La grande farce pour se couvrir

Dans son discours à la Nation du 31 décembre 2024, le président de la République, évoquant «l’anniversaire du massacre de Thiaroye» de 1944, a fait un parallèle avec les soubresauts récents au Sénégal. «(…) La même dette morale nous engage aussi envers les victimes des évènements survenus entre mars 2021 et février 2024, et leurs familles. Nous ne pouvons rechercher la vérité sur des faits survenus il y a 80 ans et accepter l’omerta sur les évènements tragiques vécus ces quatre dernières années», dira-t-il.
Quatre jours avant, devant la Représentation nationale pour présenter sa Déclaration de politique générale, le Premier ministre Ousmane Sonko avait également affirmé qu’il «sera proposé à (l)’Assemblée, dans les semaines à venir, un projet de loi rapportant la loi d’amnistie votée le 6 mars 2024 par la précédente législature, pour que toute la lumière soit enfin faite et les responsabilités situées, de quelque bord qu’elles se situent». Non sans ajouter : «Il ne s’agit pas ici de chasse aux sorcières, encore moins de vengeance, car aucun sentiment de revanche ne nous anime ; loin de là. Il s’agit simplement de justice, pilier sans lequel aucune paix sociale ne peut être garantie.»
Lire la chronique – Au royaume de la post-vérité pastéfienne
Et dans le débat général, interpellé par la députée Thérèse Faye Diouf sur la différence entre «rapporter» et «abroger», Ousmane se voudra plus clair : «Le terme rapporter est impropre quand il s’agit de loi. On ne rapporte pas une loi. (…) Nous allons abroger totalement cette loi inique. On avait dit que la loi d’amnistie, on l’a négociée, ce qui n’est pas vrai. Quand on nous a amené la loi d’amnistie, nous avions dit que nous n’étions pas pour si ceux qui ont tué ou torturé en bénéficient. Si c’est une loi d’amnistie pour uniquement les faits politiques, alors nous sommes d’accord. Ici à l’Assemblée nationale, les députés de Pastef ont posé la question à Mme la ministre (de la Justice) de l’époque qui a dit que la loi englobe tout. J’ai pris contact avec les députés pour leur demander de voter contre cette loi, parce qu’on n’acceptera jamais une loi qui absout des personnes qui ont commis de graves choses. C’est pourquoi nos députés ont voté contre. (…) Ils ont dit que cette loi bénéficie à Pastef. Nous disons que Pastef n’en veut pas. Qu’on abroge la loi d’amnistie et nous tous, nous allons répondre.»
Protéger quelques-uns et en exposer d’autres
Mais étant un parti qui a un sérieux problème avec la vérité, Pastef, après avoir rejeté la proposition d’abrogation de Thierno Alassane Sall, soumet une loi interprétative. «C’est une proposition de loi interprétative qui ne vise pas à abroger totalement ou partiellement la loi d’amnistie», a précisé l’auteur de la proposition de loi, Amadou Bâ, qui ajoute que cette loi vient juste préciser le champ d’application de l’amnistie, c’est-à-dire son sens et sa portée.
Nous sommes passés de «nous n’avons pas besoin de cette loi, nous nous abstiendrons» à la promesse faite par le Pm lors de sa Dpg de rapporter la loi d’amnistie, et aujourd’hui, à la proposition de loi interprétative. C’est clair que ceux qui disaient n’avoir aucun intérêt à cette loi sont en train de chercher à protéger quelques-uns et à en exposer d’autres.
