Sans identité, une personne n’a pas d’existence légale et ne peut accéder aux moyens lui permettant de sortir du cycle de pauvreté. Les services officiels se rendent compte qu’en plus, ce sont les personnes les plus démunies qui ont le plus de mal à accéder aux services de l’état civil. D’où la mise en place d’un processus d’enregistrement des plus allégés.Par Justin GOMIS –

La question de l’identité légale reste une très grande problématique dans le monde en général et au Sénégal en particulier. Même dans ce 21e siècle, on trouve encore des gens qui n’ont pas accès à l’état civil et ceux qui éprouvent des difficultés pour avoir ne serait-ce qu’une identité. Ce qui fait qu’on ne peut pas les nommer. Malgré leur présence physique dans le territoire national, ils n’existent pas dans l’état civil. Selon Alioune Ousmane Sall, le Directeur général de l’Agence nationale de l’état civil, il est inacceptable qu’il existe des Sénégalais qui ne n’ont pas d’existence légale, si l’on sait que «le manque de documents d’état civil enfonce davantage dans la misère les familles fragiles, perturbe leur vie et affecte leur développement socio-économique».

Pour aider ces familles qui vivent cette situation extrêmement difficile à avoir accès aux actes d’état civil, le mouvement international Atd Quart Monde, avec les acteurs, a organisé, la semaine dernière, la 10e Rencontre biannuelle du comité international pour commémorer la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Le thème choisi pour la circonstance porte sur l’identité légale pour lutter contre la pauvreté.

L’Etat a posé des actes dans ce sens en mettant l’accent sur la modernisation de l’état civil. «Le ministre Moussa Bala Fofana nous a donné des orientations pour accélérer le processus de modernisation du système. C’est-à-dire la digitalisation intégrale du processus, de l’enregistrement jusqu’à la délivrance», a informé le directeur de l’Etat civil. A l’en croire, il y a une base de données qui permet d’avancer dans ce sens. «Cela concerne autant les Sénégalais de l’intérieur que ceux de la diaspora. Auprès des communautés, ça dépend des zones, parce que chaque communauté a ses réalités socio-culturelles. Et à partir des déterminations socio-culturelles, on s’attèle à sensibiliser sur l’enregistrement universel», a-t-il dit.

Selon lui, ce qui est valable dans le bassin arachidier est différent de ce qui se fait en pays bassari.

Le directeur de l’Etat civil estime que si on a le processus de dématérialisation alors qu’il n’y a pas d’enregistrement, c’est un échec. C’est pourquoi l’Etat a estimé s’appuyer sur le levier de la formation et celui de la sensibilisation, en plus du processus de dématérialisation qui est en cours, pour faire face à cette situation.

Il explique que ses services ont déjà abattu un grand travail : «nous avons environ 20 millions d’actes numérisés» après le passage des équipes dans les centres d’état civil pour numériser les actes de naissance. «On continue pour faire le rattrapage des 10 autres millions qui restent», a-t-il ajouté. En plus de ces actes, l’Etat a formé plus de 4 mille agents sur la gestion de l’état civil. «On les a formés sur comment élaborer l’acte, comment le déchiffrer. L’état civil est un métier. On a aussi une plateforme d’auto-formation en ligne. On a formé environ 1000 agents sur les habilitations, sur l’utilisation de l’application des faits d’état-civil, utilisée aujourd’hui dans 300 centres au Sénégal», a expliqué M. Sall.
Toutefois, ces efforts consentis par l’Etat du Sénégal ne suffisent pas aux yeux de El Hadji Oumar Guèye, allié du mouvement Atd Quart Monde. «Les familles disent souvent qu’elles ont du mal à trouver un interlocuteur. Qu’elles ont du mal à trouver un manuel des procédures qui peut au moins les aider à se retrouver. Qu’elles ont du mal au niveau de la maternité à trouver quelqu’un qui pourra les renseigner», a-t-il indiqué. Avant de préciser que ce sont les gens qui ont une vie extrêmement difficile qui ont en général un problème d’identité.
Au regard de toutes ces difficultés, il pense qu’il faut sensibiliser au maximum les familles afin qu’elles sachent qu’’elles ne sont pas en faute si elles n’ont pas déclaré à temps leurs enfants. Car, à ce propos dit-il, les autorités doivent savoir qu’il y a des gens qui sont dans une situation extrêmement difficile et qui veulent qu’on les accompagne à avoir accès à l’état civil. C’est pour cette raison que El Hadji Oumar Guèye a préconisé une table ronde pour discuter de cette question, pour que chacun puisse voir sa part de responsabilité. En outre, il incite à travailler main dans la main pour trouver une solution définitive à ce problème qui compromet la vie de nombreux Sénégalais.

En tout cas, l’Etat s’y emploie déjà, en associant tous les acteurs dans ce combat.

«Nous avons travaillé avec l’Ansd. Nous travaillons pour l’interconnexion des centres au niveau national par l’internet gouvernemental. Nous travaillons aussi avec la Direction des affaires civiles et du Sceau, pour le contrôle de l’état civil. Ils travaillent sur le respect des textes par rapport à la gestion de l’état civil», a cité Alioune Ousmane Sall. L’intérêt est de sécuriser le processus et de permettre l’accessibilité à partir du téléphone ou de la machine. «Ça va permettre de gagner du temps et surtout de sécuriser, parce que le système génère un seul numéro. Demain, personne ne pourra dire qu’on a volé son numéro. Ce processus permet la lutte contre la fraude documentaire, contre l’usurpation d’identité, et permettra la traçabilité. Mais il permet aussi une interopérabilité entre l’état civil, la santé, la carte d’identité, le permis de conduire, l’Ipres, la téléphonie. Tous les systèmes vont être interopérables avec la base du système d’archives. A partir de l’état civil, on aura tous les autres services», a vanté le directeur de l’Etat civil, selon qui l’application est aujourd’hui dans 300 communes au Sénégal.
justin@lequotidien.sn