Quand les hors-la-loi de Pastef brandissent la loi

La liste des victimes du cynisme de Pastef s’est allongée : Barthélemy Dias, jadis «dôm’ou ndèye» de son bourreau d’aujourd’hui, s’est taillé la part du lion, pour le moment. Il a été broyé comme une graine de mil : quelques jours après la perte de son mandat de député, c’est la mairie de Dakar, si stratégique pour le pouvoir comme pour l’opposition, qui lui a été arrachée. Son inimitié spectaculaire envers Ousmane Sonko, le nouveau dieu de la brousse, a été suicidaire. Les observateurs avertis s’attendaient à ce qu’il soit politiquement liquidé. Ousmane ne rate jamais ses cibles.
Il faut être d’une extrême naïveté ou d’une mauvaise foi irréprochable pour penser que ce sont les lois qui ont décidé de son sort. La loi, sous le règne de Sonko, et il l’a publiquement déclaré, sera téléguidée au prorata de ses désirs, de ses fantasmes. C’est lui le «chef du ministre de la Justice», lequel doit le suivre jusque dans la folie, a-t-il déclaré. Sans honte. La Justice, c’est sa justice, celle qui permettra d’envoyer les journalistes récalcitrants dans les geôles pour qu’ils y pourrissent.
Ousmane Sonko, opposant, a toujours martelé que cette cabale judiciaire remontant aux années Wade était motivée par la volonté de Macky Sall de s’offrir la peau de Barth’. Au pouvoir, il utilise ce même dossier pour se débarrasser d’un adversaire politique. C’est dire à quel point les discours de cet homme sont doucereux et versatiles. Mais les paroles d’un démiurge n’ont pas besoin d’être cohérentes pour être ingurgitées.
Le drame de l’histoire, c’est quand les hors-la-loi de Pastef arguent, pour justifier cette honteuse forfaiture de leur machine totalitaire, que la loi a été appliquée. La versatilité de la vie, c’est quand les bohèmes d’hier s’érigent, aujourd’hui, en légalistes-républicains. A qui veut l’entendre, ils clament : «La loi, dans toute sa rigueur, a été appliquée.» «La loi est dure mais reste la loi.» «La Justice a fait son travail.» C’est hallucinant. Du jamais vu.
Faut-il rappeler à ces gens, s’ils font mine de l’oublier, la manière dont ils se sont opposés. Faut-il leur rappeler que, il n’y pas longtemps, leur leader, opposant déchaîné, avait appelé à l’assassinat du Président régulièrement élu, de le traîner dans la rue comme un dictateur déchu. Impossible d’oublier que Ousmane Sonko a ouvertement appelé à une défiance catégorique contre la Justice parce que, disait-il, celle-ci était aux ordres du prince d’hier. Le rappel profite aux croyants, fussent-ils d’une religion fondamentaliste, totalitaire.
Pastef est un parti politique frondeur, anti-républicain, anti-démocratique. Il est une menace contre la démocratie, contre la République. Depuis sa création, son leader n’a fait que systématiser la violence et l’insulte au point d’en faire un dogme. Celui-ci, si sacré, est protégé, les armes en bandoulière, de toutes formes de profanation. Ceux qui ne pensent pas comme eux sont tout simplement des ennemis. Cette formation politique est congénitalement belliqueuse.
La critique de Simone Weil des partis politiques colle parfaitement à Pastef. Dans sa «Note sur la suppression générale des partis politiques», elle nous dit que les partis, contrairement à l’idée de gage de démocratie qu’on leur attribue, portent en eux-mêmes les germes du totalitarisme. La raison qu’elle donne est toute simple : un parti n’est pas un lieu où l’on pense, mais où l’on exécute des décisions. Un parti politique, dit-elle, est une machine à fabriquer de la passion collective ; il est donc, à l’instar du parti Pastef, une pensée unique.
