Le Harm Reduction Exchange aura été l’occasion d’échanger avec Dr Tendai Mhizha du Zimbabwe, qui est l’initiatrice d’un tel cadre d’échange. Plaidant pour davantage de ressources à mettre dans la recherche sur les pratiques de réduction des risques, elle estime qu’il y a un enjeu de souveraineté dans la façon dont l’Afrique conduit ses politiques publiques de santé.Vous avez présenté les politiques et pratiques de réduction des risques un peu partout dans le monde. On constate qu’en Afrique, les cadres législatifs commencent à intégrer davantage ce type de régulation dans les questions sanitaires. Comment analysez-vous un tel état de fait ?
Je crois qu’avant toute chose en Afrique, nous devons agir comme des Etats souverains pour comprendre que nous sommes les premiers responsables de la santé de nos populations et des dispositions qui encadrent celle-ci. Il faut dans le fonctionnement de nos sociétés, nous assurer de réduire le fardeau sur nos systèmes de santé avec la prolifération de maladies qui découlent souvent de comportements ou de pratiques à risque. C’est là que trouvent leur pertinence toutes les politiques et stratégies visant à réduire les risques. Nous suivons à l’échelle internationale beaucoup d’organisations qui veulent d’une certaine manière dicter ce que nous devons faire en termes de gestion de la santé des populations en Afrique, mais ces entités ne peuvent pas choisir ou définir les meilleures politiques publiques pour répondre aux questions sanitaires en Afrique et accompagner le progrès des pays africains. Il y a donc un grand enjeu de souveraineté.
Nous voyons dans la promotion de pratiques visant à réduire les risques que la science, la recherche et l’innovation sont les principaux moteurs pour aider à adapter la façon dont les questions sanitaires sont traitées pour les communautés africaines. Comment expliquez-vous qu’un tel paradigme soit de plus en plus embrassé en Afrique ?
Nous pensons qu’en Afrique, nous avons toujours été dans la recherche et la compréhension en profondeur de nos problématiques de santé. Plus la recherche est disponible, plus nous pouvons avoir des preuves que ce que nous allons faire va créer une différence en fin de compte et permettre d’éradiquer des maladies ou de réduire la diffusion de comportements ou attitudes à risque. Si nous savons que dans nos efforts, nous pouvons améliorer la vie des gens, nous devons le faire sans sourciller. C’est un tel paradigme qui explique les différents progrès dans les stratégies de réduction des risques en Afrique. Face à certaines dépendances, nous ne prêchons pas l’abstinence ou ne cherchons à normer les conduites. Nous veillons à éviter de contrôler les humains ou de tester leur détermination. C’est avec une telle logique que nous contenons les maux et que nous arrivons à réduire les effets des dommages. Au fondement de la réduction du risque en matière sanitaire, il y a donc ce souci. S’il y a une preuve scientifique qui dit qu’un schéma ou un cheminement particulier peut aider, nous pensons qu’il faut suivre cela.
Dans la prise de décision, il faut éviter de prendre des décisions englobantes et ne prenant en considération qu’une seule position ou des approches spécifiques. Nous devons dans la formulation de stratégies, regarder la réalité des situations et analyser vraiment la bonne façon de faire pour l’Afrique.
Vous parlez de choix et de stratégies basés sur les vérités et l’expérimentation scientifique. Dans ce combat pour des politiques publiques en santé inspirées par la science, les médias sont des partenaires-clés. Comment votre initiative compte-t-elle associer les médias à une meilleure visibilité des enjeux auprès du public africain ?
Comme nous le savons, les médias font office de quatrième pouvoir. Les médias sont à l’avant-garde de tout combat de conscientisation et aident à donner la bonne parole aux citoyens. Ils sont là pour parler pour les gens. Ils créent et influencent les attitudes envers différentes pratiques. C’est pourquoi l’information dont ils disposent en matière de santé doit être la plus précise et sans parti-pris. C’est critique pour que des choix raisonnés soient faits. Il faut aussi qu’on milite pour une orientation sur les innovations et les pratiques novatrices. L’innovation a changé le monde. Du cellulaire à toutes les formes de prouesses aujourd’hui, c’est l’innovation qui sert de locomotive. Dans la médecine, l’innovation est un gage de progrès humain. Alors, pourquoi ne pas appliquer cela dans les politiques publiques de santé ? Il doit y avoir des moyens en Afrique pour que nous soyons en bonne santé, et c’est sur ce chemin que les médias doivent nous accompagner.
De façon pratique, plus nous trouverons des moyens, plus nous pourrons offrir différentes alternatives aux gens pour prendre soin d’eux de la meilleure manière et d’avoir la possibilité de choisir. Or, nul ne peut choisir s’il ne sait pas. Vous conviendrez donc avec moi que le rôle des médias dans la conscientisation et la compréhension des enjeux sanitaires aidera les gens à mieux choisir pour améliorer leur propre santé.
Parlant de partenaires, au même titre que les médias, il y a les pouvoirs et les décideurs publics. Avez-vous un appel à faire aux législateurs un peu partout en Afrique ?
Comme vous avez pu le constater à cet événement, il y a eu la présence de quelques législateurs et autorités publiques. Nous souhaitons vraiment continuer dans ce sens à l’avenir, avec une représentation conséquente des politiciens, des législateurs et même des acteurs de la sécurité. C’est un tout avec différentes implications. Nous devons ainsi avoir tous les différents partenaires, les groupes de Société civile, les organisations confessionnelles et les cercles associatifs à la table. Prenons l’exemple du tabac, on ne peut pas mettre un cachet sur les fumeurs et vouloir les exclure des pratiques de réduction des risques juste parce qu’ils ne veulent pas arrêter. En procédant de la sorte, on encourage le fait qu’ils soient marginalisés, stigmatisés, et on peut malheureusement les inciter vers des pratiques davantage dommageables. Nous cherchons à sauver des vies par les stratégies de réduction des risques. Il est donc essentiel de garder les canaux de discussion et d’échange ouverts dans ce processus.
Quels sont les prochains pas de votre initiative ?
Tout le monde doit avoir un siège à la table, tout le monde doit être là pour que nous puissions aller de l’avant. Notre pari est celui de l’inclusion. Si nous ne parlons que d’un côté de la table et pas de l’autre, il y aura forcément des obstacles et des barrières. C’est en étant tous ensemble et en confrontant toutes les expériences qu’on peut trouver le plus d’occurrences et de preuves que ce que nous faisons est positif et génère du bien. Nous allons travailler à trouver des fonds pour plus d’études, pour aller plus dans le sens de l’innovation. Il faudra qu’on permette à tous d’entendre parler des pratiques innovantes et d’être en mesure de faire les choix raisonnés.
Par Serigne Saliou DIAGNE (Envoyé spécial à Nairobi) – saliou.diagne@lequotidien.sn