Après la désignation de Ali Mahamoud Youssouf à la tête de la Commission de l’Union africaine le 15 février, il faudra toute l’expérience de celui qui fut ministre des Affaires étrangères de Djibouti pendant vingt ans, pour faire mieux, beaucoup mieux que le Tchadien Moussa Faki Mahamat.

Ce dernier laisse à son successeur la lucidité d’une ultime missive adressée, le 30 septembre, aux chefs d’Etat africains, déplorant «déficiences» et «inactions», selon les termes relevés par Jeune Afrique. Dans la période de changements historiques initiée par la Présidence Trump, la feuille de route de Youssouf devrait se décliner autour de trois mots : efficacité, indépendance et audace.

Efficacité. Le 38e sommet de l’Union africaine, qui a vu l’élection de Youssouf, a été, sans surprise, tant les conflits sont persistants en Afrique, parasité par l’annonce de la prise de Bukavu par le M23 en Republique démocratique du Congo (Rdc). En 2025, aux côtés de l’Angolais João Lourenço, nouveau président de l’Union africaine, le président de la Commission aura fort à faire sur le front sécuritaire, de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel au fragile cessez-le-feu en Ethiopie, du génocide au Soudan à la crise libyenne, en passant par la Rdc donc. Et, déjà, la tâche semble titanesque alors que les discussions sur le rôle et les moyens du Conseil de paix et de sécurité (Cps) restent encore en souffrance, bien que les Etats en avaient approuvé la reforme en… 2019. L’Afrique a trop à faire avec le doublement de sa population dans les vingt ans à venir, pour que ses dirigeants s’épuisent à tenter d’éteindre des incendies ici ou là.

Indépendance. Alors que l’Union africaine a gagné, en 2023, un siège permanent au sein du G20, c’est l’Afrique du Sud qui préside l’enceinte en 2025, renforçant la voix, sinon le poids, de l’Afrique sur la scène internationale. Avec l’ambition supplémentaire de gagner deux sièges permanents au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, il n’est pas sain que l’Union africaine soit financée aux deux tiers par des non-Africains. Il faudra aussi dépasser les divisions internes, parler d’une seule voix au sein de cette enceinte, que les Etats-Unis de Trump ont décidé de boycotter prenant prétexte de la «loi de confiscation des terres» dont seraient victimes les Afrikaners en Afrique du Sud.
Le gel de l’aide internationale par l’Administration Trump ne doit pas effrayer les dirigeants de l’Union africaine : la fin de l’Usaid peut être un nouveau départ pour les Africains qui n’ont pas à éternellement dépendre de la (fausse) charité internationale et doivent, comme toutes les nations (vraiment) souveraines, prendre en charge par eux-mêmes des questions aussi stratégiques que la santé de leur citoyens, l’éducation de leurs filles et la sécurité de leurs territoires. Sur le plan commercial, à l’attentisme quant au devenir des outils commerciaux américains comme Development Finance Corporation ou African Growth and Opportunity Act dont la survie ne laisse guère d’espoirs à cette heure, doit se substituer une politique commerciale fondée sur la diversification des partenariats, déjà en cours, l’accélération des échanges commerciaux intra-africains (qui s’établissent à un niveau toujours inferieur à 20% des échanges totaux alors qu’il s’élève à plus de 60% entre pays européens), l’introduction de monnaies locales (la création de la monnaie Eco ne cesse d’être repoussée aux calendes grecques), la transformation industrielle locale et la formation d’une génération de scientifiques et d’ingénieurs sans qui ces ambitions n’ont aucune chance de voir le jour.

Audace. C’est ce sentiment d’urgence qui doit guider le nouveau président de la Commission africaine. L’histoire est entrée dans une phase vertigineuse d’accélération. C’est le moment du grand bond en avant, ou si l’on préfère, du leapfrog, pour les nations qui sauront capturer ce tournant. Qui aurait cru que les Etats-Unis rejetteraient, aux côtés des Russes, une résolution de l’Onu en faveur de l’Ukraine, comme cela s’est produit ce 24 février à New York ? Qu’ils plaideraient pour le retour d’une Russie, pourtant sous sanction depuis trois ans, au sein du G7 ? Qu’ils annonceraient la reprise «de partenariats économiques vraiment uniques et aussi potentiellement historiques» avec la Russie, selon le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio lors du Sommet de Riyad le 18 février dernier. La volatilité et l’imprévisibilité de l’époque peuvent être une chance pour les audacieux. Dans un tel contexte, tout immobilisme africain serait une faute historique.

Les Africains ne devraient même plus autoriser ces interminables conférences sur la dette africaine. Ce n’est pas l’Afrique qui est endettée. C’est le monde qui est endetté à son égard : chaque année, ce dernier contracte une dette de cinquante-cinq milliards de dollars envers le continent africain et cette dette correspond à la valeur du service d’absorption de carbone fourni par le bassin du Congo, le plus grand puits de carbone au monde.

Au lieu de cela, l’audace consisterait, pour l’Union africaine, à doter l’Afrique d’une Constitution ainsi que d’un vrai parlement continental, et ses citoyens d’un passeport africain. Sur le plan militaire, l’audace supposerait de créer une armée commune pour pacifier le territoire. Sur le plan énergétique, le lancement d’une banque verte africaine permettrait de garantir les financements souverains nécessaires sur le front du changement climatique.
Efficacité. Indépendance. Audace. Tels sont les termes pour que l’Union africaine soit à la hauteur des enjeux historiques qui se sont ouverts.
Directrice Afrique
Atlantic Council