Il y a un projet politique…Mais il y a aussi un appareil qu’on appelle «l’Etat». Pour Elimane Haby Kane, bien sûr, on peut avoir un projet politique, mais il faut justement un distinguo entre l’action du parti politique et les responsabilités républicaines liées à l’exercice du pouvoir. Président du think tank Legs-Africa, il indique qu’un projet politique porté par un parti doit devenir, une fois élu, un «projet national», accessible à tous les citoyens, indépendamment de leur appartenance politique.Par Ousmane SOW –

Elimane Haby Kane jette son regard sur les rapports que les responsables du parti au pouvoir, Pastef, ont avec l’Etat, depuis leur arrivée aux affaires. Interrogé hier sur la radio privée Sud Fm dont il était l’invité de l’émission «Objection», le président du Think-tank Legs Africa ne s’est pas fait prier pour livrer une analyse sans complaisance sur la primauté du parti Pastef sur l’Etat. Ainsi, ce responsable de la Société civile déclare à ce sujet : «Oui, on peut avoir un projet politique pour dire que voilà le Sénégal que nous voulons. C’est comme ça que notre démocratie est organisée. Mais ce projet, on le propose aux Sénégalais pour qu’ils l’acceptent. Ceci n’a rien à voir dans une démocratie moderne comme celle à laquelle nous aspirons. A dire que ce projet, c’est mon projet, c’est moi qui l’applique au détriment de tout le reste. Parce que déjà, un premier facteur qui fait la différence, c’est que ce n’est pas seulement les membres d’un parti politique qui élisent le président de la République. Tout le monde sait que les partis politiques dans ce pays peuvent avoir une force de frappe comme c’est le cas de Pastef, il faut reconnaître cela. Mais si seulement ce sont les militants de Pastef qui allaient voter, je ne pense pas que leur candidat serait Président.»

Elimane Haby Kane pointe un manque de rupture entre posture partisane et gestion républicaine. «Il n’y a pas cet élément de distanciation qui devrait être l’élément de rupture par rapport à une posture partisane et à une nouvelle posture républicaine. Pour gouverner, il faut de l’équité, il faut des lois impersonnelles, des institutions impersonnelles et que tout le monde devrait être considéré au même pied en tant que Sénégalais. Du mo­ment où on élit un Président, le projet devient un projet républicain national. Et le président de la République, il est le président de tous les Sénégalais, et c’est à lui que revient cette responsabilité de définir la politique de la Nation. Mais pas au président du parti au pouvoir. Voyez-vous ? Déjà qu’il y a cette différence, et que justement, ce même parti, ayant compris cela dans sa constitution, avait prévu qu’une fois élu, le président de la République, fut-il le chef du parti, doit démissionner. C’est donc assez clair qu’on ne peut pas gérer le pays, l’appareil d’Etat et les institutions sur la seule base, sur l’unique logique partisane. Ça c’est incohérent même par rapport au parti Pastef lui-même», explique-t-il. Analy­sant cette situation, il a souligné que cette confusion renvoie à des pratiques du passé, comparables à celles des débuts de l’indépen­dance. «C’est une situation préoccupante et difficile à gérer. Tout changement doit être une évolution. Mais on se rend compte que par rapport aux faits, c’est comme si nous sommes en train de vivre un retard de 60 ans, ce qui n’est pas acceptable pour une société qui aspire au progrès. Vous vous rappelez bien, dans les rapports entre Senghor et Mamadou Dia, le fond du problème, c’était la priorité du parti sur l’Etat…Et donc, je pense qu’il y a un problème, un malentendu, qu’il faut rapidement régler», enchaîne Elimane Haby Kane, en estimant que le parti Pastef semble lui-même dépassé par l’élan populaire et l’usage des réseaux sociaux. Cependant, face à cette confusion entre parti et Etat, le président du think tank Legs-Africa appelle à un retour aux principes républicains et au respect des institutions.

«A ce niveau, tout le monde est débordé, y compris les responsables du parti. Vous voyez les réactions, ça se fait à travers les réseaux sociaux. Des gens qui ont des charges régaliennes donc républicaines, mais qui se comportent dans une logique purement partisane et parfois même en contradiction avec la logique suprême définie par le chef de l’Etat. Il faut dépasser ça rapidement et revenir sur l’orthodoxie et aux principes de la République. Et si on tient à la stabilité républicaine et institutionnelle, il faut un minimum de respect», a-t-il laissé entendre. Toutefois, il élargit son analyse à une critique des partis politiques sénégalais en général, qu’il accuse de dévier de leur mission première, à savoir former des citoyens responsables. «Les partis politiques sont les premières institutions qui ne respectent pas la loi. Ils ont dévié depuis longtemps leurs missions de formation à la citoyenneté de leurs membres. Et dans ce pays, depuis un certain temps, ce sont les leaders de partis politiques qui décident à la place de toute une masse», déplore-t-il.