En ces temps de jeûne musulman et chrétien, on devrait espérer, dans la communion des actes de dévotion au Créateur, la baisse de la tension sociale latente dans laquelle se trouve le pays, exacerbée par la publication de l’audit par la Cour des comptes, du rapport du gouvernement sur la situation des finances publiques de la période du dernier mandat présidentiel. Mais non, et malheureusement, elle continue à être entretenue par des déclarations sources de polémiques de la part de personnalités gouvernementales, de la classe politique, et même de la Société civile. Je ne parle pas de la presse qui s’en donne à cœur joie en relayant les propos incendiaires des uns et des autres avec des commentaires les plus osés. Seuls les religieux ont émis, comme à leur habitude, des messages de paix, de cohésion sociale, et surtout d’appel à un retour à Dieu.

Le retour à Dieu est la seule et unique solution, si on sait lire Ses signes qui se manifestent régulièrement sous nos yeux et que d’aucuns considèrent comme simple hasard, mais que seuls «les êtres dotés de raison qui croient (en Lui», y perçoivent son œuvre de par leur esprit sagace (Coran 3 : 190). En effet, plusieurs de ces événements «extraordinaires» que je me propose de lier dans cette contribution à la vie étatique, pour inviter à la réflexion sur notre présent, à la «pensée positive» (philosophie) que le Tout-Puissant (SwT) évoque dans ce verset coranique, pour un retour aux valeurs comportementales qu’Il attend des créatures que nous constituons avec les «djinn» : son adoration (Coran, S. 51- V.56) à travers non seulement la prière, mais également les œuvres charitables, le pardon et le renforcement des relations humaines.

Le jour du scrutin présidentiel de mars 2024, j’écrivais ces mots sur ma page Facebook : «Le Sénégal est, sans nul doute, une terre bénie. Ce jour, 24 mars 2024, date de l’élection présidentielle du 25 février 2024, en a montré plusieurs signes. D’abord, le climat de paix et de sérénité qui règne aujourd’hui au sein de la classe politique est complétement à l’opposé de la situation d’il y a un mois. Ensuite, entretemps, les institutions de la République en général et la Justice en particulier ont retrouvé toute leur considération gravement mise en cause ces temps derniers. Enfin, depuis ce matin, (du scrutin) comme si Dieu voulait ainsi exprimer sa satisfaction, le temps est demeuré clément avec un ciel couvert, la fraîcheur est restée pendant toute la journée et, nous dit-on, avec même des gouttelettes de pluie à Touba. En somme, il y a eu un changement radical de la «météo» du jour par rapport à la forte chaleur ressentie jusque-là, dès le lever du soleil. J’en conclus qu’Allah (Awz), qui «donne le pouvoir à qui Il veut» (Coran, S. 3 V.26), continue souvent de l’inspirer dans l’exercice de ce pouvoir. Ce qui semble être le cas présent car la décision du report de l’élection était difficile à prendre, et on a vu les réactions qu’elle a suscitées ; mais au finish, le constat de ces beaux signes (divins) du 24 mars est aisé. Al hamdou li’lah !»

L’élection à la présidence de République de celui qui, moins d’un mois auparavant, était sous poursuite judiciaire et détenu préventif en prison, confirme bien les paroles d’Allah (Swt). De plus, celui qui a polarisé l’électorat par une opposition farouche et le plus souvent violente, tant verbale que physique, avec le bilan en pertes humaines et de biens qu’on connaît, Ousmane Sonko en l’occurrence, n’est pas celui qui a été porté à la présidence de la République. Comme quoi, le pouvoir véritablement légitime ne se conquiert pas par le glaive. Joe Biden disait dans son discours d’investiture le 20 janvier 2021 : «Nous avons appris à nouveau que la démocratie est précieuse, la démocratie est fragile et, à cette heure mes amis, la démocratie l’a emporté. Alors maintenant, sur ce terrain sacré où, il y a quelques jours à peine, la violence cherchait à ébranler les fondations mêmes du Capitole (Ndlr : attaque du Capitole par les partisans de Donald Trump), nous nous réunissons en une seule Nation, sous le re­gard de Dieu, pour effec­tuer le transfert pacifique du pouvoir comme nous le fai­sons depuis plus de deux siècles.» Ces propos intégreraient parfaitement, à quelques mots près, le discours d’investiture du Président Bassirou Diomaye Faye, élu «miraculeusement» après une période de crise sociale majeure qui aurait pu faire basculer le pays dans le chaos.

