La 15ème édition du Dak’Art s’ouvre le jeudi 7 novembre 2024 ! Le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye présidera la cérémonie d’ouverture au Théâtre Sorano ! Sa première sortie face au monde de la Culture ! Il sera devant ce qui a donné au Sénégal sa vraie légende, sa véritable histoire, son ineffaçable rayonnement international, son trésor inégalable, au-delà de la diplomatie sénégalaise. Tout est culture. Le reste n’est qu’économie !
Puisse-t-il y annoncer l’ouverture officielle du Musée d’Art contemporain auquel son prédécesseur a affecté l’ancien Palais de justice du Cap Manuel, ainsi que la réouverture des expositions d’art sénégalais à l’étranger et la réactualisation du «Grand Prix du président de la République pour les lettres» qui, c’est un appel à réflexion, pourrait changer d’appellation comme «Grand Prix de la République pour les lettres». Initiateur et membre fondateur de ce prix dans les années 90, sous feu le ministre de la Culture Moustapha Ka, il nous est aisé, avec humilité et tout le respect dû, d’appeler à ressusciter ce «Grand Prix» qui laisse un grand vide dans la célébration de la vie littéraire au Sénégal. Le secteur privé sénégalais, si silencieux et si «confidentiel», est également appelé à créer son propre prestigieux Prix, pour participer au rayonnement de l’expression littéraire et artistique de notre pays. L’Etat doit être soutenu, relayé ! Madame la ministre Khady Diène Gaye, fort alerte et assoiffée de renouveau constructif, y posera un regard serein avec son tranquille et si aimable secrétaire d’Etat !
Radioscopie oui, évaluation urgente oui ! Mais le Dak’Art est bien vivant ! Il faut toujours commencer par le commencement : remercier l’Etat du Sénégal ! Ne jamais oublier ceux qui vous ont aidé à grandir. On dit souvent : «L’Etat n’a pas tout fait.» Avec le Dak’Art, il a tout fait. De 1990, date de sa création, jusqu’à la prochaine édition de novembre 2024, près de 34 années se sont écoulées et l’Etat assume toujours le budget du Dak’Art, avec des sponsors certes, mais dont la participation financière n’a jamais été officiellement publiée, pour juger de son impact.
Moche, belle, pauvre ou riche, la Biennale a tenu, parce que l’Etat a tenu. Dénommée «Biennale internationale des arts et des lettres», elle est née d’une volonté politique partie d’un rêve et d’une initiative du poète Amadou Lamine Sall et d’intellectuels qui le rejoindront dont le surdoué Moustapha Tambadou et l’écrivain Cheikh Hamidou Kane qui deviendra le 1er président en exercice de la 1ère édition de 1990. Il y a eu surtout l’affirmation d’un homme : feu Moustapha Ka, alors ministre de la Culture du Président Abdou Diouf. Les archives sont là pour tout attester. Une correspondance adressée au Président Abdou Diouf pour instituer une «Biennale internationale des lettres et des arts» aura un écho favorable. Une réponse signée par un certain Jean Colin, Secrétaire général de la présidence de la République de l’époque, nous donnera le feu vert.
L’année 1990 accueillit alors l’édition des Lettres. L’an 1992 celle des Arts, avant que Amadou Lamine Sall ne passe la main comme 1er Secrétaire général en exercice. La Biennale devient alors une «Biennale de l’art africain contemporain», contre sa volonté, sous Madame la ministre feue Coura Ba Thiam. Le successeur de Amadou Lamine Sall, le brillant Rémy Sagna, fut d’une compétence hors norme. Pas un seul Secrétaire général de la Biennale, depuis 1990, ne doit ici être omis dans les félicitations. Les ministres de la Culture également, même si certains nous laissent des souvenirs fort douloureux, à vite oublier. Une spécificité heureuse marquait la naissance de cette Biennale : l’édition des lettres, qui avait été tenue en 1990, intégrait les arts. Elle fut marquante avec la présence, à Sorano, du Président Senghor lui-même. Emouvant pour tous ! Je l’avais invité pour ce qu’il représentait et symbolisait dans l’espace culturel mondial. Il m’a fallu beaucoup, beaucoup insisté, puisqu’il ne voulait pas, comme il me le confiait, «gêner son successeur Abdou Diouf». C’était Senghor ! Après son absence en public depuis 1981 lors de son départ volontaire du pouvoir, c’est la 1ère fois qu’il réapparaissait en public, neuf ans après ! L’édition des arts eut lieu en 1992. Elle faisait également place aux lettres. Cette formule de partage donnait à chaque discipline et à chaque édition, une large visibilité devant des publics divers et enchantés. Nous invitons, avec gratitude et respect, Madame la ministre en charge de la Culture, de mettre la question sur la table et de faire le meilleur choix après une très large concertation : revenir ou non à l’ancienne formule de la Biennale !
