Un livre fondateur du militantisme féminin en Afrique, selon l’écrivaine Ndèye Fatou Kane

L’essai de l’anthropologue sénégalaise Awa Thiam, intitulé La parole aux Négresses et réédité en juin dernier au Sénégal par Saaraba éditions, a permis d’ancrer le militantisme féminin en Afrique, auquel il a servi de livre fondateur, a affirmé sa préfacière, Ndèye Fatou Kane. «Avec la publication en 1978 de La parole aux Négresses, 18 ans après les indépendances», à une époque «où les Etats africains étaient en train d’être construits, édifiés, où le féminisme n’était pas encore une idéologie politique, ce livre est fondateur du militantisme féminin en Afrique, il a vraiment ancré le féminisme en Afrique», a-t-elle déclaré dans un entretien avec l’Aps. L’ouvrage signé par l’ancienne chercheuse à l’Institut fondamental d’Afrique noire de l’université Cheikh Anta Diop «vient à point nommé pour dire que les critiques ou autres accusations faites sur les violences que subissent les femmes ne sont pas gratuites, elles sont documentées», selon sa préfacière, également écrivaine.

Pour Ndèye Fatou Kane, cet essai «est important pour l’originalité de son approche, parce qu’il a permis pour la première fois à une Africaine, de faire parler des Africaines qui racontent leurs souffrances et de ce qui les maintenait en marge de la société». Le contexte de la parution du livre est aussi relevé par la préfacière, qui indique que le livre La parole aux Négresses est paru près de deux décennies après les indépendances des pays africains. «Malgré les promesses d’autonomie que pouvait laisser entrevoir cette nouvelle ère des indépendances africaines, les femmes africaines peinent encore à sortir du joug du patriarcat», affirme celle qui découvre cet ouvrage en 2018 dans le cadre de son travail d’écrivaine. La parole aux Négresses sonne ainsi comme une réponse à ceux qui disent que les féministes africaines suivent leurs sœurs occidentales, selon l’autrice de Vous avez dit féministe ?, livre dans lequel Ndèye Fatou Kane interroge les textes fondateurs du féminisme.

L’essai de Awa Thiam, divisé en trois parties, relate dans son premier chapitre «Des mots de Négresses» et évoque des souffrances quotidiennes de femmes africaines qui s’expriment, pour la plupart dans l’anonymat, afin de permettre à toutes les femmes de s’identifier à leur récit. Divers sujets liés à la polygamie institutionnalisée, le blanchiment de la peau communément appelé Xessal, les mutilations génitales, les mariages forcés, entre autres, sont abordés dans leur histoire. Le deuxième chapitre s’intéresse à «Des maux de Négro-Africaines», avant de finir sur un troisième intitulé «Féminisme et révolution». Pour Awa Thiam qui réside depuis plusieurs années en France, il fallait «prendre la parole pour faire face. Prendre la parole pour dire son refus, sa révolte. Rendre la parole agissante. Parole-action, pa­role subversive. Agir, agir, agir en liant la pratique théorique à la pratique pratique», écrit-elle à la page 30 du livre. «Pour dénoncer une situation si ancienne qu’elle en parait éternelle, il faudra du courage et de l’obstination», fait savoir la féministe française Benoîte Groult, signataire de la première préface de la première édition de l’ouvrage en 1978. «Awa Thiam se heurtera, comme tous ceux qui ont raison trop tôt, à l’incompréhension, aux préjugés, à la haine», écrit-elle.

L’essai La parole aux Négresses dont la postface a été signée par Dr Kani Diop qui enseigne en Floride, a été réédité aussi en France en 2024 aux éditions Divergences. Il avait disparu des bibliothèques après sa publication, mais avait été traduit en allemand en 1981 et en anglais en 1986. Selon la préfacière, son autrice est très connue dans les universités américaines où l’ouvrage est enseigné.
Aps