Le scrutin de ce dimanche 17 novembre devrait nous valoir bien des enseignements. D’abord pour le pouvoir, il s’agira de voir si les nouvelles autorités issues de l’alternance du 24 mars 2024 vont faire comme leurs devancières. En plus simple, si Sonko mooy Sonko. En effet, si le leader de Pastef a réussi la prouesse de désigner un candidat et que celui-ci soit élu dès le premier tour avec plus de 2, 4 millions de voix, reste à voir si, après 8 mois de gouvernance calamiteuse et scabreuse, la cote de popularité du parti au pouvoir est toujours intacte ou s’est effritée. Sonko fera-t-il mieux que Macky-Wade ? En 2012, lors de la seconde alternance, Macky Sall, après avoir obtenu 719 000 voix au premier tour et presque 2 millions au second tour, avait fait plus d’1, 040 million de voix aux Législatives, quatre mois après. Quant à Wade, en 2000, après 518 000 voix au premier tour et 969 000 au second, il s’était retrouvé, un an plus tard, avec 930 000 aux Législatives de 2001. C’est dire que Sonko doit faire autant, sinon plus, pour prouver que c’est bien lui qui a la faveur de l’électorat. A défaut, Bassirou Diomaye Faye aura gagné ses galons de légitimité devant Ousmane Sonko.

Lire la chronique – Benno Bokk Pastef en marche

L’autre enseignement qui devrait ressortir de ces joutes anticipées est de savoir qui de Macky Sall ou de Amadou Ba aura les faveurs du 1, 6 million d’électeurs qui ont avait voté pour le candidat de Bby en mars 2024. La tête de liste de la Coalition Jamm ak njariñ a-t-il effectivement saigné le parti de Macky Sall ? Toujours est-il que l’ancien chef de l’Etat, pour endiguer les départs massifs vers son ancien Premier ministre, est revenu plus tôt que prévu dans le jeu politique en devenant tête de liste de la Coalition Takku Wallu Senegaal. Seulement, une campagne en télétravail, pour ne pas dire une campagne via WhatsApp, aura-t-elle le même effet qu’une présence réelle sur le terrain ?

Dakar, c’est au moins 10 députés
Le défi générationnel et une place de chef de l’opposition restent l’objectif de Barthélemy Dias, Bougane Guèye Dany, Thierno Bocoum et consorts, regroupés au sein de la Coalition Samm sa kaddu. Mais le plus important, c’est sans doute la bataille de Dakar. Dias aura à prouver qu’il ne doit pas à Sonko son élection comme premier magistrat de la Ville de Dakar. Mais au-delà, c’est aussi une bataille pour presque un groupe parlementaire. Dakar-département, ce sont les 7 députés, mais aussi les 3 ou 4 que cela pourrait rapporter sur la liste nationale. Donc, c’est au moins 10 députés, presque un groupe parlementaire.
Ce dimanche 17 novembre, après une campagne calme mais un peu tumultueuse par moments, nous voici arrivés à un tournant de notre histoire politique. Nous voici face à un drame cornélien : faire confiance à des aventuriers ou essayer de donner une nouvelle trajectoire à la marche du pays après 8 mois d’aventures, d’incertitudes, de difficultés de tous genres, de pilotage à vue, de menaces sur les libertés et sur nos institutions. Et la plus grande menace sur nos institutions reste le Premier ministre qui étale sur la place publique des secrets liés à la Sécurité nationale, s’il ne s’en prend pas à notre Justice, aux médias, à la Société civile. Disons à tout le monde. Le président de la République n’étant même pas épargné.

Lire la chronique – Mille milliards de bobards de la banque du mensonge

La «faillite de l’Etat»

En effet, beaucoup avaient pensé à un lapsus après l’avoir entendu dire que le ministre de la Justice l’avait contacté pour la conduite à tenir après une arrestation d’un militant de Pastef. Mais après sa dernière sortie suite aux regrettables échauffourées avec les partisans de Barthélemy Dias, Ousmane Sonko s’est présenté en homme au-dessus de tout et de tout le monde. «Le pays a changé, c’est moi le Premier ministre du Sénégal. En tant que Pm, j’ai les privilèges de donner des instructions au ministre de l’Intérieur, au procureur et au ministre de la Justice. Le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, n’est pas indépendant, car il est sous les ordres. Le ministre de la Justice, c’est une autorité politique, ce n’est pas une autorité judiciaire. Que personne ne fasse croire au ministre de la Justice qu’il est indépendant. Je peux lui donner l’ordre de poursuivre par exemple Déthié Fall. Et, il n’aura pas d’autre possibilité que de saisir le procureur afin de poursuivre Déthié. Le ministre de l’Intérieur, lui aussi, fait partie de mon gouvernement. Je les ai tous consultés avant de les proposer au président de la République Monsieur Bassirou Diomaye Diakhar Faye, qui a validé. C’est ça le gouvernement du Sénégal.» En clair, je suis l’alpha et l’oméga, je décide de tout, j’ai droit de vie et de mort sur tout le monde. Et même de la sentence que les juges du siège doivent donner. N’est-ce pas qu’il s’est permis de contester la sanction infligée à Ameth Ndoye ? En effet, même pour la libération de Ameth Ndoye, le Premier ministre n’est pas d’accord sur la peine prononcée par le Tribunal, et il ne se gêne pas de le dire publiquement dans une caravane. Il confirme ainsi que le chroniqueur le dérangeait terriblement, car il aurait voulu une condamnation plus lourde de la part des magistrats du siège, qui ont peut-être subi des pressions dans ce sens. Au tribunal, ce n’est pas le procureur aux ordres du Garde des sceaux qui décide du sort ou de la sentence d’un prévenu.

