Berlin, Sundance, Toronto, Nelson Makengo a prouvé son talent sur les festivals les plus prestigieux. L’auteur de «Tongo Saa» s’apprête à briller sur les écrans de Ouagadougou où son film est en compétition dans la section des longs métrages documentaires. De passage à Dakar pour participer au Dakar Séries, le réalisateur congolais a répondu aux questions du Quotidien.«Tongo Saa» (96 mn, 2024) est votre premier long métrage documentaire. Mais vous avez d’abord commencé par un court métrage avant d’aller vers le long. Pourquoi ce choix ?
Au départ, c’était un projet de court métrage, d’installation vidéo. Mais après, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup d’énergie. En rencontrant les gens la nuit, il y avait beaucoup à dire, au-delà de ce que moi j’imaginais. Après, je me suis finalement dit, pourquoi ne pas élargir la réflexion. Pourquoi ne pas poser vraiment son regard dans la durée pour voir ce qui pouvait naître de cette expérience-là, tout en sachant exactement où on veut aller, mais aussi laisser l’opportunité de voir des situations évoluer, de voir des gens grandir à l’intérieur d’un film. Je n’avais pas fait de laboratoire de cinéma avant. Mais je pense que c’est une grâce. Ça permet de garder une certaine fraîcheur. Parce qu’avant, j’ai déjà fait des courts métrages. Je connais plus ou moins mes limites techniques et artistiques. Mais la grâce, c’est d’aller dans un Lab tout en sachant plus ou moins ce qu’on a envie de dire. Ça permet de protéger l’œuvre, parce qu’il y a beaucoup d’influence dans les laboratoires. Si tu n’es pas outillé, ça peut facilement bousiller le projet.
Et dans «Tongo Saa», il y a cette question de l’électricité qui est toujours compliquée dans votre pays, il y a les inondations. Mais à côté, on voit des gens tellement croyants, qui prient Dieu tous les jours. Est-ce que les gens sont conscients de tout ce qui se passe autour d’eux ?
C’est tout ça, en fait, la question du film qui parle de la lumière. Le film parle aussi des frontières entre ce qui est physique et métaphysique dans un contexte comme Kinshasa, dans un contexte comme le Congo. Et comment parler de l’absence de la lumière dans un environnement aussi religieux. Parce que quand on parle de la religion, directement, ça nous renvoie à l’idée de la lumière. Et comment parler de l’absence de la lumière dans un tel contexte ? C’est l’une des questions majeures du film.
Et vous avez trouvé des réponses ?
Les réponses, je pense, c’est l’expérience humaine. L’expérience qu’on traverse en essayant de creuser, de chercher et de rencontrer les gens. On se découvre finalement soi-même et on découvre ce qui nous anime à faire tel ou tel choix. J’ai découvert qu’il faut être patient. Par exemple, au Congo, pour nous, c’était la première fois qu’on assiste à une passation de pouvoir à la tête de l’Etat, une élection, un changement de Président et tout. Du coup, pour un pays qui a 60 ans d’âge, ça vous met dans une sorte d’attente, de spéculation, d’utopie, de rêve. Et plus le temps passe, plus ça nous ramène à notre propre réalité, et on apprend à être patient. On apprend à laisser le temps passer. Il n’y a pas de miracle, finalement. Avant d’avoir cette prise de conscience que le cinéma coûte beaucoup d’argent et du financement pour que ça existe, je faisais déjà des films de commande, pour trouver des sous. Et ce sont ces sous-là qui m’ont plus ou moins aidé à financer aussi en partie mes courts métrages. Moi, je pense qu’en même temps, c’est difficile, en même temps, ça permet de sécuriser une certaine clarté, en fait, dans la façon dont on voit les choses au début d’une carrière. Mais après, ça nous solidifie dans des collaborations complexes, des coproductions complexes, et ça nous permet d’être outillé, de savoir déjà ce qu’on veut dire, ce qu’on veut raconter à travers un récit, à travers une histoire, un projet.
Vous êtes à Dakar dans le cadre du Festival Dakar Séries. Et dans le panel auquel vous venez de participer, vous avez affirmé que le piège, c’est de continuer à apprendre. Qu’est-ce qu’il faut comprendre par-là ?
