Ce jeudi, je suis allé voir mon ami Moustapha Diakhaté, détenu politique à la chambre 42 de la prison de Rebeuss. J’ai trouvé un homme à l’exquise courtoisie. Il m’a bien fait rire, fidèle à son humour et à sa capacité à toujours avoir une lecture politique du cours des choses. C’est sa passion pour l’histoire qui lui permet de penser les choses en les réinvestissant dans un cadre plus large et dans le temps long pour en saisir les nuances et les réels enjeux. Moustapha a déjà terminé onze livres. Il m’a demandé de lui faire parvenir le Discours sur la servitude volontaire de La Boétie. Ce qui fut fait le lendemain. Les caisses de résonance qui célèbrent l’arrestation d’un militant politique pour ses opinions, ces chantres de l’obscurantisme, n’ont jamais rien lu à l’image de leur gourou, qui n’a jamais ouvert la page d’un livre. Le savoir est leur adversaire. Ils ont avec eux la vacuité qui nourrit l’arrogance et la témérité. L’inculture des responsables publics pour moi est l’un des plus grands dangers pour un pays.
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Moustapha passe donc ses journées à lire et à écrire, pour documenter le temps qui passe, ponctué de privations certes, mais auréolé de victoires futures pour les nôtres, partisans d’un attachement sans relâche à ce qui fait de nous un peuple sans couture. Il m’a fait penser à un des monuments de la pensée politique, Antonio Gramsci, auquel je me réfère tant, et qui a écrit l’œuvre de sa vie, Les Cahiers de prison, justement en prison ; somme vertigineuse dans laquelle il développa une pensée rigoureuse sur ce qu’il appela la philosophie de la praxis. Idéologiquement, Moustapha est un libéral assumé, partisan du moins d’Etat, mais il est surtout un intellectuel engagé en politique, soucieux de son rôle de tribun au service de la patrie républicaine. En prison, il ne déroge pas à sa ligne, celle d’un républicain total et d’un militant du progrès social.
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Quelqu’un me faisait remarquer le silence des intellectuels jadis hardis dans la lutte contre la judiciarisation du débat public et contre la répression par la prison des opinions considérées comme contraires à celles du Prince. J’ai répondu qu’on observait un effet de mode chez de nombreux intellectuels et universitaires, des adeptes d’une sorte de Fashion week de l’engagement. La saison des jets de projectiles sur la figure du régime précédent avait été décrétée dans les officines et tout le monde y allait de sa pétition nerveuse ou de sa tribune énervée. Désormais, l’heure est au partage du butin de guerre dont Idrissa Seck nous a appris à nous méfier, car elle préfigure les problèmes sur la part de chacun. Mais avant que les querelles ne surgissent, la nuit des longues attentes déroule son voile sur leur capacité d’indignation désormais anesthésiée. D’ailleurs, à ce propos, je n’ai eu pas connaissance de la réaction de Mamadou Diouf après qu’un pilier du système a insulté les tirailleurs sénégalais que le même Diouf célébrait récemment. Aucun membre du comité Théodule mis en place n’a daigné contrarier le complotiste anobli par la dignité ministérielle. Ni un passage à l’émission Objection, où manifestement certains ont leur rond de serviette, ni une tribune écrite hâtivement, mal écrit sur Seneplus… On ne parle pas la bouche plein dit l’adage .
Tenir au fil sacré de la République, c’est savoir renoncer aux petits privilèges qui poussent à terme à un renoncement à la simple humanité.
Mon ami Ibou Fall rappelle souvent qu’un changement de régime sous nos tropiques est une transmutation de classe. Les marginaux d’hier deviennent les élus du jour. Le business lui, se poursuit. Surtout que désormais le populisme a érigé une frontière entre les uns et les autres. La patrie républicaine est happée par des marchands de mort et des charognards. Journalistes corrompus, universitaires incultes et intellectuels faussaires se liguent pour braquer la République et remettre tout à plat. Le mérite, le travail acharné, la vérité scientifique, la raison n’ont plus cours. Il s’agit désormais de panser les blessures de l’aigreur, de profiter de l’ignorance et de l’inculture des tenants de la machine de l’Etat pour obtenir sa breloque de «patriote», de «nationaliste» ou de «souverainiste», ces mots vaseux, en vérité issus d’une pudeur de gazelle pour ne pas nommer les choses. Chez moi on dit facho. Il faut s’inquiéter quand la hantise de la caste d’intellectuels et d’universitaires est de retourner rapidement à la niche ; quand son obsession est de plaire, de récolter une gloire, aussi infime et fugace soit-elle. Se crée ainsi une société politique dévitalisée, où l’opportunisme et la couardise ont élu domicile. Où sont les pétitionnaires quand la composition du Conseil supérieur de la magistrature est encore la même ? Que disent-ils des arrestations sur des motifs aussi risibles que celui qui a fait condamner Moustapha Diakhaté ? Que signifie pour ces doctes la trahison de la parole et de la signature le 12 septembre dernier, alors qu’ils arguaient que le débat sur le 3ème mandat était d’abord une affaire de respect de la parole ?