Lire la chronique – Sonko, Churchill et la démocratie
Disons-le tout net. La loi n°2024-09 du 13 mars 2024 a une portée large et classique dans sa formulation. Et la proposition de loi interprétative de l’amnistie de Pastef tente d’apporter une interprétation plus restrictive, qui pourrait entraîner des débats juridiques sur qui peut ou ne peut pas être amnistié. Ce débat dépasse donc le simple cadre juridique : il est aussi hautement politique et reflète des enjeux de justice, d’équilibre des forces et de responsabilité des différents acteurs impliqués dans les événements de 2021-2024. Pour faire simple, le bon sens paysan dirait que c’est une proposition d’un grand tapalé pour enfumer l’opinion. En effet, cette proposition de loi interprétative de la loi d’amnistie, c’est un acte purement politicien. On nous avait vendu une abrogation totale de cette loi, pas une interprétation. Ce qui montre une chose : cette loi d’amnistie fait partie des clauses du protocole de Cap Manuel, et Pastef, malgré son désintéressement intéressé, en est tout heureux au point de ne pas vouloir l’abroger.
Un grand tapalé pour enfumer l’opinion
Car une loi interprétative vient pour expliciter une loi dont la compréhension diffère dans son application. Dès lors, la seule question qui vaille est : qu’est-ce qui n’est pas clair dans la loi d’amnistie de 2024 pour qu’on prenne une loi interprétative ? En effet, l’article premier de la loi n°2024-09 du 13 mars 2024 dispose : «Sont amnistiés, de plein droit, tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non.» Cette disposition met en exergue un champ d’application très large de la loi, couvrant toutes les infractions, qu’elles soient criminelles ou correctionnelles ; une application automatique, indépendamment du stade de la procédure judiciaire ; une portée extraterritoriale, englobant même les faits commis à l’étranger ; et une amnistie générale et inconditionnelle, sans distinction.
Lire la chronique – Fact-Checking, le nouvel outil de propagande gouvernemental
Or, la proposition de loi, en son article premier, dit : «Au sens de l’article 1er de la loi n°2024-09 du 13 mars 2024, sont amnistiés, de plein droit, tous les faits susceptibles de qualification criminelle ou correctionnelle ayant exclusivement une motivation politique, y compris ceux commis par tous supports de communication entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger. Ainsi, les faits se rapportant à des manifestations ne sont compris dans le champ de la loi que s’ils ont une motivation exclusivement politique.» Toute la difficulté de cette proposition de loi réside dans la notion «exclusivement» politique. Déjà, il est à signaler que dans le Code pénal, il n’y a aucune infraction qui a une motivation politique. Et qu’entre 2021 et 2024, tout a une motivation politique, et Ousmane Sonko l’a dit dans une de ses vidéos : «Ce que vous devez savoir, c’est qu’à chaque fois qu’il y a une victime, la pression s’accroît sur Macky Sall au niveau intérieur d’abord, mais aussi au niveau international.»
Un précédent dangereux de la Justice sénégalaise
Dès lors, qui va décider si un acte de violence lors d’une manifestation était «exclusivement» politique ? Ce sera au juge d’interpréter, ce qui pourrait créer des inégalités dans l’application de l’amnistie. En vérité, cette proposition est une stratégie du parti Pastef pour éviter que certaines personnes considérées comme des «criminels ordinaires» bénéficient de l’amnistie. En restreignant la portée de la loi, ils pourraient vouloir s’assurer que seuls les militants politiques purs bénéficient de l’effacement de leurs infractions, et non ceux qui auraient profité du chaos pour commettre des actes répréhensibles (vols, casses, etc.)
La proposition de Pastef n’est en aucun cas une abrogation, ni partielle ni totale. C’est un dévoiement pur et simple de l’attente des citoyens. C’est vouloir faire un tri sur les crimes et délits commis en distinguant de «bons» et de «mauvais» délinquants et criminels. Ce qui est inacceptable dans un Etat de Droit. Si l’on ne prend garde, sous prétexte de raisons politiques, seule la responsabilité des Forces de défense et de sécurité, qui protégeaient la République, serait finalement retenue et sanctionnée dans la proposition de Pastef.
Les Sénégalais ne devraient pas laisser passer cette plaisanterie et ce manque de respect. Il faut l’abrogation totale de la loi d’amnistie. Qu’elle le soit intégralement ou qu’on l’accepte dans son intégralité. Vouloir nous servir une loi interprétative de cette loi consiste à extirper dans la loi ce qui ne nous arrange pas et y laisser ce qui nous arrange, et vice versa. Si cette loi passe, on fera face à un précédent dangereux de la Justice sénégalaise.
