivement perçues comme Prosper Africa. Depuis, la présidence Biden a tenté de regagner le terrain perdu avec une multiplication des visites de haut niveau sur le continent. Digital, espace, santé, financement des infrastructures, Lobito corridor : la politique africaine des Etats-Unis s’est voulue volontariste même, si elle laisse certains observateurs sur leur faim au regard des gigantesques besoins en développement des pays africains.

Quant à l’Union européenne, c’est sa politique migratoire sans cesse relancée sous la pression de l’extrême-droite, désormais troisième force politique au Parlement européen, qui crispe sa relation avec les Africains. L’escalade sécuritaire est symbolisée par l’élection de l’ancien directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, comme député européen sous les couleurs du Rassemblement national français malgré une plainte pour crimes contre l’humanité en raison des refoulements d’immigrés en Méditerranée. Elle a également éclipsé des projets européens d’envergure comme le Global Gateway, ce vaste plan d’investissements annoncé par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen à Dakar en février 2022. Dans le même temps, l’Europe continuait d’enregistrer des reculs au fur et à mesure des coups d’Etat qui se sont égrenés depuis 2021, du Mali au Soudan. Après Tabuka, ce sont les missions européennes d’Eucap Sahel et Eutm Mali qui ont dû plier bagage dans la foulée des retraits français de Barkhane et onusien de la Minusma.

Comprendre les dynamiques africaines
Cette série de revers dans un environnement africain de plus en plus compétitif devrait inciter à une redéfinition et une plus grande concertation entre les Occidentaux.

Des initiatives récentes novatrices peuvent certainement constituer un début de revitalisation de la coopération transatlantique en Afrique, à l’image du Partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux, lancé en 2022 par le G7 et qui vise à mobiliser 600 milliards de dollars dans les infrastructures durables des pays du Sud d’ici 2027, ou encore le Partenariat atlantique annoncé à New York par le Secrétaire d’Etat Antony Blinken en septembre 2023.

Mais ce serait une erreur stratégique que de n’appréhender le partenaire africain que sous le prisme de la compétition avec la Chine et la Russie. Celle-ci n’est pas un cadre suffisamment opérant pour rendre compte des puissantes dynamiques africaines en cours reflétées par la démographie africaine croissante– un être humain sur quatre sera africain dans trente ans-, la révolution du numérique et de l’intelligence artificielle, les enjeux climatiques et énergétiques, le lancement de la plus grande zone de libre-échange au monde et ce néo-souverainisme qui amène les Africains à multiplier les partenariats en fonction de leurs intérêts. Sur le plan économique, comme l’a indiqué la Secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, lors de sa tournée africaine en janvier 2023, «l’avenir des entreprises américaines est en Afrique».

L’Afrique, une question de sécurité nationale
Plus largement, l’Afrique est aussi une question de sécurité nationale. Ce constat ne relève pas d’une dimension simplement militaire, même s’il faut relever que la Russie est le plus grand fournisseur d’armes en Afrique et qu’elle utilise son influence sur le continent pour nourrir sa guerre en Ukraine. L’extrême dépendance des Occidentaux aux chaînes d’approvisionnement asiatiques a révélé la grande vulnérabilité de ceux-ci pendant la pandémie du Covid-19. Alors que les Etats-Unis ont répondu par un plan massif d’investissements et un quadruplement des droits de douanes sur les véhicules électriques chinois, les Européens ont commencé à réfléchir aux meilleurs moyens de restaurer leur compétitivité, à l’instar du rapport publié par l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi en septembre dernier.

Les moyens de faire la différence
Avec 30% des réserves mondiales de minéraux critiques, l’Afrique est incontournable. Dans un marché où la demande pourrait être multipliée par près de quatre d’ici 2030, les minéraux stratégiques, tels que le lithium, le cobalt et le cuivre, sont essentiels pour les véhicules électriques et les technologies de défense. Si Washington semble le comprendre de plus en plus, il reste à formaliser une coopération plus étroite avec les Européens, quel que soit le nouveau locataire de la Maison Blanche élu en novembre prochain.

Une stratégie plus concertée entre Washington et Bruxelles serait aussi avantageuse pour les Africains. Ensemble, Américains et Européens disposent d’un outil qu’aucun de leurs concurrents n’a et qui pourrait changer la vie de millions d’Africains : le financement des économies africaines.

Le continent le plus jeune de la planète a besoin de créer des millions de nouveaux emplois par an. Or, l’investissement est rendu prohibitif en Afrique, non pas parce que les gouvernements dépensent trop (en 2020-2021, les cinquante-cinq pays africains n’ont dépensé que 60 milliards de dollars pour lutter contre le Covid-19, tandis que les pays européens ont dépensé 4.270 milliards de dollars et les États-Unis 5.800 milliards de dollars) ou parce qu’ils ne sont pas performants économiquement (la moitié des pays à plus forte croissance dans le monde se trouvera sur le continent africain en 2024), mais parce que le coût de l’emprunt est beaucoup plus élevé qu’ailleurs (quatre fois plus élevé qu’aux États-Unis et près de huit fois plus qu’en Allemagne), selon Hippolyte Fofack, ancien économiste en chef de Afreximbank.

Avec 80% de la dette africaine libellée en dollars, une réforme du système financier international libérerait des investissements en Afrique.

Du leadership moral
De même, représentant trois des cinq membres du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, une meilleure coordination garantirait presqu’automatiquement l’entrée de deux Etats africains dans l’enceinte la plus importante du système des Nations-Unies. Car, comment les deux autres membres – la Chine et la Russie – pourraient-ils s’y opposer ?

Plutôt que de rester sur la défensive, les États-Unis et les nations européennes retrouveraient un leadership «moral» en prenant l’initiative d’une réforme systémique du système multilatéral qui non seulement rebattrait les cartes de la gouvernance mondiale, mais replacerait l’Afrique dans un système d’alliances occidental gagnant-gagnant.

Par Rama YADE
Directrice Afrique Atlantic Council