Le Dak’Art est un tout. C’est l’œuvre d’une formidable famille depuis sa naissance. Pour l’histoire, nous avions convaincu le très chic et couru «Beaux-Arts Magazine» de Paris dont le directeur de publication était Jean-Noël Beyler, de publier sous forme de numéro spécial, le catalogue de la Biennale des arts 1992, pour plus de rayonnement international. Même souvent en décomposition très avancée, le Dak’Art gagna et étonna le monde. Sa permanence, la foi des acteurs qui l’animent, la forte demande artistique africaine, l’ancrage de la place de Dakar comme foyer ardent des arts depuis Senghor, la résonnance des galeristes dakarois, l’engagement admirable des critiques d’art nationaux, le travail colossal des journalistes culturels laissés à eux-mêmes constituent les dynamiques plurielles qui nourrissent la pérennité du Dak’Art.
Il est temps, désormais, que l’Etat du Sénégal dont nous ne cesserons jamais de louer l’engagement, accepte enfin de franchir le pas et de donner à la Biennale un statut décisif qui sied à ses missions, sans tout lui abandonner, mais en gardant avec elle un cordon ombilical vigilant et protecteur. Cela pourrait être sous la forme d’une «Fondation internationale d’utilité publique» dénommée, entre autres, «Fondation Dak’Art Mécénat International». Mais les Etats sont un peu comme les continents qui se déplacent plus lentement que les hommes. L’Etat est lent, comme figé. Combien d’études ont été financées sur le renouveau du statut du Dak’Art, pour aboutir à des rapports laissés aux rats dans les tiroirs des ministres ? En un mot, il ne s’agit de rien d’autre que de créer un outil performant et gagnant, un réservoir précieux de ressources humaines qualifiées, aptes à conduire le Dak’Art, à lui offrir l’opportunité d’aller capturer des financements internationaux souvent hors de validation d’un Etat. Il ne s’agit de rien d’autre que d’assurer l’avenir toujours chancelant, mais incroyablement debout d’une Biennale unique en Afrique et désirée du monde.
Jean Loup Pivin, critique d’art, auteur d’essais sur les expressions contemporaines africaines, également fondateur de la célèbre «Revue Noire», écrit ceci : «… La survie de la Biennale ne viendra que dans son externalisation à une structure tiers sénégalaise avec un droit de regard sur la probité de sa gestion, soit avec un Etat qui continue mais arrête de faire croire qu’il sait faire… le Sénégal ne capitalise pas ce formidable engouement, mais au contraire le détruit. Sa gestion étatique remet en question sa crédibilité et interdit toute autre forme de financement… Qu’un pays, le Sénégal, s’investisse dans la propagation de sa vitalité reste à célébrer. Mais qu’il en finisse avec le bricolage organisationnel.» Enfin, Pivin fait sa propre évaluation de l’édition Dak’Art 2016, allant du choix des commissaires, aux productions et expositions, au colloque international «invraisemblable de désorganisation et sans traducteurs… aux torpeurs du Village des arts, un village atone, des artistes assoupis qui vous accueillent comme des marchands maladroits d’une galerie de misère… le non-retour des œuvres quand elles arrivaient à être dédouanées et exposées… un programme inaccessible… Il semblait qu’il n’y avait pas de pilote dans l’avion». Oui, les critiques sont nécessaires, même quand elles font mal. Hélas, nous n’en avons pas toujours ni la culture, ni la patience, ni la grandeur, plombés que nous sommes par l’orgueil et la vanité ! Surtout quand la vérité sort de la bouche d’un Blanc !
