Amadou Ba a un moment stoppé sa caravane pour prendre le temps d’échanger avec Le Quotidien sur le déroulement de sa campagne, le regard qu’il porte sur le pouvoir actuel, en particulier le Premier ministre Ousmane Sonko. M. Ba s’est aussi exprimé sur ses attentes quant à l’issue des élections du 17 novembre prochain. L’entretien s’est déroulé quelques heures avant l’annonce du décès de l’ancien ministre Mamadou Moustapha Ba, et ne lui a pas offert l’occasion d’exprimer son émotion sur la perte de celui qui était l’un de ses très proches compagnons.Quelles leçons tirez-vous à ce jour, pour ne pas parler de bilan, de votre campagne des Législatives ?

Nous pouvons déjà dresser un bilan d’étape, pour exprimer notre satisfaction de participer à ces élections, de parcourir le pays sept mois après, et ressentir l’enthousiasme et l’engagement de la population à échanger avec nous sur notre programme de législature.

Pensez-vous que vous auriez pu faire plus ou mieux si vous aviez eu plus de temps ?
Il est vrai que nous aurions pu faire mieux. Les élections ont été organisées dans des délais très serrés, ce qui a imposé des contraintes à tous et a indéniablement affecté notre préparation.

Sur la confection des listes aussi, on imagine. Vous qui êtes de Dakar, n’avez pas de liste à Dakar…
Ces contraintes nous ont empêchés d’aboutir à un accord global au sein de l’inter-coalition. Nous avons toutefois réussi à trouver un terrain d’entente dans certains départements, y compris Dakar. Cependant, au moment de finaliser cet accord, notre liste pour Dakar avait déjà été déposée. C’est pourquoi, à Dakar, j’apporterai mon soutien à l’inter-coalition.

C’était stratégique… ?
Nous étions en pleine négociation. Si nous n’avons pas pu nous accorder sur tous les points, un consensus avait cependant déjà été atteint pour Dakar. Et, à mes yeux, le respect de la parole donnée est un principe fondamental.

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Vous êtes en train de faire le tour du pays, après l’avoir fait en étant successivement ministre de l’Economie et des finances, et Premier ministre. Com­ment jugez-vous l’évolution de la situation sociale et économique des populations sénégalaises depuis votre départ des affaires ?

La situation est devenue plus difficile pour les populations. Depuis l’élection présidentielle qui a conduit le Président Diomaye Faye au pouvoir, nombreux sont ceux qui ressentent que rien n’a évolué, rien n’a changé ; certains diront même que les choses se sont détériorées.

Pensez-vous que si vous aviez été aux affaires, les gens auraient connu une situation différente ?
Il y aurait eu moins de problèmes, c’est sûr.

Et pourquoi ?
Nous avions conçu un ambitieux plan de réformes, avec des politiques soigneusement pensées pour alléger les difficultés des populations. Après une crise prolongée due à la pandémie du Covid, et dans un contexte international peu favorable, les répercussions sur la vie quotidienne sont indéniables. Il était impératif d’agir rapidement, car le début d’une mandature est souvent une période propice pour impulser des changements décisifs au bénéfice du pays. Pourtant, au lieu d’aller dans cette direction, il semble que nous ayons pris un chemin inverse. Plutôt que de rassurer partenaires et citoyens, les décisions prises ont suscité l’inquiétude, provoquant un ralentissement global qui freine aujourd’hui notre élan.

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Nous en sommes au point qu’il a été agité l’idée que l’on allait annuler tous les programmes avec le Fonds monétaire international. Pensez-vous que le pays pourrait aujourd’hui se passer d’un accord avec le Fmi ?

Cela dénote un manque de préparation et de profondeur stratégique. Le gouvernement avait consenti à poursuivre le programme, ce qui était une bonne chose, et 3 mois après, le gouvernement annonce l’annulation ou la renégociation. Ce qui ne pourrait se faire au plus tôt qu’en début 2025. D’ici-là, on aura perdu beaucoup de temps.
En tout état de cause, il sera très difficile d’évoluer en dehors de la Communauté internationale. Un nouveau programme est actuellement en cours de négociation, dans un contexte où la situation décrite par le gouvernement est particulièrement délicate. Si cette situation se confirme, atteindre les objectifs fixés pour le quinquennat sera un défi majeur. Il est donc impératif d’adopter une vision stratégique pour naviguer dans ce contexte difficile. Une telle approche favorisera une collaboration constructive avec nos partenaires internationaux et permettra d’instaurer des solutions durables pour le développement économique du pays.

A voir la manière dont les choses se passent, on a l’impression que vous n’aviez pas laissé des dossiers finalisés à l’actuel gouvernement. Il n’y a pas de continuité, et on a le sentiment que les gens naviguent à vue.

