PASSE-PRESENT – Thiès Noone : L’ancien village fondu dans le modernisme

Thiès-Noone, le premier village suburbain de la Cité du Rail, rattaché à la commune depuis 1978, devenu aujourd’hui un des quartiers de la ville aux-deux-gares, se niche à l’entrée de Thiès, sur la route de Dakar. Dans cette localité qui se cache du regard sous des frondaisons serrées au sein d’une «forêt de Kagne» arborée, une portion de la population est formée d’individus appartenant à des groupes ethniques non sérères (wolof, toucouleur, peul). Un village qui a été l’une des premières racines de la ville de Thiès, avec comme premier point de chute le cœur de la brousse du «Tanghor», aux environs de la grande piste de l’aviation, en allant vers Mont-Rolland.Par Cheikh CAMARA –
En saison des pluies, il est possible de passer à proximité de ce paisible coin sérère sans que l’œil n’en soupçonne l’existence. Parfois, seul le bruit du pilon dans les mortiers attire l’attention du visiteur, qui prend plaisir à contempler ces champs qui s’étendent à perte de vue et où le palmier-rônier prédomine sur les autres essences. La récolte du vin de palme pratiquée par les Sérères-Noones paraît être la raison première de leur nombre imposant.
«Un village devenu un quartier mythique à Thiès», confient nombre de riverains. Selon le délégué de quartier, de surcroît Imam ratib de la grande mosquée, Serigne Lamine Ndiaye, «les témoignages recueillis auprès des anciens nous ont indiqué que la végétation luxuriante et dense de l’époque faisait qu’il était difficile de se fixer des repères pour éviter de se perdre dans un nouveau site d’accueil». Ainsi, ajoute imam Lamine Ndiaye, «ils ont remarqué un arbre de tronc blanc avec de petites feuilles dénommé «Gneiss» en sérère noone et «Nouss» par les Wolofs. Et, face aux colons, les Noones ont eu à indiquer leur lieu d’habitation en montrant leur repère, le «Gneiss» ; c’est la déformation de ce mot par les Blancs qui a donné Thiès».
Une belle cohabitation islamo-chrétienne
Très exposés aux multiples accidents d’avions de l’Armée qui tombaient souvent, le commandant de cercle leur proposa un autre site du côté de la voie ferrée reliant Dakar à Thiès, non loin du camp militaire. Mais, après avoir constaté qu’ils seraient confrontés à un problème d’accès à l’eau, les anciens déclinèrent l’offre et le commandant leur demanda d’explorer au-delà de cette zone. «En 1947, le village de Thiès-Noone est venu se réinstaller sur le site actuel, et c’est un certain Abdourahmane Faye, un des petits-fils de Kagne le téméraire, qui conduit les siens, divisés en trois sous-groupes : l’espace des Faye, des Ndione et de Pallogne», explique le délégué de quartier. A leur arrivée, à la hauteur de la Sapco en allant vers l’Ecole polytechnique, des Bambaras y exploitaient déjà des champs. Malgré tout, la cohabitation n’a pas été difficile parce qu’ils étaient tous des cultivateurs, et des éleveurs en même temps. Mieux, au sein de la communauté sérère-noone, les liens de parenté ont toujours primé sur l’appartenance religieuse. C’est pourquoi à Thiès-Noone, le dialogue islamo-chrétien est une lapalissade, mieux, une osmose entre catholiques et musulmans est une réalité historique. Et l’imam Lamine Ndiaye, qui en est d’ailleurs une parfaite illustration, de soutenir que le jour de la fête de Noël, la marmite ne bout jamais chez lui parce que ses parents et amis catholiques lui apportent à manger à foison, à telle enseigne qu’il en garde même dans son frigo des jours après la fête. Aussi, poursuit-il, «le jour de la Tabaski, outre le mouton que j’immole pour le sacrifice religieux, quatre autres sont égorgés pour faire plaisir aux parents et amis de la communauté catholique».
Au rythme du «Mbillim»
Dans les années 1950 jusqu’aux premières années de notre indépendance, l’accès à l’eau potable était un véritable casse-tête pour les habitants de Thiès-Noone. «Les braves femmes sérères se levaient très tôt, au petit matin, emportant leurs bassines et leurs fagots de bois à vendre en ville, et au retour, elles remplissaient leurs récipients d’eau, qu’elles portaient sur la tête pour rentrer à pied», nous confie cette vieille dame sérère, Yaye Khoyane Faye. Et d’ajouter, par ailleurs : «Au plan culturel, le village de Thiès-Noone était bien loti. De grandes familles griottes assuraient les percussions et les chants traditionnels dans tous les domaines d’activités. Qu’il s’agisse de mariage, de baptême, de la circoncision, entre autres, les chœurs étaient là, bien rythmés, au son du «Mbillim», la danse favorite des Noones, où les notes de la basse occupent une place centrale dans la cadence ; un rythme endiablé à l’image de la vie mystique du Sérère.»
Aujourd’hui, devenu un grand quartier bien aménagé de la commune d’arrondissement de Thiès-Ouest, cet ancien village de Thiès-Noone se singularise par ses grandes et belles bâtisses qui s’imposent à perte de vue. L’électricité est là, de même que l’eau courante. Au plan sanitaire, le poste de santé, doublé d’une maternité, assure aux populations les soins nécessaires. La scolarisation des enfants à l’élémentaire se passe bien, avec une école d’environ six classes, des effectifs aux normes pédagogiques standards, un environnement propice grâce à l’appui des partenaires.
Le seul hic étant le fait que le Collège d’enseignement moderne (Cem) est à l’état de ses premiers balbutiements avec une seule classe de sixième. Ainsi, les enfants font des kilomètres pour se rendre dans d’autres Cem dont le plus proche est celui du quartier Diakhao, à au moins plus de trois kilomètres.
Longtemps réservoir de main-d’œuvre et d’ouvriers qualifiés, Thiès-Noone développe de plus en plus un faisceau de jeunes cadres issus de sa population qui devient très cosmopolite.
Mythes et réalités : ce baobab qui porte bonheur aux hommes politiques
A l’instar de nombreux autres villages du pays où l’arbre à palabre est plus qu’un simple cadre de rencontre, un grand baobab trône sur la Grand-Place du village de Thiès-Noone. A une période avancée de l’hivernage, le feuillage est touffu. L’ombre agréable offre aux populations vivant juste à côté un endroit idéal pour se soustraire à la forte canicule qui sévit en fin d’hivernage. Des «sages» de la localité trouvés sur place, l’air mystérieux, indiquent que «les anciens affirment que sur cet arbre vit un génie musulman, homme de paix très sociable». C’est pourquoi, expliquent-ils, «c’est un lieu de prière, de formulation de vœux, surtout pour ceux qui aspirent à diriger…». Selon eux, «ce baobab ancestral est respecté de tous et il est interdit de le tailler parce que son pensionnaire ne l’admettra pas». Et de rapporter : «Un berger téméraire l’a appris à ses dépens, parce que lorsqu’il est monté pour couper, il ne pouvait plus redescendre.» Mais à part cela, souligne l’un d’eux, «n’importe qui est autorisé à s’asseoir sous l’arbre et, au besoin, y passer même la nuit sans être inquiété».
Correspondant