Le Dak’Art pourrait s’autofinancer si on lui accordait l’autonomie adéquate et laissait enfin l’Etat sénégalais souffler, mais sans se dessaisir, ni de la garantie de son apport financier ni de son autorité ! Ce n’est pas l’argent qui manque sur les places internationales. Il fait florès. La Biennale est «vendable». Elle est crédible, créatrice d’emplois, de visibilité et elle rayonne. Ce qui a fait jusqu’ici défaut, c’est l’engagement concret de ministres en charge de la Culture qui n’ont jamais pris solidement en main le dossier de la Biennale et le porter sur le bureau du président de la République. Pour avancer, innover. Parions que Madame la ministre Khady Diène Gaye, la Joalienne, et son branché secrétaire d’Etat, M. Bakary Sarr, s’y essayeront et réussiront à trouver la meilleure formule. Il serait également temps de réfléchir à la redondance du poste de «président» du Dak’Art, pour dégrossir l’organigramme. Les évaluations, également, doivent se faire. Elles sont incontournables. Elles reflètent la transparence et la rigueur d’un management ! Le «Comité dit d’orientation ou comité scientifique» de la Biennale, sous l’autorité partagée du Secrétaire général avec à ses côtés le Directeur artistique et ses commissaires, suffit. Il est arrivé que le président et le Secrétaire général se marchent poliment sur les pieds. D’ailleurs, à la vérité, ni l’un ni l’autre n’occupent des fonctions bien définies qu’un arrêté ministériel tiède fixe sans définition stricte les missions. Le président de la Biennale serait censé être choisi comme un puissant mécène capable de drainer des fortunes pour aider à l’organisation. Sa mission doit être évaluée et ses performances alors connues.
Pour parler d’un certain Simon Njami, deux fois Directeur artistique du Dak’Art, disons qu’il a, par rapport à tous les précédents directeurs artistiques de la Biennale, l’éclat, l’insolence oratoire et créatrice de nous secouer, de nous contrarier, de nous étonner, de nous montrer nos insuffisances créatrices. Il est écrivain, commissaire d’exposition, essayiste et critique d’art. C’est cela la marque apportée par ce Directeur artistique audacieux, énigmatique, subtilement génial et si dérangeant. C’est bien avec lui que Dak’Art a innové avec des thématiques osées, décisives ! Il est venu réveiller les éternels retardataires et poussiéreux critiques classiques de l’art africain qui se suffisent du peu. En art, cela fait du bien de venir avec l’insulte et le coup de pied dans la fourmilière. C’est dans l’audace, le refus, la révolte, que l’art se tisse. C’est un don de saisissement et de provocation. C’est un court-circuit électrique, une foudre. Dans l’histoire de l’art et de ses surprises légendaires, on se souvient de Marcel Duchamp qui avait «envoyé une pissotière à un jury américain en déclenchant une révolution esthétique». On pense aussi dans le contexte de l’après-guerre à cette émergence d’un art américain, une sorte «d’expressionisme abstrait» avec des peintres comme Jackson Pollock et Barnett Newman. Avec le Dak’Art, on veut des accidents esthétiques spectaculaires ! C’est cela l’éclat de l’art contemporain ! Nous sommes en train de créer ensemble une nouvelle histoire de l’art africain avec le Dak’Art. Il nous faut alors des directeurs artistiques téméraires, singuliers, poliment irrévérencieux, libres, dérangeants, explorateurs d’espaces nouveaux. Faire également appel demain à des directeurs artistiques asiatiques, américains et sud-américains, afin d’ouvrir un regard toujours neuf sur le Dak’Art pour le réinventer sous le saisissement d’autres cultures qui l’enrichiront en dialoguant avec l’Afrique «prodigieuse».
Il faut libérer le Dak’Art ! L’art a besoin d’infinis, de «coups d’Etat», de génocides plastiques, de meurtres esthétiques et de ruines habitables ! Au diable l’académisme des critiques d’art ! L’imposture artistique est même devenue un nouveau courant par l’incongruité d’œuvres qui nous perturbent par le surgissement de supports qui renversent notre vision tranquille de l’art. Les «installations» en font partie ! Aux critiques d’art de s’adapter aux nouveaux rites ! Aux galeristes de donner leur place aux «voyous», aux «violeurs», aux «marginaux» d’un art qui très vite a atteint ses limites de créativité courte et d’imitation. Les embouteillages des copistes sont devenus insoutenables. Nous sommes fatigués des «photocopies». Nous voulons de nouveaux fous. Il nous faut de nouveaux «asiles» pour l’art africain contemporain. L’avenir est dans de nouvelles autoroutes artistiques et plastiques, sans tracés et sans péage ! N’oublions pas surtout la part fondamentale que doit prendre l’enseignement de l’éducation artistique dans nos écoles, juste pour faire naître des vocations. Elle devrait être une discipline obligatoire dans l’éducation nationale comme le latin l’était au temps de Senghor ! Monsieur le ministre Guirassy, à vos ordres !