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Il est essentiel de rappeler que le Président Diomaye Faye a été élu le 24 mars et a prêté serment le 2 avril, ce qui témoigne de la solidité de nos institutions. Lui et son gouvernement disposent de tous les leviers nécessaires. Cependant, les attentes de la population sont considérables. Et il existe une réelle différence entre faire des promesses et gérer efficacement le pouvoir. Notre pays a un besoin urgent de ressources et de partenariats pour surmonter les défis qui se dressent devant nous et répondre aux aspirations légitimes de nos concitoyens.

On a actuellement le sentiment que cette campagne tourne autour de deux pôles, celui de Amadou Ba et celui de Ousmane Sonko. Est-ce fait exprès ?
Il est vrai que la campagne actuelle semble se cristalliser autour de Ousmane Sonko et de moi-même. Je ne pense pas que cela puisse relever d’un choix délibéré, mais plutôt d’une dynamique naturelle du paysage politique. Chaque candidat a ses propres visions et propositions, et il est essentiel que les électeurs aient l’opportunité d’examiner ces alternatives. Mon objectif est de présenter une plateforme claire et réaliste, axée sur les véritables préoccupations des Sénégalais. Je crois fermement que ce débat autour des idées est bénéfique pour notre démocratie et pour l’avenir de notre pays.

Cela vous pousse-t-il à avoir encore plus d’ambitions qu’au début ?

Cette dynamique me pousse à cultiver des ambitions encore plus grandes. Les attentes et aspirations des Sénégalais m’incitent à me dépasser et à travailler sans relâche pour apporter des solutions concrètes aux défis qui se dressent devant nous. Je suis convaincu qu’avec une vision claire, une équipe compétente et l’engagement de tous, nous avons le potentiel de réaliser de grandes choses pour notre Nation. Chaque jour, je me rappelle pourquoi je suis en politique : pour servir le Peuple et contribuer à bâtir un Sénégal prospère et inclusif.

Votre principal adversaire, qui est également votre successeur à la Primature, semble faire, quand il parle, une certaine fixation sur des milliards. Un moment, cela tournait autour de votre fortune, qu’il chiffre en milliards. Dernièrement, il a parlé de la somme de mille milliards qu’il aurait découverte dans le compte bancaire d’un dignitaire de l’ancien régime -dont vous faisiez partie, soit dit en passant. Pensez-vous réalisable que l’on trouve 1000 milliards dans le compte d’un particulier dans une banque à Dakar ?
Il est indéniable qu’aucune banque à Dakar, ni même dans l’espace Uemoa, ne détient une telle somme dans un compte. Quant aux banques situées en dehors de l’Uemoa, je ne saurais le dire. Il convient également de noter que le Premier ministre, tout comme moi, est inspecteur des Impôts, ce qui peut expliquer sa tendance à vouloir fouiller, scruter les chiffres et à voir des milliards partout. (Rires). Il est donc important de mettre en lumière cette affaire qui, à mon avis, semble particulièrement exagérée et nécessite une clarification.

Si cet argent existe réellement, pourrait-il être saisi ?
Cela dépend vraiment de l’origine des ressources, mais je ne veux pas m’avancer sur un dossier que je ne connais pas du tout. J’ai de sérieux doutes quant à l’existence d’un compte contenant 1000 milliards de francs dans notre espace. Pour donner un ordre de grandeur, cela équivaut à environ 1 milliard 500 millions d’euros, une somme qui me paraît tout de même peu vraisemblable.

Ancien candidat à la dernière Présidentielle, vous avez été également Premier ministre, après avoir occupé d’importants ministères. Pensez-vous qu’il y aurait eu des manœuvres ayant pour but de perturber l’élection présidentielle passée ?
Je ne suis pas informé de telles manœuvres, et je considère cela comme de la pure spéculation. Des allégations ont circulé selon lesquelles certains membres de mon propre camp auraient, à divers moments, saboté ma campagne, ce qui aurait contribué à ma défaite. Si ces manœuvres étaient avérées, elles m’auraient profité. Ce qui est loin d’être le cas, bien au contraire. Je suis un démocrate convaincu de l’importance de l’expression de la volonté populaire. D’ailleurs, j’ai félicité le Président élu seulement quelques heures après la proclamation des premières tendances, car je crois fermement que chaque scrutin doit être respecté et que la voix des électeurs doit prévaloir. Mon engagement envers la démocratie m’incite à accepter les résultats des élections, quels qu’ils soient, et à travailler constructivement pour le bien de notre pays.

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Le nouveau pouvoir vient de rendre publique sa «Vision 2050», qui vient remplacer le Pse que vous aviez contribué à mettre en œuvre. Quelle différence faites-vous entre ces deux projets ?