Lire la chronique – Ce cinéma qui nous a valu tant de morts

Sauver le Président Diomaye de Sonko

Il demeure ainsi évident qu’il faut sauver le Président Diomaye de Sonko, car un Premier ministre qui dit publiquement avoir «interpellé le président de la République en personne» et qui remet en cause la diligence ou l’efficacité des services de sécurité publique, est un danger pour la République. Il a pointé la «faillite de l’Etat» dont il a la lourde tâche de conduire la destinée. Sa faillite ! Mettant directement en cause la responsabilité des ministres Jean-Baptiste Tine et Ousmane Diagne. Ces propos n’ont pas été tenus par des opposants du pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, mais bien par les tenants de ce même pouvoir. «Notre convoi a été attaqué trois fois et il n’y a eu aucune arrestation. Ceci montre la faillite de l’Etat», a déclaré Ousmane Sonko, qui a voulu séparer sa fonction de chef de parti de celle de chef du gouvernement, sans y parvenir. Le Fonds monétaire international vient de suspendre sa collaboration avec le Sénégal après que le Premier ministre a publiquement traité notre pays et ses hauts fonctionnaires de faussaires. Et cela fait suite à la dégradation de sa notation par les agences de notation Moody’s et Standard & Poor’s.

La cohabitation pour contrôler l’Exécutif

Tout ce qui précède fait que le Sénégal se doit d’essayer l’équilibre des institutions. Faire en sorte que le Sénégal ne sombre pas dans le chaos, mais surtout permettre au président de la République d’avoir les coudées franches et de pouvoir jouer pleinement son rôle de clé de voûte et de garant de la stabilité institutionnelle. En effet, essayer la cohabitation n’est pas une si mauvaise chose, dès l’instant que Ousmane Sonko a lui-même dit qu’il ne faut pas «concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’un seul clan politique». Et qu’il y a lieu de «contrôler» l’Exécutif avec un Parlement qu’il ne domine pas. «De façon simple, la cohabitation, c’est le partage du pouvoir entre le président de la République et l’opposition si celle-ci obtient la majorité à l’Assemblée nationale à l’issue d’élections législatives (…). En période de cohabitation, l’action politique est contrôlée par l’opposition majoritaire à l’Assemblée nationale», nous disait Ngouda Mboup en 2022, ajoutant qu’avec la cohabitation, «les pouvoirs présidentiels seront mieux encadrés». En cas de cohabitation, le président de la République va gérer la politique étrangère et les grandes options, le Premier ministre va gouverner avec la majorité parlementaire. «Le président de la République, en tant que chef de parti politique ou de coalition politique minoritaire à l’Assemblée nationale, va devenir le chef de l’opposition !», a-t-il expliqué. En plus simple, le président de la République va toujours gérer les Affaires étrangères et la Défense, et devrait, au nom de l’intérêt supérieur de la Nation, trouver des compromis avec l’Assemblée nationale, par exemple sur la ratification des traités négociés par le Président. Et le président de la République garde la prérogative de déterminer la politique de la Nation.

En l’absence de compromis, le Premier ministre et sa majorité parlementaire pourraient empêcher le président de la République de mettre en œuvre sa politique ou une partie de sa politique. L’Assemblée nationale pourrait retarder, bloquer ou rejeter certaines mesures ou actions du président de la République. Par exemple, à l’occasion de la discussion et du vote du budget de l’Etat, l’Assemblée nationale pourrait l’amender substantiellement, changer ses grandes orientations, voire le rejeter tout simplement (article 68 de la Constitution). En cas de vote de rejet de la Loi de finances, la Constitution permet au président de la République de reconduire, par décret, les services votés.

La cohabitation est ainsi signe de vitalité démocratique, du moment que le suffrage universel est le critère convenu de la démocratie. Le Sénégal doit être au-dessus de tout et les acteurs politiques doivent se parler pour tirer le pays vers le haut.
Par Bachir FOFANA