En art, le temps ne rattrape jamais les mauvais artistes déjà consacrés. Il les renforce. Il est des œuvres qui sont de véritables mensonges artistiques, mais on les fait gagner. Oui, on fabrique des artistes comme on fabrique des smartphones ! Nous avons vécu cette incroyable aventure en rencontrant des galeristes qui font et défont le marché de l’art sur la place de Paris, Londres, New York, Tokyo, La Havane, Johannesburg, Kinshasa. La Biennale a fait du Sénégal la capitale artistique et culturelle de l’Afrique et du monde. «Ce que la politique et la diplomatie n’ont pas su faire», Dak’Art l’a fait ! Ils viennent de partout, ils sont tous là les passionnés de l’art contemporain, jusqu’aux pernicieux et fidèles pilleurs et voleurs de patrimoine aux yeux bleus. Vivement, par ailleurs, la mise en fonction du Musée d’Art contemporain. Redonnons à l’Afrique sa place dans l’histoire de l’art. Elle a plus donné qu’elle n’a reçu. Nos artistes, sans injure, décolonisent en silence notre art et ses espaces de représentation. Nous sommes assez puissants et «divins» pour reconstituer et proposer au monde un art nouveau et des musées vivants. Nos artistes le prouvent. Le Dak’Art n’est plus seulement une Biennale, un pays. Le Dak’Art est ce qu’un continent peut apporter à d’autres continents dans l’émerveillement et le métissage artistique mondial. Si nos artistes ne dialoguent pas avec les autres créations esthétiques du monde, ils mourront. Tant mieux alors si la Biennale dialogue désormais aux confins des métissages, avec de meilleurs Picasso, de meilleurs Manet, des Gauguin plus fous encore, de meilleurs Manessier, de meilleurs Vinci.
Je repensais aux deux tableaux de Picasso revendus il y a peu, à 27 millions d’euros, soit près de 17 milliards F Cfa, et au Vinci récemment découvert et vendu à près de 450 millions de dollars, soit près de 270 milliards de F Cfa. Comment devant le vertige de tels chiffres, ne pas replacer l’art dans sa dignité et les artistes dans leurs droits au respect, au confort, à la reconnaissance ? C’est si injuste cette dignité des mendiants dont on habille nos artistes en Afrique ! Un marché de l’art africain crédible et puissamment pensé et encadré par un partenariat avec les plus puissantes institutions financières et bancaires africaines avec leurs homologues du Nord, pourrait faire rêver les héritiers de Pape Ibra Tall, Ibou Diouf, Bocar Diongue, Iba Ndiaye, Souley Keïta, Ndary Lô, l’éthiopien Zérihun Yetmgeta, le Zimbabwéen Tapfuma Gutsa, le Nigérian Muaina Oyélami, l’Algérien Malek Salah. Le Dak’Art doit avoir cette ambition et ne pas s’arrêter à rien d’autre qu’à des expositions in et off, des colloques, des remises de distinctions et des prix si faiblement dotés et vite oubliés ! C’est d’ailleurs ici l’occasion de rechercher et de trouver toutes les œuvres primées depuis la Biennale des arts de 1992 à nos jours, pour les exposer dans notre prochain Musée d’Art contemporain avec un espace dénommé «Regard sur les trésors nominés du Dak’Art depuis sa création».
C’est ici, à Dakar et nulle part ailleurs, que la terre se donne rendez-vous pour voir, admirer, l’art africain contemporain. Les suites et les retombées économiques sont immenses et dépassent notre attente, sans que nous essayions d’en consigner les statistiques, ce qui a toujours fait notre faiblesse non usurpée. Comment, diable, dans notre maladif manque de rigueur et de prospective, arrivons-nous d’ailleurs, avec deux sous, une brave organisation bien souvent boiteuse et plâtrée, à toujours étonner le monde ?
Il est midi et quoiqu’il arrive, la prochaine édition du Dak’Art, du 7 novembre 2024 au 7 décembre, sera encore une belle fête, même avec des impairs inhérents au poids d’une telle attente avec un public sourcilleux et exigeant venu du monde entier ! C’est notre secret à nous les grands et prodigieux Nègres ! Même avec des béquilles, on arrive à franchir des haies. Toutefois, la réussite existe toujours. Il suffit d’en payer le prix !
Amadou Lamine SALL
Poète
1er Secrétaire Général de la Biennale de Dakar, 1989-1993
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