Ce parti, violent parce que manichéen, avec son leader en seigneur de guerre, s’est toujours opposé par bravades contre les institutions de la République. Celles-ci -toujours là, comme dans leur essence- étaient de Macky Sall. Il fallait donc les profaner, œuvrer à ce qu’elles soient torpillées. Devant une convocation à la Justice, il fallait répondre par la défiance, car la sentence était déjà prononcée. Les magistrats n’étaient là que pour obéir à des ordres, comme des marionnettes. C’est ce que Pastef a fait. Et cela va continuer.
Pastef n’a pas de leçon de démocratie, de Justice, de République, de respect des institutions à donner à qui que ce soit. Il est inimaginable que ces gens-là, ennemis d’hier de la République, se permettent de jouer aux républicains des temps modernes.
En attendant que Barth’ épuise ses voies légales de recours, regardons, les bras croisés, Pastef démantibuler ses adversaires. C’est la loi des vainqueurs.
Malheureux seront les vaincus. Væ victis ! La vengeance est un plat qui se mange froid. Ils ripailleront, car se venger est l’unique mets qu’ils savent cuisiner. Ils en ont déjà mijoté des tonnes. Ceux qui s’opposent au «Projet» sont à traquer et à jeter à Saidnaya – hommage aux révolutionnaires syriens.
Diomaye, lui, continue ses pérégrinations, bivouaque partout, joue au globe-trotter. Il veut faire le tour du monde en quelques mois, j’imagine. Ce ne serait pas mal, non ? Il faut profiter de l’argent des Sénégalais -qui piaffent d’impatience en attendant de cueillir enfin les premiers fruits du fameux «Projet»- pour aller visiter la Terre, immortaliser des moments qui, même dans un rêve, étaient inimaginables. Miraculé au parcours famélique, rien n’augurait à ce qu’il cornaque notre navire. C’est ça aussi la vie, elle nous réserve parfois de grandes surprises, aussi belles que cauchemardesques. Diomaye le sait. Disons qu’il profite de l’instant présent.
Pour ma part, je vais célébrer Senghor, l’un des plus illustres Sénégalais. Sinon le plus illustre. J’ai vu un journaliste -enfin si même on peut l’appeler ainsi !- fustiger une exposition sur son œuvre qui lui a été consacrée à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de la Foire internationale de Dakar (Fidak). Senghor, estime-t-il, était un dictateur aux mains maculées de sang, donc il ne doit nullement être célébré. Il ne mérite pas réponse, ce propos. Mais interpelle sur celui qui l’a émis. Le toilettage de la presse, vaillant ministre de la Communication qui communique mal, devrait commencer par ces journalistes-politiciens (souvent de Pastef) qui racontent tout et n’importe quoi. Libre à chacun d’être journaliste. Mais un peu de sérieux quand même.
Ô Senghor, le «Sédar», celui qui n’a jamais connu la honte dans sa vie. Nos maîtres d’aujourd’hui, déjà bourrés de honte en quelques mois de Gouver-nance, pourraient s’inspirer de lui…
Hypothèse invraisemblable : ils se réclament panafricanistes, partisans de Dia pour l’exceptionnel Premier ministre par exemple, alors que le poète-Président symbolise, à leurs yeux, le néocolonialisme, celui qui a trahi et emprisonné l’homme qui devait développer le Sénégal. Néocolonialisme, ce fourre-tout de toutes les âneries. Je pense aux militaires de l’Aes perdus dans les labyrinthes du pouvoir, mais trop jusqu’au-boutistes et enivrés par les dorures et lambris des palais présidentiels pour lâcher prise. Ils échoueront, c’est certain, mais à quel prix ? Voilà la question.
Baba DIENG
diengbaba@icloud.com
1 Comments
Très belle analyse de la situation politico-judiciaire de notre cher pays. Pauvre Sénégal, pauvre « sunugaal ». À quand on va le travailler ? À quand le « gaal » va démarrer ? J’avais omis, il n’a pas de capitaine.