A observer en croyant, la succession des personnes qui ont présidé au destin de notre pays dans les fonctions de président de la République, chacun dans son époque, il est aisé de se convaincre de ce que «La Main d’Allah» est dans le processus de construction de notre pays. En voici les éléments :
En commençant par le Pré­sident Léopold Sédar Senghor, poète-humaniste, premier président de la jeune République du Sénégal, indépendant dans des frontières artificielles séparant les mêmes peuples et les mêmes familles. Il a posé les bases de la Nation sénégalaise sur la culture qu’il dit être «au début et à la fin du développement». Avec une politique fondée sur l’enracinement dans nos valeurs culturelles et l’ouverture aux «apports féconds de l’extérieur», le sentiment national s’est forgé, la cohésion sociale instaurée, l’antagonisme ethnique et religieux transcendé. Il en était l’exemple vivant : sérère et chrétien dans une population à dominante wolofe et musulmane.

Le Président Abdou Diouf, qui lui a succédé, est un administrateur de «la pure race», sorti de la prestigieuse Ecole nationale d’administration de France (Ena) et Gouverneur à vingt-cinq ans. On lui doit la solidification de l’Administration dans l’esprit de «l’organisation et de la méthode» appris à l’école de son «illustre prédécesseur», comme il aimait à désigner le Président Senghor. L’ajustement structurel qui s’est imposé à son gouvernement, bien que durement ressenti dans le pays, a été supporté stoïquement par les populations. Les fondements de l’Etat ainsi bâtis sur une population unie et une Administration solide, le Sénégal était prêt à relever tous les défis du développement. C’est sur cette rampe que la gouvernance libérale est venue se projeter.

Le Président Abdoulaye Wade, brillant avocat et économiste émérite, qui a mis un terme à la longue gouvernance socialiste, s’est attelé au renforcement de nos institutions constitutionnelles et notre démocratie, avec l’élaboration d’une nouvelle Constitution et le lancement de projets ambitieux d’infrastructures. Chantre de la valeur du travail avec son fameux : «il faut travailler, beaucoup travailler, toujours travailler» lancé dans son discours de première investiture à la présidence de la République, il a suscité l’esprit du travail en Mouride assumé, la volonté individuelle de création de vie meilleure et la valorisation de nos potentiels économiques (ressources naturelles et humaines).

Le Président Macky Sall, ancien étudiant marxiste reconverti au libéralisme par son mentor Abdoulaye Wade, est ingénieur (géologue et géophysicien formé à l’Institut des sciences de la terre (Ist) de Dakar, puis à l’Ecole nationale supérieure du pétrole et des moteurs (Enspm) de Paris). Il a tout naturellement fait sienne, l’ambition de son prédécesseur dans la construction d’infrastructures modernes dans tous les secteurs de la vie des populations et le développement des nouvelles technologies dans les domaines de l’information et de la communication, de la santé et même de l’espace. Son avènement a coïncidé (comme par miracle) avec les grandes découvertes gazières et pétrolières, lui qui a passé une bonne partie de sa carrière professionnelle à prospecter ces ressources aux quatre coins du pays. C’est aussi la période de la conquête sportive de l’Afrique avec cinq coupes continentales en football.

Le «binôme» Bassirou Dio­maye Faye-Ousmane Sonko, tous deux inspecteurs des Impôts et domaines, spécialistes en finances publiques, accède au pouvoir avec l’ambition d’une bonne et saine gestion des ressources générées dans le pays. Cette accession, intervenue dans les conditions décrites an début de ce texte, couronne en quelque sorte la série d’événements que je classe dans les manifestations évidentes de la grâce divine à l’endroit de notre pays.

Cette succession harmonieuse de modèles de personnalité de nos chefs d’Etat depuis l’indépendance, au lieu d’être perçue dans le sens indiqué ci-dessus par tout Sénégalais en général et les autorités institutionnelles (Exécutif, Parlement et Justice) en particulier, semblent aller dans le sens contraire avec une série d’événements «sismiques» menaçant la cohésion nationale si minutieusement tissée depuis l’indépendance : discours contre la mémoire des Tirailleurs sénégalais, l’emballement de la machine judiciaire dans le cadre de la lutte contre les infractions financières quelque peu ternie par des actes et déclarations polémiques de personnalités étatiques et politiques contre les personnes soupçonnées, mais aussi la multiplications des actes de banditisme de plus en plus sanglants et l’hécatombe sur nos routes. L’initiative parlementaire d’une loi interprétative de celle portant amnistie des infractions liées aux événements violents entre 2021 et 2024 ne vient pas arranger les choses.

