La quatrième édition du Harm Reduction Exchange s’est tenue à Nairobi le 27 novembre dernier. Cette rencontre, portant sur les avancées et innovations en matière de réduction de risques, a réuni, pour cette édition, des chercheurs, scientifiques, médecins, acteurs des médias, législateurs et opérateurs économiques pour discuter des initiatives visant à préserver du mieux la santé et contenir les pratiques à risque. Le rôle des avancées scientifiques dans la mise en place de législations adéquates et pleinement efficientes en Afrique a été le point essentiel des échanges.Par Serigne Saliou DIAGNE (Envoyé spécial à Nairobi)

– Face à la consommation d’alcool, de tabac et la prolifération de certaines formes de dépendance, l’encadrement de ces pratiques occupe une grande place, poussant à une multiplication d’initiatives pour réduire les risques. Dans la gestion de la santé publique, il est essentiel que les Etats mettent en place des lois et règlements préservant la santé de leurs citoyens, et cela se fait avec une contribution majeure de la recherche scientifique. Dans toutes les stratégies de réduction de risques, l’objectif majeur est le changement de perception sociétale et surtout la préservation de la vie humaine. A titre illustratif, l’usage du tabac reste la cause majeure de décès entraînés par une dépendance avec près de 8 millions de morts par an à l’échelle mondiale. C’est en cherchant à avoir un impact positif sur le plan personnel et dans la conduite des individus qu’on arrive à avoir un impact plus global en termes de santé communautaire. Et la Suède est un exemple parlant dans sa lutte contre les addictions comme celle au tabac. Ce pays aura réussi, en quelques décennies, à réduire drastiquement sa population d’adultes fumeurs en conduisant des réformes et mesures inspirées des résultats d’expériences scientifiques. En Afrique, les chercheurs ayant participé aux sessions du Harm Reduction Exchange s’accordent à dire qu’il faut permettre l’innovation dans la réduction des dommages à travers la science, en prônant des politiques opérantes et conformes aux réalités des pays, pour garantir des consommations saines et n’étant pas à risque pour les populations.

Sur ce registre, Dr Tendai Mhizha, qui animait la conférence inaugurale, soutient qu’il y va d’une souveraineté du continent pour réguler du mieux afin d’avoir des cadres législatifs similaires à ceux de pays beaucoup plus prospères économiquement. Il faut éviter à tout prix d’être un espace avec des régulations molles pour se faire envahir par tous types de produits qui, à terme, nuiront à l’équilibre sanitaire de nos nations. La menace de voir l’Afrique devenir un dépôt de produits contrefaits ou de produits prenant peu en compte les conséquences sanitaires sur un long terme est réelle. Beaucoup d’industriels et opérateurs économiques du continent soutiennent investir massivement dans la recherche pour offrir à leurs consommateurs des produits conformes sur les marchés africains, en refusant de se faire des débouchés de produits qui ne sont plus à l’ère du temps ailleurs.

La chercheure kenyane Vivianne Manyeki, qui conduit plusieurs travaux sur les addictions en Afrique, part du principe que dans les stratégies de réduction des risques, il faut partir avec une vérité au départ, toutes les personnes n’abandonneront pas leurs pratiques, de même que l’abandon ne peut se faire de façon immédiate. C’est un processus à encadrer sur un temps long, en misant sur une dynamique empirique, afin de corriger les comportements en se référant aux données et en prenant en compte le point de vue des personnes intéressées au premier plan. Elle donne les exemples du Malawi et du Sénégal qui, dans la réduction des risques, ont mis sur pied des centres dédiés prônant une approche conciliante, en veillant à ce que les solutions préconisées soient accessibles aux personnes qui en ont le plus besoin.

Le rôle essentiel des médias
Les travaux du Harm Reduction Exchange n’ont pas manqué de souligner le rôle-clé des médias dans la conduite des différentes stratégies de réduction des risques. Que ce soit pour l’alcool, le tabac, les jeux de hasard, la conduite responsable au volant ou les violences conjugales, il y a un rôle de veille et de conscientisation qui est du ressort des médias. Pour plusieurs chercheurs, les médias dans ce rôle ne doivent pas faire l’erreur de se voir en prescripteurs moraux ou en juges des pratiques conformes ou non. Il leur faut communiquer sur les sujets de façon responsable, nuancée et surtout avec une précision dans le langage évitant les confusions et la désinformation qui peuvent naître d’une mauvaise compréhension des enjeux et messages véhiculés. A cet effet, la Dr Mercy Korir aura fait un exposé détaillé sur l’importance des médias dans la conduite de toutes les politiques publiques de santé.

Elle part du paradigme qu’il y a avant tout un changement de la façon dont on a accès à l’information, avec un impact majeur des réseaux sociaux dans l’éducation des citoyens, la prescription de conduite et l’adoption de choix de vie. Ce serait un leurre de penser que les réseaux sociaux ou les médias classiques ne peuvent influer sur les attitudes des individus et façonner d’une certaine manière les sociétés à court comme long terme. Pour la chercheure Mercy Korir, les médias classiques et les réseaux sociaux influencent tous sur les conduites et les attitudes. Le cas du Covid-19 sur les mesures barrières, tout le débat suscité par la vaccination auront fini de montrer que les médias font prospérer des bulles de réalités et des ilots de dogmes sur les approches à avoir en société qui sont assez durs à inverser une fois qu’ils font leur lit. Une invite est donc faite aux acteurs des médias à être le nœud entre le public et la recherche scientifique. Il y a une relation vitale de complicité qui doit exister pour préserver la santé publique et accompagner les stratégies pour une meilleure effectivité qui ne peut exclure une implication des médias. Dans la lutte contre le Covid-19, le paludisme, le Sida, les différentes formes de cancer, les médias embrassent pleinement un rôle de vigie. Dans le monde actuel, au vu du rapport entretenu par les citoyens avec l’information venant tous les canaux, les médias classiques ont un rôle de filtre ou de plateforme de vérification du contenu qui inonde les réseaux sociaux. Cela se justifie d’autant plus qu’il y a désormais une tendance des gens à confronter les éléments qu’ils voient sur les réseaux sociaux à ce qui se dit dans les médias classiques.
Les discussions du Harm Reduction Exchange mettent ainsi chacun des acteurs devant ses responsabilités afin de préserver la santé publique. Ni juge ni avocat, pas de propagande ou de prohibition, la science est le remède pour apporter des réponses adéquates après des expérimentations concrètes. On ne voit pas de pouvoirs publics en Afrique qui seraient hostiles à mettre sur leur agenda de telles politiques publiques, d’autant plus que l’objectif pour lequel tous convergent est le mieux-être sanitaire des populations.
saliou.diagne@lequotidien.sn