Attention ! Ces esprits retors qui tentent d’opposer, voir dresser Sérère contre Diola ou Toucouleur veulent mettre la République en danger. Ce sont des oiseaux de mauvais augure qu’il convient de chasser énergiquement ! Personne ne doit leur prêter la moindre oreille attentive ; encore moins les suivre.

Aussi ces pyromanes doivent-ils être démasqués et disqualifiés pour de bon. Leur attitude mesquine n’a d’égale que leur étroitesse d’esprit et leur manque de culture ; car la grandeur d’un homme ne se mesure pas par rapport à son sectarisme, mais bien par rapport à sa capacité à rassembler pour un idéal commun, ainsi que ses dispositions au dépassement et au pardon.

Que ces «oiseaux» de mauvais augure comprennent que l’unité de la Nation sénégalaise que les générations précédentes -notamment avec le Président Senghor- ont patiemment forgée, est sacrée et ne se négocie pas. Le Sérère se sent chez lui sous le toit du Diola, et vice versa. Ce cousinage à plaisanterie, qui remonte à la nuit des temps, à n’en point douter, constitue le ciment de notre société.

Ces démons de la division ont-ils conscience des désastres que leurs propos -bouclier humain en Casamance et au Fouta- suivez mon égard, pour ne citer personne, ainsi que leurs attitudes, peuvent provoquer au sein de la concorde nationale ? Des Etats déchiquetés et disloqués, un tissu social en lambeaux, une insécurité quasi permanente.

Que Dieu nous en préserve !
L’incident qui s’était produit à l’université que certains mal intentionnés ont considéré comme un soubassement pour mettre en évidence leur velléité ethniciste, ne devrait être qu’un épiphénomène. Sous ce rapport, n’est-il pas plus sage de se référer à la pensée profonde du présocratique Héraclite aux aphorismes célèbres : «Tout coule, tout coule, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.»

De ce point de vue, je suis tenté de crier : plus jamais ça !
Oui, mes chers concitoyens, il n’y a pas d’essence éternelle. Tout est soumis au changement. L’identité n’est pas ce qui est nécessairement «identique», mais le résultat d’une identification contingente. C’est normal qu’il y ait des différences dans une société. C’est même souhaitable. Cette unité dans la diversité est une source de richesse. Ce sont les apports fécondant des uns et des autres qui génèrent la prospérité. J’attends le mil du Sérère et le riz du Diola pour me mettre à l’abri de la disette. Ainsi, l’identité devient une appartenance commune.

Par ailleurs, une analyse sociologique des échauffourées de l’université ainsi que les propos discriminatoires de certains incultes égarés pourraient nous renvoyer à la conception de Durkheim, par rapport à ce qu’il appelait les «manières de faire» qui définissent même l’individu et sa place dans le processus social.

Ce point de vue ne peut plus, de nos jours, suffire dès lors, par exemple, qu’on passe, selon la formule de Weber, de formes massivement «communautaires» à des formes de plus en plus «sociétaires». Reste à savoir, mieux comprendre quelle est la nature de cette nouvelle forme de lien social qui émerge du processus historique des différentes communautés -ethniques, religieuses, etc. C’est ce que ne semblent pas comprendre ceux qui tentent de semer le germe de la discorde. C’est finalement et très simplement une question de culture. Un homme instruit n’est pas nécessairement un homme cultivé.

L’heure n’est plus à la division, mais à l’union des cœurs et des esprits, pour la construction de notre cher Sénégal qui nous a vus naître et grandir. Et pour ce faire, un changement d’attitude, mieux un nouvel état d’esprit, consistant à ne dire ou faire que ce qui unit ou rassemble, est plus que jamais nécessaire. Suivons le Président dans son appel à la cohésion nationale.

N’oublions jamais la formule de Norbert Elias : «Il n’y a pas d’identité du «je» sans identité du «nous».» Elias propose même l’expression «identité» «nous-je». Ce choix délibéré à la «communauté» par rapport à la «singularité» de Elias est tout à fait noble ; j’allais même dire, tout simplement humain, car l’homme ne vit, ne s’épanouit que dans et par la société. Le Sérère que je suis et dont je suis fier, ne peut pas aller sans son Diola ou son mbidou, qui sont des cousins, mes compagnons de route, depuis la nuit des temps. N’oublions jamais aussi que pendant tout le XIXe siècle, les Etats-Nations vont progressivement s’imposer comme forme prédominante du Nous sociétaire. L’invention du nationalisme va notamment permettre de légitimer l’identité nationale comme forme identitaire dominante.

Ce mouvement va conduire au XIXe siècle, à deux guerres mondiales qui seront les plus meurtrières de l’Histoire. Je le rappelle surtout aux formations politiques sénégalaises qui l’ont adopté comme ligne de conduite, pour ne pas dire «idéologie».

Aussi cet «âge des extrêmes» verra-t-il, au nom du nationalisme le plus exacerbé et le plus totalitaire, s’accomplir des crimes identitaires contre l’humanité et notamment le plus impensable et le plus horrible : l’Holocauste -des milliers de morts juifs dans des conditions atroces- synonyme de forme rationalisée et bureaucratisée d’extermination de l’Autre.

La monstruosité nazie s’enracine dans la plus radicale des revendications identitaires : celle qui définit l’Autre -le juif- comme le Mal absolu à éliminer absolument. Vous voyez donc pourquoi je parle de péril identitaire. Je salue au passage la mémoire de mon professeur d’Histoire et de géographie, feu Matar Sonko, qui, en classe de 3e, il y a plus d’une quarantaine d’années, nous l’avait bien expliqué. En somme, tout revient à améliorer sans cesse son attitude comportementale vis-à-vis de l’autre. Mais qui est l’autre ? L’autre, c’est celui que tu rencontres sur la route, dans ton quartier ou village, ton voisin, celui avec qui tu partages le bus, le Ter, la banque, et que sais-je encore, qu’il soit Sérère, Diola, Toucouleur et autres, qu’il soit Mouride, Tidiane, Layène, chrétien ou musulman, ou tout autre, car avant tout, c’est une créature humaine.

De plus, l’autre, c’est celui auquel tu dois t’unir pour devenir l’homme «total», le frère «universel», celui auquel tu dois t’unir pour réussir et te sauver avec tout ton peuple.

L’autre, c’est celui que tu dois aimer de tout ton cœur, de toutes tes forces, de toute ton âme ; qu’il soit du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest. C’est cela l’amour de la Nation. Luttons franchement contre toute velléité tendant à fissurer notre beau Peuple pour que vive notre Sénégal éternel.
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’Enseignement
Elémentaire à la retraite