«Interprétation» de la loi d’amnistie : La proposition de Amadou tombe bas

La proposition de loi portant interprétation de la loi d’amnistie n°2024-09 du 13 mars 2024, portée par le député de Pastef Amadou Bâ, est en train de soulever beaucoup de polémiques. Par Justin Gomis –
Cachée jusqu’au dépôt de la proposition de loi de Thierno Alassane Sall, la loi portant interprétation de la loi d’amnistie n°2024-09 du 13 mars 2024, soumise par Amadou Bâ de Pastef, est escortée de contestations. Son contenu notamment ressemble à une abrogation sur mesure qui ne convainc pas tout le monde. Ancien président du Groupe parlementaire Bby, El Hadji Oumar Youm déchire le texte : «On nous avait promis l’abrogation de la loi d’amnistie… En lieu et place, on nous sert une indigeste loi interprétative. Cette proposition de loi interprétant la loi d’amnistie du 13 mars 2024 n’est ni plus ni moins que l’aveu des crimes et délits commis par certains membres de Pastef durant les périodes incriminées. C’est l’aveu de la bêtise et du cynisme politique.» Pour lui, il s’agit évidemment d’une mesure prise pour protéger les militants de Pastef. «Le plan insurrectionnel est ouvertement assumé à travers ce projet qui démontre, s’il en était encore besoin, que c’est Pastef qui était demandeur de l’amnistie. Le plus hilarant dans cette proposition est qu’elle cherche exclusivement à protéger des délinquants, les acteurs de violences, d’injures, de propos haineux, outrageants, de meurtres, pourfendeurs de la République. Ceux-là sont définitivement «anoblis» par leurs commanditaires et complices, alors que les hommes et les femmes qui ont cherché vaillamment à défendre la République, à la sauvegarder, sont isolés, indexés et exposés… C’est la vraie justice des vainqueurs ; sélective, hideuse et amorale comme l’est «la prime à la casse» dénommée grossièrement indemnisation. Quelle honte ! Quelle souillure ! Quel triste anniversaire !», tonne Me Youm.
Ancienne ministre de la Microfinance, responsable au sein de la «Nouvelle Responsabilité», Zahra Iyane Thiam abonde dans le même sens, sans oublier d’afficher son étonnement : «Faut-il en rire ou en pleurer ? Ce texte soulève des problèmes de fond pour nous, citoyens sénégalais : primo, comment peut-on scier la branche sur laquelle on est assis ? Aveuglés par la vengeance, certains semblent oublier que nous devons protéger le caractère républicain de nos Fds. Secundo, le cadre juridique et réglementaire doit rester impersonnel et intemporel. Il ne peut être taillé sur mesure pour servir des intérêts personnels ou régler des comptes. Ce texte crée un précédent dangereux. Quel gâchis pour Pastef qui avait été si bien porté au pouvoir.»
Les amendements de GMS
Dans le même sillage, la section Forum civil de Bignona «déplore la volonté des tenants du régime de vouloir introduire une proposition de loi interprétative en lieu et place d’une loi d’abrogation». Les mots sont tranchés : «La section Forum civil de Bignona dénonce aussi la volonté du pouvoir actuel de détourner le débat réel portant sur l’abrogation vers une nébuleuse et fumeuse interprétation. L’intérêt du débat ne porte pas sur l’ambiguïté de la loi d’amnistie de 2024, mais sur le fait qu’elle ne rend pas justice aux victimes. Il n’est pas demandé au pouvoir en place d’organiser une séance d’explication, de précision et de clarification parlementaire autour de la loi 2024-09. C’est une démarche politicienne qui perpétue et renforce l’impunité.» Le Forum civil section Bignona demande clairement aux députés «de procéder au vote d’une loi qui abroge la loi 2024-09 du 13 mars 2024. Toute autre initiative relèverait de la duperie et découlerait d’une volonté manifeste du pouvoir de ne pas situer toutes les responsabilités». Pour la structure, c’est une nouvelle blessure pour les victimes : «l’initiateur de cette proposition de loi et ses souteneurs sont dans une posture de prolonger la douleur, le désespoir et la souffrance des victimes des violences politiques intervenues entre 2021 et 2024. Le pouvoir actuel est en train d’aiguiser le même couteau que le régime passé contre les victimes des violences politiques. La section Forum civil de Bignona martèle que toute tentative de recherche d’explication, de précision de la loi n°2024-09 du 13 mars 2024 ou toute forme d’amendement à la proposition de loi portant interprétation de la loi n°2024-09 relève de la fourberie doublée d’un cynisme politicien. La section Forum civil de Bignona demande au gouvernement et à l’Assemblée nationale d’arrêter leur entreprise de divertissement ou de colmatage de la vérité, et de se pencher sur une initiative concrète allant dans le sens de l’abrogation de la loi n°2024-09», souligne Abdoulaye Diallo, coordonnateur de la section Forum civil de Bignona.
Député de Pastef, Guy Marius Sagna, qui salue cette initiative du député Amadou Bâ, a fait des amendements de cette proposition de loi portant interprétation de la loi d’amnistie n°2024-09 du 13 mars 2024. «Pour rendre la future loi beaucoup plus intelligible et ne pas permettre à des criminels d’échapper à la Justice, je vais proposer un amendement afin que son article premier soit réécrit ainsi qu’il suit : les crimes de sang, les cas de torture et les traitements et autres peines cruels et dégradants sont exclus du champ d’application de la loi d’amnistie n°2024-09 du 13 mars 2024.»
Il faut savoir que la commission technique qui devrait s’y pencher est prévue le 21 mars et la plénière le 2 avril.
justin@lequotidien.sn