Faudrait-il le rappeler ? D’abord, le recours à l’interprétation d’une loi se justifie si son contenu est vague ou ambigu, rendant son application difficile notamment par le juge. Ensuite, ce rôle revient traditionnellement à ce dernier, détenteur constitutionnel du pouvoir de dire le Droit. Enfin, il y a trois approches (méthodiques) d’interprétation des lois qui, appliquées à la loi d’amnistie en question, laissent dubitatif tout esprit libre :
– la relecture grammaticale ou lexicale qui établit le sens exact des éléments du texte et son corpus.
– l’exégèse ou histoire (genèse) qui tend à remonter à l’auteur de la loi (l’Exécutif ou le Législatif) pour ressortir exactement le sens qu’il a voulu donner à la loi en question.
– l’approche téléologique qui cherche à déterminer la finalité (le but recherché) de la loi à interpréter, met l’accent sur la nécessité de repréciser les bonnes intentions de départ de l’initiateur. Il se trouve que la majorité parlementaire qui a voté la loi d’amnistie n’est plus la même aujourd’hui et il est indiscutable que son initiateur est bien l’ancien Président Macky Sall qui, à plusieurs reprises, en a expliqué le sens et la finalité.

Sous ce rapport, il nous semble clair que la loi d’amnistie de 2024 que la proposition de loi entend interpréter ne souffre d’aucune ambiguïté. Les infractions visées sont bien de deux catégories avec, entre elles, la conjonction de coordination «ou» (soit, soit) : il s’agit donc, d’une part, des infractions «se rapportant à des manifestations» publiques et, d’autre part, des infractions commises par des personnes «ayant des motivations politiques» qui ne sont pas liées aux manifestations, à l’exemple de la condamnation pour diffamation dans l’affaire du Prodac ayant opposé deux adversaires politiques. Dès lors, la proposition de loi interprétative, en disant que la loi d’amnistie vise uniquement les infractions «ayant exclusivement une motivation politique», dénature le sens textuel et l’esprit de la loi d’amnistie pourtant bien explicité dans son exposé des motifs et clairement exprimé dans le dispositif du texte. On peut donc considérer que cette proposition de loi est plutôt une loi rectificative et non interprétative de la loi d’amnistie. La mise en exergue des morts et les allégations de tortures dans la proposition de loi ne laisse aucun doute sur la catégorie de personnes ciblée. Il s’y ajoute que son application sera problématique dans la mesure où il sera question, par exemple, de distinguer entre deux casseurs, lequel a «exclusivement des motivations politiques» pour lui appliquer l’amnistie. C’est comme qui dirait : des «procès d’intention», pas plus, pas moins. Par ailleurs, la proposition de loi pèche par un amalgame dans la notion de torture qui n’a ni la même définition ni la même portée dans les deux textes internationaux évoqués. En effet, la torture aux termes du Statut de Rome (article 8.2.a.ii.) fait partie des crimes de guerre, c’est-à-dire ceux commis dans les conflits armés contre les personnes protégées (non combattants, personnel de l’Onu). Eux seuls relèvent du «Jus congens», norme impérative à laquelle aucune règle internationale ou nationale ne peut déroger. Tout au contraire, la torture au sens de la Convention contre la torture et les traitements inhumains est une atteinte aux droits de l’Homme commise par des membres des Fds et autres agents de l’Etat, et qui comporte dans sa définition une limite dérogatoire en ses articles 1, in fine et 2.

Les députés (comme tout détenteur d’une parcelle de pouvoir dans la communauté) doivent se rappeler la mise en garde du défunt Khalife général des Tidianes, le vénéré Abdoul Aziz Sy «Dabakh» (Rta) contre le vote de lois défavorables à la paix et aux intérêts des populations qui les ont élus. C’est aussi le lieu de relever ce signe du temps (encore une fois) qu’est l’éclipse lunaire intervenue ce vendredi 14 mars, en plein milieu de mois de Ramadan, et de surcroît en période d’équinoxe, marque de l’égalité et de l’équilibre parfaits (du jour et de la nuit), constituant à nos yeux une autre manifestation divine qui s’ajoute à celles évoquées précédemment, devant les inspirer dans la justesse et l’équité pour éviter de créer un nouveau facteur de mésentente sociale, et les rendre conscients du poids de leur responsabilité dont ils répondront devant l’Eternel comme l’a enseigné le Prophète de l’islam (Psl) particulièrement dans un Hadith authen­tique rapporté par Bukhary et Muslim : «Chacun de vous est gardien, et chacun répondra de sa garde.» Dans tous les cas, une telle initiative parlementaire de loi interprétative est une toute première depuis notre indépendance. Avec un lot d’incertitudes dans sa mise en œuvre, son adoption risque d’animer longtemps encore l’espace public, voire créer des tensions politiques et sociales dont le gouvernement se passerait bien pour se consacrer essentiellement à la mise en œuvre paisible de ses politiques publiques.

Sankoun FATY
Colonel de Gendarmerie à la retraite
Acteur de la Société civile de Sédhiou
sdfaty@gmail.com