Lire la chronique – «Circulez, il n’y a rien à voir»
Cette indigeste proposition de loi interprétant la loi d’amnistie du 13 mars 2024 n’est ni plus ni moins que l’aveu des crimes et délits commis par certains membres de Pastef durant les périodes incriminées. C’est l’aveu de la bêtise et du cynisme politique. Le plan insurrectionnel est ouvertement assumé à travers ce projet qui démontre, s’il en était encore besoin, que c’est Pastef qui était demandeur intéressé à l’amnistie.
Le grand déballage des criminels et le silence des universitaires pétitionnaires
Le déballage de Pastef auquel nous assistons depuis un certain temps, illustre que le ministre Antoine Diome avait bien raison de parler de «forces occultes» et qu’il faut féliciter nos Fds, avec à leur tête les généraux Moussa Fall et Seydou Bocar Yague, d’avoir tenu et sauvé la République. L’un des pastéfiens est récemment passé aux aveux en mouillant le basketteur Khoureychi Thiam qui les finançait via Yaye Fatima, pour confectionner des cocktails Molotov. Avant, c’est le ministre de la Microfinance qui passait à table pour admettre qu’il a organisé la destruction des biens publics et privés à Bambey. Un certain Amir Mansour, sur son compte X, avoue fièrement que le 3 mats 2021, il est à l’origine de l’incendie du magasin Auchan des Parcelles Assainies. «C’est nous qui avons brûlé le magasin. On ne m’a après aidé. Je suis allé me réfugier à Bissau et j’ai par la suite décroché un emploi. Après, je suis allé m’installer à Ziguinchor et finalement j’étais parmi les soldats boucliers du Pros (comprenez Président Ousmane Sonko).»
Devrions-nous accepter que cette loi protège leurs pyromanes, leurs pilleurs, et incrimine ceux qui sont restés debout pour défendre la République ? Le plus hilarant dans cette proposition est qu’elle cherche, exclusivement, à protéger des délinquants, les acteurs de violences, d’injures, de propos haineux, outrageants, de meurtres, des pourfendeurs de la République. Ceux-là sont définitivement «anoblis» par leurs commanditaires et complices, alors que les hommes et les femmes qui ont cherché vaillamment à défendre la République, à la sauvegarder sont isolés, indexés et exposés…
Il est clair que l’impunité ne peut pas être accordée à certains sous prétexte qu’ils sont aujourd’hui du bon côté du pouvoir, tout en sanctionnant les autres. Toute justice partiale devient une injustice absolue. Si justice doit être rendue, elle doit l’être pour tous, sans exception. L’impunité ne doit pas devenir un privilège réservé aux vainqueurs du moment. C’est ce qu’avait dénoncé un Collectif de 222 universitaires qui avaient signé une pétition le 1er mars 2024. «Par-delà, même dans l’hypothèse d’une validation constitutionnelle, aucune disposition ni principe ne s’opposerait à une abrogation de l’amnistie après l’élection d’un nouveau Président soucieux de rétablir une orthodoxie dans la mise en œuvre des principes qui guident la responsabilité pénale.» Docteurs, professeurs, écrivains, activistes, artistes ou encore footballeurs, qui étaient nombreux à nous donner des leçons d’indignation dans un passé récent contre le régime sortant, sont dans un mutisme qui inquiète actuellement. «L’immunité inconditionnelle pour tous normalise le poison de l’impunité au Sénégal. Notre rapport prouve que cette loi d’amnistie est non seulement illégale, mais qu’elle finira par miner la démocratie sénégalaise si elle est maintenue dans sa forme actuelle», disait Alioune Tine l’année dernière. Ce pouvoir reste un gouvernement sans solutions, ni projets, toujours à faire semblant d’être conforme à la vérité.
Par Bachir FOFANA