Gabriela Inchauste, experte à la Banque mondiale, dans son rapport intitulé  «Partir sur un pied d’égalité – Eliminer les inégalités structurelles», souligne que l’Afrique est la deuxième région la plus inégalitaire du monde, après l’Amérique latine, et la seule où la réduction de l’extrême pauvreté (moins de 2, 15 dollars par jour et par personne) a stagné ; 60% de la population mondiale vivant dans la pauvreté se trouvent en Afrique. Face à ce constat alarmant, nous pouvons nous poser deux questions essentielles : 1/ faut-il continuer avec le modèle de développement marchant basé sur la recherche immodéré du profit et la loi du marché, partie prenante d’une économie mondiale de la violence (armements-guerre-mauvaise alimentation-industrie de la distraction, destruction de l’environnement …) ? 2/ Faut-il choisir un autre développement fondé sur la création d’emplois décents et durables qui régule la demande économique par la viabilité ? Difficile d’apporter une réponse sans controverses, mais essayons de trouver une plage de convergence pour étudier ensemble la nature et les principes de l’économie solidaire ou sociale.
L’économie solidaire est souvent appelée en Afrique «économie communautaire», elle n’est ni caractérisée par une logique de profit et d’exploitation ni par une forte dépendance de l’extérieur. Une économie hors de l’ordre marchand capitaliste parce qu’elle est fondamentalement sociale. Elle repose sur la communauté, c’est-à-dire sur une population qui exprime un sentiment d’identité commune par l’appartenance à une ethnie (ascendance), religion ou un intérêt commun et historique. Le professeur Emile Bernier l’a analysé sur le plan socio-anthropologique, je cite : «La nécessité communautaire apparaît d’abord matérielle, c’est-à-dire une protection contre les violences extérieures, ensuite une organisation de la satisfaction des besoins.» C’est une économie durable car conforme aux principes retenus par la commission du Norvégien Harlem Brundtland : «Le développement durable répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures de répondre à leurs propres besoins.» Il s’agit de développer et considérer la viabilité dans les stratégies de développement, en d’autres termes équilibrer les besoins de la biosphère avec les besoins de la population humaine.

C’est un modèle en parfaite harmonie avec la politique de décentralisation qui met les populations locales au centre des politiques publiques. C’est aussi un système de création de richesses pour le bien-être des populations fondé sur la créativité et la solidarité. A ce niveau, il faut redéfinir la croissance économique et les objectifs du développement.

On parle ainsi d’actifs écologiques constitués de capital naturel, de mesures environnementales dans l’élaboration des schémas locaux, l’utilisation viable des diverses ressources naturelles. C’est l’occasion pour les populations locales de valoriser toutes les filières (riz, oignon, tomate, poisson, fruits et légumes) en créant leurs propres chaînes de valeur. Les revenus générés permettront aux habitants de vivre décemment et prévenir les éventuels risques sociaux. Les coopératives de production ou de commerce, les mutuelles, les regroupements seront les véritables acteurs qui porteront la qualité de la croissance. Le modèle n’a presque pas besoin de financements directs étrangers à cause de l’engagement et de la capacité des populations à mobiliser des fonds selon des méthodes propres à leur vision du développement. Il faut tenir compte des transferts financiers effectués par les immigrés de chaque localité pour soutenir leurs familles et surtout les projets dans l’éducation, la santé et les infrastructures pour l’accès facile à l’eau potable. Ces transferts de capitaux serviront à créer des emplois décents, viables et durables. La main-d’œuvre aura une responsabilité collective sur la gestion des biens à sa disposition. Le système agricole sera financé par des tontines collectives, des prêts ou épargnes communautaires. La mobilisation des moyens propres devront permettre la mise en place de plusieurs unités de stockage de produits agricoles pour une bonne conservation, et en même temps accroître toutes les chaînes de commercialisation. L’Etat intervient pour l’accès à l’énergie, surtout solaire, en mettant en place une stratégie de substitution de l’énergie, c’est-à-dire l’utilisation de la source d’énergie la plus appropriée sur le plan écologique pour accomplir une activité nécessaire. Conséquences de cette stratégie communautaire : forte main-d’œuvre, d’importants revenus générés, accroissement des productions et consommations locales, bien-être collectif et viabilité du cadre de vie, etc. Il faut rapidement changer de paradigme, aller dans le sens de l’innovation totale en fonction de notre contexte socio-culturel pour tendre vers le bien-être intégral.

La Banque mondiale, dans un de ses rapports en 2024, indiquait : «Les responsables politiques doivent intensifier leurs efforts pour développer leurs économies de manière à créer des emplois plus nombreux et de qualité, tout en protégeant les plus vulnérables. L’emploi est le moyen le plus sûr de réduire la pauvreté et les inégalités.»
Alpha YOUM
Spécialiste de Gestion publique et Droit social
Président Paix/Citoyenneté-Sénégal