Le ministre du Commerce et de l’industrie, M. Serigne Guèye Diop, fait montre de beaucoup d’activisme dans les médias et sur les réseaux sociaux. Cet homme, qui gère des secteurs parmi les plus stratégiques du gouvernement, veut montrer qu’il est en mesure de régler les problèmes les plus cruciaux du pays. L’un de ses plus gros soucis semble être de redresser la balance commerciale irrésistiblement déficitaire du Sénégal. Plus le temps passe, plus elle se creuse en notre défaveur. Les données officielles montraient que le déficit commercial, en octobre 2024, était de 342,4 milliards, alors que le mois précédent, le même déficit était à 121,6 milliards de Cfa.
L’écart entre nos exportations et nos importations est causé principalement par l’achat à l’extérieur de ce que nous consommons. Très peu nombreux sont les produits du cru qui nourrissent les Sénégalais. Même dans les secteurs où le Sénégal pourrait se passer des importations, nous sommes obligés de recourir à l’extérieur. Comme beaucoup de ses prédécesseurs, Serigne Guèye Diop a sans doute la volonté de renverser la tendance. Faute de s’en donner les moyens, il ne fait pas mystère de ses priorités. Il veut sans doute reproduire au niveau national, l’expérience positive qu’il a eue en tant que président du Conseil départemental de Sandiara, où il a pu implanter une Zone franche qui a réussi à attirer divers investisseurs et entreprises industrielles.
Ainsi, on l’a entendu sur la chaîne nationale de télévision, la Rts1, déclarer que bientôt deux unités de production de sucre devraient voir le jour en Casamance naturelle, à travers la région de Kolda et celle de Ziguinchor. Le ministre a même affirmé que les études du projet auraient déjà été bouclées et les documents soumis au Premier ministre pour approbation. Sans présumer de ce qui pourrait en sortir, on ne peut que noter que ce n’est pas la première fois qu’il est question d’implanter une usine de production de sucre en Casamance. Déjà, en 2012, à l’arrivée du Président Macky Sall, son ministre de l’Agriculture de l’époque, Benoît Sambou, «drivé» par un Grand architecte spécialiste en éléphants blancs dans plusieurs pays d’Afrique, avait annoncé avoir mobilisé 50 milliards de Cfa pour la création d’une usine de sucre, d’une capacité de production, à l’époque, d’au moins 100 000 tonnes. Ces chiffres, s’ils avaient été basés sur une quelconque réalité, auraient permis, dès l’époque, d’en finir avec le déficit du Sénégal en matière de sucre. Le plus drôle, si l’on peut dire, est que Benoît Sambou, en migrant de l’Agriculture à la Jeunesse, a emporté avec lui le dossier de la compagnie sucrière, et on n’a plus entendu parler de l’affaire. Par contre, on a mis en avant un autre projet agricole, qui a donné naissance au Prodac…
La friperie, remplacée par la poussière du textile national
Plein de ressources, et surtout pas à court d’idées, le ministre du Commerce a annoncé un jour, plus vite que son cerveau, sa volonté d’en finir avec les importations de habits de seconde main, la friperie. On ne sait pas ce qui peut le motiver. Le Sénégal n’a plus d’industrie textile digne de ce nom, et les différentes politiques gouvernementales à travers des décennies, ont porté un coup mortel à la filière textile sénégalaise, qui était l’une des plus dynamiques d’Afrique. Peut-être que Serigne Guèye Diop pense-t-il que le blocage des vêtements de seconde main pourrait permettre de relancer l’industrie textile dans le pays, permettre de recréer des emplois et aider à peser sur la balance commerciale. L’ennui est que, très peu de jours après sa sortie fracassante, il a été obligé de rétropédaler et revenir, non pas sur ses déclarations, mais sur la manière dont elles auraient été rapportées. Ce qui explique tout simplement que, si la volonté y est, les moyens et les dispositions à mettre en place ne sont pas encore là.
Il faut tenir compte du fait qu’en 2021, ce sont plus de 17 000 tonnes de «feug jaay» (fripes), qui sont entrées de ce pays. Malheureusement, Le Quotidien n’a pu obtenir de chiffres concernant les droits d’entrée de ces produits au pays. Néanmoins, les informations concordent pour reconnaître que si les petits revendeurs de marchés ou de certains coins de quartiers s’en sortent juste avec de quoi entretenir leurs familles, les gros négociants n’ont pas matière à se plaindre de ces produits. Un moment concurrencée par les habits bon marchés en provenance de Chine, la friperie occidentale a maintenant le vent en poupe. Et les importateurs d’Amérique et d’Europe ne sont pas les derniers à se frotter les mains, car le marché comprend une très grande partie de pays africains.
On se rappelle que lors du premier mandat du Président américain Donald Trump, son «administration» (gouvernement) était entré en conflit avec des pays comme le Rwanda et l’Ouganda, qu’il a menacés de sanctions commerciales, et même de la cessation de certaines aides américaines. Le tort de ces pays ? Avoir annoncé leur intention d’interdire l’entrée de habits de seconde main sur leurs territoires, parce qu’ils contribuaient à tuer la production locale. L’argumentaire américain avait été de dire que les pauvres de ces pays pauvres n’avaient pas d’autre moyen pour se vêtir décemment, que de recourir au «feug jaay». On n’a plus entendu Museveni ou Kagame tenter de revenir sur cette affaire. On peut imaginer que parmi les préalables à la mise en œuvre éventuelle de cette décision, Serigne Guèye Diop et son gouvernement essaieront, s’ils en ont le moyen et la volonté, de relancer la filière cotonnière du pays.
