Suicide d’un étudiant à l’Ugb : des regrets et remords pour tous

En lisant la lettre posthume, publiée sur les réseaux sociaux, laissée par l’étudiant qui se serait suicidé à l’Ugb, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un cours de psychologie de la santé que je dispense à des étudiants en formation dans un institut de santé, où je parle souvent de la psychologie du malade, de la nécessité d’humaniser les pratiques médicales : il y a une rupture de l’équilibre antérieure à laquelle le malade doit s’adapter. La maladie entraîne souvent un processus de régression, qui peut se traduire par une réduction des intérêts, un égocentrisme et surtout une dépendance vis-à-vis de l’entourage et des soignants. Ainsi, le malade vit des moments difficiles, et le symptôme le plus fréquent noté, c’est l’apathie, désignant un état de fatigue physique ou intellectuelle profond se caractérisant par une indifférence totale. Cette apathie peut être suivie de symptômes dépressifs ou d’anxiété.
Le malade peut avoir un caractère difficile, surtout quand la maladie donne une mauvaise image de soi avec la modification du corps. Face à cette situation, le malade a des réactions qui différent selon les personnalités. Les réactions sont nombreuses (colère, déni, dépression, acceptation…). Comprendre tout cela peut aider les professionnels de santé ou soignants à mieux se comporter. En effet, la qualité de l’accueil, la bienveillance, la préparation psychologique du malade sont importantes dans l’accompagnement des patients et la prise en charge des maladies chroniques ou invalidantes, surtout que l’accompagnement psychologique permet de convaincre, de diminuer les risques, de comprendre le stress et de gagner la confiance.
Je rappelle souvent à ces futurs professionnels de la santé, appelés à évoluer dans les métiers du «care», que lorsque notre art s’exerce sur ce que l’homme a de plus important : son âme, son honneur, son corps, il ne suffit pas d’être un bon technicien. La capacité d’écoute et d’empathie est le minimum qu’on puisse espérer et attendre. Mais comme le dit le philosophe allemand Karl Gustave Von Goethe : «Parler est un besoin, écouter est un art.»
Par ailleurs, il faut comprendre que beaucoup de tares de notre société sont manifestes dans les structures de santé, où l’accueil est loin d’être bienveillant : L’absence de soins palliatifs dignes de ce nom mène à des drames où des patients, abandonnés à leur agonie, souffrent le martyre devant des soignants désarmés et désabusés. L’hôpital fait de la rentabilité son credo. Il devient par ricochet une entreprise. Les praticiens et administrateurs pensent davantage au profit qu’à l’humanisme que requiert la pratique de la médecine.
Ce passage, qu’on retrouve dans l’ouvrage du cardiologue Abdoul Kane, L’éthique, le soignant et la société (2019), met à nu les tares du système sanitaire sénégalais.
Il faut le rappeler : souvent les malades sont stigmatisés, exclus et même jugés par ceux dont ils attendent beaucoup, des proches et, apparemment, le défunt étudiant a été seul ou presque dans cette épreuve, avec une maman alitée… Tout cela, il l’aurait supporté difficilement dans la solitude.
Ce qui est surtout grave, c’est qu’on souffre seul : la santé mentale n’est pas encore considérée comme une priorité dans nos sociétés marquées par des violences intrafamiliales, des rapports anxiogènes. Il est vrai que les troubles mentaux sont moins tabous aujourd’hui et la parole se libère, mais on ne note pas de politique de prévention : à l’école comme à l’université, il y a des cas de harcèlement, de dépression caractérisée qui ne sont pas pris en charge. Beaucoup trop de difficultés mentales sont encore détectées trop tard ou pas du tout. Nombre de personnes ne prennent pas conscience qu’elles vont mal ou ne trouvent pas d’interlocuteurs pour parler de leurs problèmes, de leur santé mentale. On doit, désormais, comprendre que la santé mentale, c’est la santé tout court.
Le suicide supposé de l’étudiant rappelle aussi que l’isolement est préjudiciable : chez les patients isolés, le risque de décès est deux à trois fois plus important que chez les patients qui entretiennent des liens affectifs. Certes, il y a une différence entre isolement et solitude : bien des gens vivent seuls ou voient peu d’amis et restent heureux et en bonne santé, mais le risque pour la santé vient surtout du sentiment subjectif que l’on est coupé des autres et que l’on n’a personne vers qui se tourner. Le psychologue américain John Cacioppo (1951-2018) avait raison de dire que la relation qui tient le plus de place dans notre vie, celle avec les gens que vous voyez du matin au soir, est aussi la plus importante pour notre santé (2012). En effet, plusieurs recherches semblent confirmer les pouvoirs cliniques du soutien émotionnel, dont son pouvoir curatif. On gagnerait, je pense, à introduire l’intelligence émotionnelle dans la pratique médicale, notamment «cette capacité à reconnaître nos propres sentiments, de les réguler et de les maîtriser comme ceux des autres, celle de s’évaluer soi-même aide à optimiser notre capacité et à entretenir des rapports harmonieux avec la plupart des gens» (Daniel Goleman (2014). Des milliers de patients sont dans l’incapacité de poser à leur médecin des questions qui les tracassent. Il faut le constater, pour le déplorer, on ne fournit jamais d’informations complètes aux malades, ni aux accompagnants : le personnel soignant est souvent indifférent ou pressé ; trop souvent il ignore les réactions affectives de leurs patients.
Pendant les hospitalisations, les patients se sentent seuls et isolés. Et pourtant, on pouvait bien aménager des chambres pour que les membres de la famille des patients puissent rester avec eux, préparer des repas et s’occuper d’eux comme à la maison. Bref, on doit tendre vers une médecine à l’écoute des patients, pour les aider ainsi à mieux maîtriser leurs sentiments négatifs source, souvent, de drames dont le suicide de l’étudiant retrouvé mort dans sa chambre à Saint-Louis.
Nous plaidons pour une médecine plus humaine, avec des médecins, des infirmiers, des sages-femmes dévoués qui font preuve de compassion et de sensibilité à l’égard de leurs malades, qui vont surtout penser à répondre à la détresse émotionnelle souvent toxique de leurs patients. Cela, Hippocrate l’avait pourtant bien compris : c’est un impératif de prendre soin, autant que de prodiguer des soins : la réalité psychologique et sociale des malades ne doit pas être étrangère au domaine médical.
Bira SALL – Professeur de philosophie au Lycée Ababacar Sy de Tivaouane
Chercheur en Education et formation
sallbira@yahoo.fr