En fait, je parle vraiment par expérience. Quand moi j’ai commencé à apprendre le cinéma, à faire des recherches sur le cinéma en général, mais aussi sur le cinéma que moi je voulais faire, il y avait ce piège-là de continuer d’apprendre. Parce qu’à chaque fois qu’on apprenait, on découvrait d’autres choses à apprendre. Du coup, ça fait en sorte qu’on reste dans la formation. Et il faut à un moment décider quand arrêter parce que notre manière d’apprendre, c’est d’apprendre en faisant, en passant à l’action, en pratiquant, en faisant des films.
Et vous avez commencé par les arts plastiques. Mais comment devient-on un cinéaste dans un pays où il n’y a pas de cinéma ?
Moi, j’étais très conscient de ça dès le début. Parce que je me disais que comme il n’y a déjà pas d’école pour apprendre, donc il n’y a pas nécessairement de raison d’avoir des fonds pour accompagner quelque chose qui n’existait pas. Du coup, il y avait cette conscience-là qui m’habitait et qui m’a permis de commencer à apprendre méthodiquement, sans passer trop de temps. Je ne sais pas comment c’est venu. Mais à un moment, j’ai senti le besoin d’arrêter d’apprendre, d’arrêter d’apprendre le langage du cinéma, mais d’apprendre aussi l’écosystème tout autour, que ce soit du cinéma africain ou du cinéma mondial. Un moment, je me suis dit que c’était mieux d’apprendre à travers les films, à travers des histoires qu’on avait envie de raconter. Et ça, c’est bien parce que ça te permet de faire des erreurs, mais des erreurs qui te font grandir d’un point de vue pratique.
Et dans «Théâtre urbain», court métrage que vous avez fait en 2017, vous utilisez de petites figurines. C’était un problème de moyens ou c’était juste quelque chose que vous aviez envie de faire ?
Je pense qu’au départ, c’était juste une envie de raconter une histoire et raconter une histoire avec tout et n’importe quoi. Tout ce qui pourrait faire sens pour dire quelque chose, pour raconter une histoire. Mais aussi, problème de moyens. Raconter une histoire avec les moyens les plus simples possibles, mais qui soit nécessaire d’être dite, d’être montrée. Aussi, par rapport à cette première expérience avec «Théâtre urbain», c’est l’idée aussi que la ville est difficile à filmer. Les gens sont réticents à la caméra. Par rapport à tout ce qui s’est passé, avec tout ce qu’on connaît du Congo, les gens sont réticents à la caméra. Et c’est ça, en fait, le piège, le double enjeu de faire du cinéma dans ce contexte-là. En même temps, tu dois penser aux dispositifs du film, mais aussi penser à l’histoire. Et je pense que c’est cette confrontation-là qui permet d’être concis dans la réflexion qu’on fait pour aborder un sujet problématique.
Qu’est-ce qui vous pousse à faire des films ?
J’ai une idée, j’ai envie de faire un film, je le fais. Ça dépend de son exigence, de sa complexité, mais au départ, je le fais. Même si tu fais des blockbusters, ça ne va pas changer, en fait. C’est aussi une façon de réfléchir comme un sculpteur, comme un peintre, comme un photographe, comme un poète, comme un écrivain. Tu prends ton stylo, tu le fais quoi. Je suis photographe, plasticien. Je pense que c’est complémentaire avec le cinéma que j’ai fait aujourd’hui parce qu’entre les deux, ça permet de trouver de nouvelles formes de narration, de nouvelles formes de compréhension des situations, des sujets, des histoires. Et ça ouvre d’autres possibilités de propositions.
Là, quels sont vos projets ?
J’écris de nouveaux projets. J’ai fait des recherches sur le volcan Nyiragongo à l’Est du Congo et le lac Kivu parce que je pense que ce sont des espaces qui permettent d’approfondir la compréhension de l’Est du Congo qui subit beaucoup d’atrocités, de menaces.
Et justement, comment le cinéaste que vous êtes appréhende tout ça ? Cette insécurité, ces agressions ?
Moi, je pense que le plus important, ce sont les expériences des gens. Souvent, avec le cinéma, on peut mieux dire les choses qu’avec les informations qui sont déjà bien structurées et tout. Et le cinéma en même temps, c’est une approche documentaire, rencontrer les gens, écouter les gens, leur donner la parole pour apprendre, déjà, à prévoir qu’est-ce que ça peut nous offrir d’un point de vue cinématographique. Toutes ces réalités, cette histoire, ces contextes géopolitiques, géologiques aussi, qu’est-ce que ça peut faire naître comme forme de récit, comme forme d’histoire ?
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU (mamewoury@lequotidien.sn)