Cela demandera de ne plus laisser aux seules mains de la Sodefitex, qui a été nationalisée, ne l’oublions pas, l’appui aux paysans de la zone sud-est du pays, où se cultive le coton. Revalorisée et mieux rémunérée, elle pourrait éventuellement intéresser les derniers producteurs textiles du pays, notamment Serigne Mboup qui veut relancer son usine de Kahone avec Domitexka, ou Ibrahima Macodou Fall, qui avait promis de relancer les Nsts de Thiès. Avec la disparition de la Sotiba Simpafric et d’autres producteurs textiles, on ne pourrait compter mettre en place, du jour au lendemain, une usine textile. Mais cet embryon d’industrie pourrait peut-être aider à la renaissance de la jadis dynamique industrie de confection du Sénégal dont seuls les vestiges qui restent sont les couturiers, qui sont vantés à travers l’Afrique pour leur talent et leur imagination.
La Casamance, c’est bien. Mais pourquoi pas la Css ?
Il en est de même des usines de sucre de la Casamance dont nous avons parlé plus haut. Depuis sa création, dans les années 1970, la Compagnie sucrière sénégalaise s’évertue à combler les besoins en sucre des Sénégalais. Ses dirigeants, Jean-Claude Mimran, son Pdg, en premier lieu, ont toujours déclaré aux Sénégalais, qu’ils n’avaient pas peur de la concurrence. Dans leur entendement, il y a assez de place pour deux ou trois autres usines de production. La Côte d’Ivoire ne possède-t-elle pas 5 usines de production de sucre ? Le Sénégal pourrait faire de même. Par contre, il ne faudrait pas que l’Etat se mette à encourager la contrebande en accordant des autorisations d’importer à des négociants dont l’apport sur la balance des paiements est proche de zéro. Souvent, ces négociants importateurs de sucre n’ont pas les mêmes charges que la Css qui, elle, produit et transforme tout son sucre sur place.
L’usine de Mimran est la première industrie du pays et l’un des plus gros employeurs de la région Nord du pays. Dans la conurbation Richard Toll-Dagana, elle emploie 8000 personnes et en fait vivre environ le double, à travers les métiers annexes et les boutiquiers et autres fournisseurs. Si elle monte en puissance dans sa production, elle est en butte, depuis plus de 10 ans, à une indisponibilité de terres dont elle dit qu’elle l’empêche d’augmenter ses récoltes.
L’idée de transposer des usines dans les régions du Sud du pays sera bénéfique si lesdites unités parviennent à casser le monopole de la production de la Css. Cette dernière ne l’a d’ailleurs jamais revendiqué. Il faudrait d’ailleurs féliciter Serigne Guèye Diop d’avoir pu trouver, en cette période, des investisseurs désireux de mettre 50 milliards de Cfa par deux fois, dans cette entreprise. C’est une initiative qui créera de l’emploi dans le pays, permettra de redynamiser une zone économique, et contribuera à freiner l’exode rural et l’émigration, illégale ou légale. Mais s’il ne s’agit que d’un rêve éveillé, comme au temps de Benoît Sambou et de son architecte, pourquoi ne pas accorder à la Css les moyens de réaliser ses promesses et ambitions ? Avec Mimran au moins, on a pu voir du concret à ce jour.
Des boutiques pour vendre des vessies à la place des lanternes
Ce serait mieux que de nous faire rêver avec des «boutiques de référence». On a le sentiment, à écouter notre ministre du Commerce, que nos dirigeants ne retiennent rien des leçons du passé, et ne regardent pas le chemin parcouru par leurs prédécesseurs. Depuis les Sonadis, le Sénégal a connu plusieurs modèles de boutiques de référence. Même le Président Abdoulaye Wade, en butte à la crise alimentaire mondiale de 2008, s’y était essayé. Le ministère du Commerce en son temps, a encouragé des initiatives privées d’installation de «magasins-témoins», qui devaient vendre à des prix planchers. Cela n’est pas allé au-delà de deux années. Les agents du Commerce intérieur, qui étaient en service en ce temps, devraient s’en rappeler et instruire leur chef. Ils lui diraient pourquoi ces initiatives n’ont pas prospéré, et ce qu’il faudrait faire pour éviter les échecs annoncés. Autrement, on peut s’attendre que Serigne Guèye Diop nous sorte encore bientôt, une autre fausse bonne idée, qui va se révéler sans effet, et entamer encore plus la crédibilité de la parole gouvernementale. C’est vrai qu’autour de la table du Conseil des ministres, M. Diop ne doit pas se sentir isolé. Il voit régulièrement un autre de ses collègues, qui a voulu nous vendre des vessies à la place des lanternes, en nous vantant des chiffres de production agricole, «jamais atteints dans ce pays». Tout le monde a pu se rendre compte à quel point il avait raison. Heureusement pour tous que l’un d’eux a pu découvrir que la faute en était à cet hivernage, qui n’est pas (leur) hivernage…
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn