La sortie du Sénégal de la liste grise du Gafi est une excellente nouvelle

En février 2021, le Sénégal a été placé sur la liste grise du Groupe d’action financière (Gafi). Cela veut dire que le dispositif de Lutte contre le blanchiment de capitaux et le Financement du terrorisme (Lbc/Ft) du Sénégal présentait des déficiences stratégiques. Ainsi, afin d’en sortir, le Sénégal s’était engagé à corriger les insuffisances identifiées, afin de disposer d’un cadre Lbc/Ft conforme aux meilleurs standards internationaux, notamment les recommandations du Gafi.
Le Gafi a été créé en 1989 lors du Sommet du G7 de Paris. Il est chargé d’élaborer des normes Lbc/Ft, appelées recommandations, dont les premières ont été publiées en 1990. Ces normes constituent depuis lors la base des législations Lbc/Ft de la plupart des pays dans le monde. A travers les évaluations mutuelles des Etats, le Gafi -ou ses démembrements régionaux comme le Giaba1 en Afrique de l’Ouest- s’assure que les législations Lbc/Ft mises en place par les Etats dans le monde respectent ces recommandations.
Si un Etat présente des carences vis-à-vis des recommandations du Gafi, il est placé sur la liste grise, c’est-à-dire la liste des pays sous surveillance renforcée. Si l’Etat est jugé non coopératif en matière de Lbc/Ft, il est placé sur la liste noire. Présentement, trois pays -l’Iran, la Corée du Nord et la Birmanie- figurent sur cette liste noire. La majorité des banques dans le monde n’effectuent pas de transactions à destination ou en provenance de ces trois pays.
Comme écrit plus haut, le Sénégal a été placé sur la liste grise du Gafi depuis février 2021 et s’était engagé à corriger les déficiences identifiées. Celles-ci étaient liées à un cadre législatif non conforme aux recommandations du Gafi, à l’absence d’une structure pour recouvrer les avoirs criminels et à l’insuffisance des efforts de certaines entités assujetties à la loi sur la Lbc/Ft.
Le 2 février 2024, le Sénégal a voté la loi 2024-08 portant lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Dans l’exposé des motifs de la loi, il est écrit : «(…) Ainsi, cette présente loi découle de la volonté des Etats membres de l’Union de pallier les insuffisances relevées pendant les années d’application de la loi uniforme suscitée, en mettant en place un cadre juridique régional inclusif et dynamique.» La précédente législation Lbc/Ft du Sénégal, la loi 2018-03, présentait des déficiences par rapport aux normes du Gafi. Ainsi, la définition des Personnes politiquement exposées (Ppe) était limitée : les proches et associés des Ppe nationales et ceux des organisations internationales n’étaient pas inclus. Par ailleurs, les Prestataires des services d’actifs virtuels (Psav) ne faisaient pas partie des entités assujetties. De même, les Entreprises et professions non financières désignées (Epnfd) n’étaient pas listées exhaustivement, et des professions qui brassent beaucoup d’argent et présentent des risques élevés en matière de Lbc/Ft/Fp étaient exclues. D’autres insuffisances concernaient l’absence de dispositions concernant la transparence des bénéficiaires effectifs des personnes morales et constructions juridiques, ou une faible régionalisation du dispositif communautaire de Lbc/Ft/Fp, en sachant que la zone Uemoa est un marché commun, avec une monnaie unique et une libre circulation des personnes et des biens. Ces points ont été corrigés par la nouvelle loi Lbc/Ft/Fp. En outre, le Sénégal avait commencé en amont à rectifier certaines insuffisances de la loi 2018-03. La Loi de finances rectificative de juillet 2021 a prévu la mise en place d’un registre des bénéficiaires effectifs des personnes morales et constructives. Celui-ci est devenu effectif en 2023, à travers l’arrêté y afférent, avec un registre tenu au niveau de la Dgid.
L’intégration d’un pays sur la liste grise du Gafi entraîne des conséquences négatives importantes. Ainsi, nous écrivions dans notre livre La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone Umoa : «Aujourd’hui, la mise en place d’un dispositif robuste de lutte contre le blanchiment de capitaux fait partie des critères déterminants afin qu’un Etat puisse attirer les investisseurs internationaux. Cela leur donne confiance en l’intégrité du système judiciaire et financier d’un pays. Le Gafi écrit à propos de l’influence du blanchiment de capitaux sur les investissements étrangers dans un pays : «Ils peuvent se ralentir lorsque les secteurs commercial et financier d’un pays passent pour être soumis au contrôle et à l’influence de la criminalité organisée.»# Un pays soumis au contrôle et à l’influence de la criminalité organisée signifie un pays en proie au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Cela entraîne aussi une plus grande surveillance des institutions financières sénégalaises par celles des autres pays du monde. Présentement, des mesures de vigilance renforcées leur sont appliquées par leurs correspondants bancaires, conformément à la recommandation 19 du Gafi : «Les institutions financières devraient être obligées d’appliquer des mesures de vigilance renforcées aux relations d’affaires et opérations avec les personnes, physiques ou morales, ainsi qu’avec les institutions financières des pays pour lesquels le Gafi appelle à le faire.» Cela augmente le délai de traitement des transactions de leurs clients avec les pays extérieurs (virements internationaux, opérations de trade finance -Credoc, Remdoc).»
L’intégration du Sénégal sur la liste grise du Gafi a entraîné des délais plus longs dans le traitement des transactions à l’international. Les banques correspondantes effectuaient des diligences renforcées des transactions des banques sénégalaises, ce qui entraînait des retards dans le dénouement des opérations à l’international pour les personnes physiques et morales sénégalaises. Avec la sortie du Sénégal de cette liste, les correspondants bancaires auront davantage confiance dans les banques sénégalaises, et leurs transactions à l’international devraient être plus rapidement traitées. Cette sortie du Sénégal de la liste grise du Gafi améliorera aussi la réputation de notre pays à l’international et accroîtra la confiance des investisseurs à son égard. Faire partie de la liste grise n’est pas ce que nous appelons de la bonne publicité. Cela se traduit par des craintes des investisseurs sur l’environnement des affaires dans un pays. Or, une lutte efficace contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive montre qu’un pays est stable et maîtrise son environnement des affaires, ce qui se matérialise par la confiance des investisseurs. La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive n’est pas une destination ; elle est un voyage continu. Le Sénégal doit continuer ses efforts pour lutter contre ces fléaux, de même que contre certaines de leurs infractions sous-jacentes nuisibles comme la corruption. C’est ainsi qu’il évitera à l’avenir de réintégrer cette liste grise. Pour cela, toutes les entités assujetties doivent jouer leur rôle : la Lbc/Ft/Fp constitue un effort collectif. Comme nous l’écrivons souvent : «Le maillon le plus faible de la chaîne plombera tout le dispositif mis en place pour lutter contre ces crimes.» L’effort de formation et de sensibilisation doit continuer et même s’intensifier, pour que tous les acteurs comprennent leur rôle et le jouent comme il faut. C’est ainsi que le Sénégal pourra se mettre à l’abri de l’emprise de ces fléaux. Cela lui permettra d’assurer sa sécurité, de renforcer sa stabilité et d’éviter ainsi que ces calamités déstabilisent son économie et contribuent à une instabilité qui fera fuir les investisseurs.
Moussa SYLLA
1 Giaba : Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest.
# https://www.fatf-gafi.org/fr/foireauxquestionsfaq/blanchimentdecapitaux/