Il n’existe pas de différence, fondamentalement. Il s’agit simplement d’un horizon de planification plus étendu. Alors que le Plan Sénégal émergent (Pse) visait 2035, eux projettent jusqu’en 2050. Cette vision était d’ailleurs déjà en cours de préparation, nos planificateurs ayant déjà travaillé sur cette question. A mon avis, il s’agit d’une continuité du Pse, une adaptation de notre approche initiale. En effet, lorsqu’on élabore un plan sur 20 ou 30 ans, des facteurs exogènes ou endogènes peuvent nécessiter des ajustements dans certains paramètres et des changements d’orientation. C’est précisément ce que je pense qu’ils sont en train de réaliser. Il est important de rappeler que les équipes en place au Sénégal ont collaboré sur le Pse, et plusieurs d’entre elles ont également contribué à l’élaboration de la Vision 2050, ce qui mérite d’être salué. Par ailleurs, si l’on examine la programmation pour les cinq prochaines années, on constate qu’elle ne diffère pas beaucoup du Plan d’actions prioritaires 3 (Pap3) que nous avions élaboré, et le cadrage budgétaire et les projets sont pratiquement les mêmes.

Vous ne voyez aucune rupture entre les deux programmes ?
En tout cas, sur la stratégie, il n’y a pas de rupture. Maintenant, sur la mise en œuvre, on attend de voir quelles sont les nouveautés qui pourraient avoir un impact sur la vie des gens.

Ce qui est aussi important à leurs yeux, c’est l’intégrité des personnes chargées de cette mise en œuvre.
C’est la même Adminis­tration. Il est vrai qu’il peut y avoir des lacunes dans la gestion. Pour nous, l’essence d’une nouvelle politique réside justement dans la capacité à identifier et à corriger ces manquements. Nous sommes profondément attachés aux valeurs d’intégrité et de droiture, et nous sommes soucieux d’assurer une bonne gouvernance. C’est pourquoi nous attendons des réformes concrètes. Un audit rigoureux permettra d’évaluer la situation, d’analyser ce qui a été fait et d’initier les réformes nécessaires pour améliorer les processus en place.

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On a commencé à voir, ici et là, des manifestations de violence au cours de cette campagne. Comment jugez-vous cela ?

Il n’y a aucune place pour la violence dans notre pays. Nous avons suffisamment souffert ces dernières années. Ce que je perçois, c’est un fort désir de réconciliation, de paix et de stabilité parmi les Sénégalais. Il est impératif que les acteurs politiques contribuent à cet élan. Pour ma part, et au sein de ma coalition, nous ne tolérerons aucun acte de violence, qu’elle soit physique ou verbale. J’appelle l’ensemble de la classe politique à adopter la même attitude.

Quel serait pour vous et votre coalition, l’intérêt d’être majoritaires à l’Assemblée ?
Nous donner la majorité permet de stabiliser les différents pouvoirs. Au Sénégal, ces dernières années, nous avons observé une confrontation entre divers segments de la société. Pour faire émerger notre pays, il est impératif de construire des consensus solides. En 2014, lors du lancement du Plan Sénégal émergent (Pse), j’ai parcouru le pays et le monde pour promouvoir un consensus national et international sur le développement. Aujourd’hui, bien que le pouvoir ait entamé des discussions autour de la Vision 2050, je n’ai pas encore constaté de démarche concrète, tant sur le plan international qu’en interne, pour approfondir la stratégie à adopter.

L’Assemblée nationale doit devenir un espace de dialogue sur les stratégies et les attentes des Sénégalais. Cependant, il est essentiel de comprendre que tout ne peut pas se faire immédiatement. Nous devons effectuer des choix réfléchis et parvenir à un accord sur ces choix, afin que tous les Sénégalais se reconnaissent dans les actions entreprises. Il est crucial d’encourager des échanges inclusifs, indépendamment des opinions et des conceptions, et l’Assemblée nationale peut servir de plateforme idéale pour faciliter ces dialogues.

Le pouvoir actuel, lui, craint de ne pas pouvoir mettre en œuvre son programme s’il n’a pas la majorité à l’Assemblée…
Notre Constitution offre au Pouvoir exécutif de nombreuses possibilités d’action. Ce­pendant, il est vrai que l’Assemblée nationale pourrait devenir un obstacle si les discussions préalables sur les politiques à mettre en œuvre ne sont pas suffisantes. Pour notre part, nous sommes prêts à transformer ce dialogue en une démarche naturelle et constructive, chaque fois que l’intérêt du pays est en jeu. La collaboration entre les pouvoirs et les institutions est essentielle pour assurer l’efficacité des décisions et le bon fonctionnement de notre démocratie.

Propos recueillis par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn