Les damnés de la République

Au pays de la parole, l’ultracrépidarianisme, qui cache une kakistocratie profonde, fait la loi. Sous la conduite d’une gouvernance populiste trempée dans la sauce de la guillotine, tous les moyens sont bons pour maintenir «les ratés de la République» dans une éternelle suspicion. Les différentes affaires en cours relatives à la gestion du Fonds Covid masquent en réalité un malaise grave dans le tissu social sénégalais, dont les racines sont à trouver dans une méchanceté gratuite promue et entretenue par des esprits dont le seul dessein demeure la conquête et la conservation du pouvoir.
Cette gangrène, qui ronge le cœur de ceux qui pensent que leur échec vient de la réussite des autres, est le socle d’une division sociale, qui fait l’affaire d’un populisme de bas étage dont le programme principal est l’accusation gratuite et la calomnie. Dans cette spirale de la mort programmée des damnés de la République et des chroniqueurs à «effacer», le dernier rempart de la société semble déjà montrer son camp. En effet, pour des personnes présumées innocentes, Dame Justice a mobilisé trois procureurs «gros calibres» pour charger davantage des personnes que la clameur publique a déjà jugées et condamnées.
Les informations sur les procédures ont été largement distillées dans la presse, avec une précision que seules des personnes proches de l’enquête peuvent détenir. Cette stratégie répond à un impératif d’une «justice politique qui (a) toujours sa calculette et son horloge bien réglées dans l’esprit» dans le but de légitimer des poursuites sans fondement par des statistiques bien choisies, en oubliant qu’«il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques».
Les statistiques déclamées sur le nombre d’arrestations, les cautions déposées et les biens supposés recouvrés font écho à la pensée de Jacques Nteka Bokolo : «Quand on veut rendre aveugle un peuple, il suffit de savoir parler à son ignorance.»
Les parquetiers ont-ils voulu assouvir la soif de vengeance d’une certaine partie de l’opinion et d’une presse partisane à travers cette communication basée sur les chiffres ? Cette question mérite d’être posée au regard de la volonté des parquetiers d’offrir à Mbaye «l’effaceur» des gros bonnets, mais aussi des gestionnaires dont le seul malheur est d’avoir été audités par des mains inexpertes d’un magistrat de la Cour des comptes revanchard contre la vie. Sa récente nomination à un poste stratégique au ministère des Finances, en violation de l’article 23 de la loi organique 2016-26 du 05 août 2016 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 99-13 du 17 février 1999 portant statut des magistrats de la Cour des comptes, sonne comme une récompense pour services rendus aux infiltrés de la République. Après avoir grandement contribué à jeter l’opprobre, «tuer» moralement et socialement, et briser la carrière de gens qui ont servi l’Etat, ces procédures, avec des visées politiques et dans une cécité partisane, sont le reflet d’«une justice automatisée (…) déshumanisée» dont la seule volonté est d’offrir des agneaux du sacrifice à la vindicte populaire.
Les agents de l’Etat sont devenus les damnés de la République sans protection aucune dans l’exercice de leurs fonctions, en tombant sur des auditeurs qui ont droit de vie ou de mort sur leur carrière. A cela s’ajoute un procureur qui a déjà jugé et condamné avec des qualificatifs «(…) injustement, illégalement et indignement (…)», oubliant que «ce n’est jamais la Justice qui rend la justice, ce sont des juges, c’est-à-dire des hommes et des femmes susceptibles, comme tout autre, de commettre des erreurs».
Sous cet angle, soit les chefs des parquets ont reçu des ordres de l’Exécutif, soit ils ont bâclé l’exploitation du rapport sans prendre en compte les dénégations sérieuses apportées par les mis en cause lors de l’enquête préliminaire. Il est difficile de comprendre qu’un rapport reçu en trois jours puisse conduire à des arrestations sans donner la possibilité aux personnes citées de défendre leur cause dans la sérénité d’une procédure équitable et protectrice des droits des individus. Il s’agit d’une opération de confiscation de libertés pour mettre la pression sur ces personnes et calmer l’ardeur de l’Exécutif qui s’impatiente d’offrir à ses partisans des trophées de guerre d’une reddition de comptes biaisée.
Le procureur Ibrahima Ndoye nous doit des explications en nous démontrant par quelle alchimie il a pu exploiter le rapport de la Cour des comptes et les procès-verbaux préliminaires de la Division des investigations criminelles, pour prendre des décisions de garde à vue. A moins que le Procureur de Dakar, dans sa volonté de donner des gages à l’Exécutif, ait entièrement écarté les enquêtes déjà menées par la Dic. Pour rappel, toutes les personnes citées dans le rapport de la Cour des comptes ont été entendues par la Dic et les Pv transmis au Procureur général depuis 2023.
Il semble que l’exercice de communication bien orchestré ne prend pas les précautions d’une lecture critique du rapport, des objections émises et des preuves fournies ; comme pour assouvir «une vengeance déguisée en justice» et humilier les mis en cause en les incitant à la dénonciation d’autorités politiques.
En voulant installer ces autorités politiques (les ministres) et s’autoproclamer une nouvelle Cour des comptes, le Procureur de Dakar ouvre un boulevard de poursuites en s’éloignant des recommandations initiales formulées par la Cour des comptes. Le Parquet de Dakar, en bras armé de l’Exécutif et du projet Pastef, cherche-t-il à offrir en cadeaux des dignitaires de l’ancien régime en oubliant, comme le dit Ciceron, que «l’essence de la Justice est de ne nuire à personne, et de veiller à l’utilité publique».
Pour les damnés de la République, il faut s’approprier les paroles du Coran qui nous enseignent que «ceux qui sont venus avec la calomnie sont un groupe d’entre vous. Ne pensez pas que c’est un mal pour vous, mais plutôt, c’est un bien pour vous […]».
George DIOP
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