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Une caste de malhabiles et de laudateurs s’érige pour constituer une avant-garde prétorienne afin de vivre de la rente politicienne. Parmi eux, l’un évoque, avec le zèle des transhumants professionnels, un «exploit constitutionnel». Un autre crie que les régimes précédents étaient «dans un silence coupable et complice» à propos de Thiaroye, tronquant sans fard les faits historiques. Quand même ballot pour un historien.
Les plus décents dans la compromission sont ceux qui ont préféré se lover dans le silence gênant, attendant une position en guise de retour sur investissement.
Notre pays clôt cette année 2024 rude et inédite. Le Sénégal, à l’instar d’autres nations, vit son moment populiste. Il se caractérise par une valorisation de l’incompétence technique, de la vacuité intellectuelle et de la brutalité dans les méthodes. Depuis 8 mois, et encore ce 27 décembre, le pays vit au rythme des déclarations aussi pénibles qu’empreintes de généralités. Aucun propos mesuré, aucune proposition sérieuse, aucune réalisation. Une litanie de menaces, d’accusations graveleuses, de curiosités et de mise à nue d’une réelle impréparation. Mais cela ne change nullement la donne et il faut le rappeler sans cesse ; les Sénégalais ont fait un choix clair le 24 mars. Ils ont confié les clefs du pays à des gens sur la base de promesses et par le fait d’un immense espoir. Il faut en prendre acte car le Peuple en démocratie en dernier lieu est toujours le souverain pour trancher les divergences d’offres et de projets de société. Mais il faut aussi prédire au regard des faits, que nous récolterons un abaissement moral, un recul économique et une polarisation accrue au sein de la Nation.
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La peste brune avance et recouvre de sa nuit noire le corps social du pays et le visage des républicains. Intellectuels debout, militants progressistes et journalistes libres sont en alerte car il s’agit de leur responsabilité de faire face à toute tentative de siphonner les droits et de rétrécir les libertés. Nous nous mettrons sur les barricades pour lancer une insurrection citoyenne dont le moteur sera la République ; la République seule ; la République jusqu’au bout.
Partout dans l’histoire politique, les meilleurs parmi les nôtres ont pris leurs responsabilités quand les plus irréductibles adversaires de la République, de la laïcité, de la liberté et des lumières que charrient la raison et la science, ont tenté de fermer les espaces de respiration démocratique. Ils ont pris le maquis de la résistance pour mener la charge de la contre-insurrection citoyenne et républicaine. C’est le défi des nôtres aujourd’hui, faire face d’abord pour conjurer la tentation de l’hiver brun. Mais ceci n’est qu’une étape, une autre plus importante, plus cruciale attend les Républicains, les démocrates, les patriotes et les progressistes : proposer une alternative révolutionnaire, crédible et porteuse d’espérance. Il nous faut bâtir une République sociale garante de la laïcité et soucieuse de l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé et à la sécurité ; une République qui libère les millions de jeunes dans les zones urbaines des chaînes affreuses de l’ignorance, de la précarité et de la servitude volontaire. Il est aussi possible de redonner au Sénégal son prestige sur la scène internationale, sans xénophobie ni choix aventurier comme celui fait par les juntes voisines. Le Sénégal est un grand peuple qui mérite mieux que la haine érigée en système de gouvernance. Pour 2025, c’est à ce travail-là que j’envisage de m’atteler avec sérieux, rigueur et méthode.
Je souhaite bonne année aux Républicaines et aux Républicains, à toutes celles et ceux qui font des défaites d’hier un ferment pour nos victoires futures. Je forme le vœu d’une année où les graines de la résistance semées donneront les fruits de l’espérance.
Ora et labora !
Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn