«Ousmane Sonko ne sera plus jamais la cible des insulteurs. A bon entendeur !» Cette publication du ministre du Travail, de l’emploi et des relations avec les institutions, M. Abass Fall, a l’air plus de celle d’un vulgaire troubadour dans une clique de pègre qui voudrait crier à tout le monde que nul n’a le droit de s’en prendre à son chef. Entre la légèreté du propos pour une autorité à une station aussi importante de l’appareil gouvernemental et le brin de menace zélée qu’on peut déceler entre les lignes pour vouloir faire taire tout contradicteur ou tout esprit qui oserait s’opposer, on ne sait pas où donner de la tête. On peut être déçu, outré et choqué par un tel propos, mais il faudrait plutôt s’intéresser à toute la dynamique qui l’entoure. Concernant le ministre du Travail, il doit avoir fort à faire avec les nombreux licenciements dans la Fonction publique, la précarité des emplois dans le privé et la fragilisation du marché du travail plutôt que de se faire un législateur de bouclier de sainteté. Cette dynamique de canonisation du Premier ministre est à déconstruire en trois temps.

Le premier temps est celui d’une réaction à la suite des propos du Premier ministre himself, Ousmane Sonko, qui clamait sans gêne devant les responsables du Patronat sénégalais et les grandes organisations syndicales du pays que «les pays qui ont décollé ces dernières années, c’est là où les libertés ont été réduites. Je ne vais pas citer de noms, mais allez dans des pays asiatiques, arabes ou ailleurs, les libertés ont été réduites, pour ne pas ne pas dire complétement annulées. Que ce soit les libertés politiques, syndicales, d’association. Ce qui a laissé une marge pour que les autorités puissent dérouler.» Un Premier ministre faisant planer un nuage d’une annihilation de libertés ou de la suspension de certains droits démocratiques, pour mettre de l’autre côté de la balance l’impératif du développement, a de quoi alerter. Qu’est-ce qu’il peut bien entendre par réduction de libertés est-on amené à nous demander ? Si l’on se réfère à ce que l’on voit sur la première année d’exercice du pouvoir de sa coalition, réduire les libertés est tout simplement refuser à tout opposant ce qu’il s’est allégrement permis avec sa meute de faire plus d’une décennie. La liste est longue : des menaces aux magistrats, insultes aux autorités, appels à l’insurrection, terrorisme intellectuel et violence verbale, les attaques indécentes contre les Forces de défense… Tous les abus ont pu être commis par l’opposant Ousmane Sonko et ses affidés pour croiser le fer avec le pouvoir de Macky Sall. Ce dernier finira dans son séjour au Palais de l’Avenue Senghor comme un grand frère sage et incompris, qui vient de se révéler à des jeunes (comprendre la paire Diomaye-Sonko) qui n’ont agi que par fougue de vouloir libérer leur peuple. Si avec toutes les voix contraires qui s’élèvent à chacune de ses sorties, le Premier ministre pense que la mise au pas de tous s’impose, il faudrait plutôt lui dire que le Sénégal reste une terre libre. C’est de cette liberté et du climat démocratique dont il a pu bénéficier pour se faire une place et un nom que d’autres qui s’opposeront à lui bénéficieront et lui feront face. Vouloir condamner toutes ces voix au silence par une répression sans limite et un matraquage tous azimuts ne servirait pas à grand-chose.

Le deuxième temps du propos du ministre Abass Fall a tous les contours d’une canonisation d’un chef et une Opa sur les libertés démocratiques. Déjà dans ses années d’opposant, le Premier ministre était affectueusement appelé par ses ouailles «mou sell mi» (le saint en langue wolof). Maintenant, l’heure est venue pour une certaine aile de l’Etat Pastef d’imposer la sainteté de leur leader à tous. Le culte du chef ou du saint à l’échelon universel sera la prochaine étape avant que, dans quelques années, une journée de notre calendrier célèbre la sainteté de notre héros providentiel. Pas d’objections, pas de critiques, pas d’attaques et d’insultes (encore que les insultes ne viennent que de leurs rangs), tout ce que dira le leader providentiel devra être accompagné d’applaudissements, de laudation et de vivats, à défaut de se taire tout simplement. On dit bien que la démocratie meurt souvent sous les concerts d’applaudissements, cela a été vrai dans la cour de Néron et d’autres souverains. Il sera donc très intéressant de voir par quelle formule l’Etat Pastef comptera faire obtempérer tout le monde et imposait la canonisation de Ousmane Sonko. Est-ce qu’un projet de loi sera soumis au Parlement pour enfin graver dans le marbre que le Premier ministre qui exerce des responsabilités similaires ou comparables à celle du président de la République, aura également besoin du bouclier de sainteté qu’est l’article 80 de notre Code pénal, entre autres articles archaïques et liberticides ? L’offense au chef du gouvernement risque d’avoir la même valeur que l’offense au chef de l’Etat, bienvenue au pays du bicéphalisme triomphant.

Le troisième temps de cette logique qui veut policer le débat public et couvrir les autorités d’un voile pudique, empêchant toute critique et contestation, est à voir dans la réaction de l’opinion publique, de la Société civile et des médias. Dans une forme de passivité, le modèle démocratique sénégalais voit une restriction progressive des libertés. Les arrestations pour délits d’opinion ne se comptent plus depuis quelques mois, les autorisations pour des marches pacifiques sont systématiquement refusées. Aux heures les plus sombres de ce pays, il a rarement été constaté un pouvoir aussi rigide sur des principes démocratiques qui ne se négocient pas. C’est le moment idéal pour tous les chantres de la démocratie et tous les parangons de justice sociale d’inonder les colonnes de journaux, les ondes de radios et les plateaux télévisés pour monter au créneau et préserver la démocratie. C’est également la meilleure lucarne pour tous nos universitaires engagés, de pondre des tribunes et des pamphlets pour que la démocratie puisse vivre. Toute autre posture ne serait qu’une abdication devant un ogre étatique qui ne cessera de rogner sur les libertés. Un chèque en blanc est donné pour nous priver de libertés, Abass Fall n’est qu’un éclaireur. A chacun de prendre ses responsabilités.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn