Au vu de la marche actuelle du monde sur les plans économique, militaire, industriel et sanitaire, l’Afrique, bien qu’étant gâtée par dame nature, peine toujours à occuper les devants au niveau de la scène internationale. C’est une réalité apparente malgré les efforts consentis jusque-là. Parmi les facteurs à l’origine de ce constat majeur, il y a la corruption. Elle est l’un de ces maux et non des moindres. Selon Ong Transparency International -dans son rapport de 2020-, qui évalue l’indice de perception de la corruption, treize pays africains figurent parmi les vingt les plus corrompus de la planète. Plus récemment, dans son rapport de 2024 : parmi les 180 pays évalués, la Somalie et le Soudan du Sud ferment le classement. Par ailleurs, le Sénégal, même s’il est «un pays en Afrique et non africain», pour reprendre les propos d’un ami, force est de constater qu’il ne fait pas exception quant à la corruption. Il n’est pas étranger à ce phénomène sous-régional, continental, voire mondial, véritable handicap à notre développement. Conscient de ce fléau constituant une entrave à notre processus de développement, j’ai jugé utile de m’interroger sur la dédramatisation de la corruption en Afrique et particulièrement au Sénégal.
Les facteurs de la dédramatisation de la corruption : la corruption est une rétribution illicite, un abus de pouvoir à des fins privées ayant pour objectif l’enrichissement personnel du corrompu, à en croire Souka Souka -l’Afrique malade de ses militaires. Il existe deux types de corruption : la corruption active et celle passive. La première renvoie à la proposition d’argent ou de service à un dépositaire d’un pouvoir en échange d’un avantage indu. La seconde consiste à accepter cet argent. Cependant, je pense qu’il serait pertinent de s’intéresser aux facteurs qui sont à l’origine de la banalisation de la corruption. En Afrique, il faut le dire, on a l’impression que la corruption ne constitue pas un drame. Elle est banalisée, normalisée. Elle est monnaie courante. C’est une réalité que nous vivons dans la vie de tous les jours. Du plus haut gradé de l’Administration à celui occupant le poste le plus insignifiant. De l’Etat central à la périphérie. A y voir de près, nous pouvons répertorier quelques facteurs :
– La culture administrative du laxisme : Au sein de notre Administration, sous quelque niveau que ce soit, on constate un certain laxisme. Certains agents font preuve d’une tolérance extrême à l’égard des règles enfreintes par les usagers, en contrepartie d’un versement de pots-de-vin. On note un certain favoritisme d’une catégorie de citoyens en raison de leur proximité, des relations amicales ou familiales, de la situation financière ou du statut social. Or, la quintessence même du service public réside dans la satisfaction de l’intérêt général, indépendamment de toutes ces considérations précitées. Les citoyens doivent être traités au même pied pour ne pas engendrer une rupture d’égalité. A situation égale, traitement égal comme on dit. Au Sénégal, selon le rapport d’Afrobarometer sur la corruption en 2022, parmi les Sénégalais qui ont eu affaire à certains services publics ou à la police au cours des 12 derniers mois, la majorité (57%) révèle avoir fait un cadeau ou une faveur afin d’obtenir des documents tels que la pièce d’identité, le passeport ou le permis, et un sur 10 l’a fait afin d’obtenir des services médicaux (9%) ou éducatifs (8%). Selon la même source, la corruption connaît une augmentation à une hauteur de 75% en 2021, 48% pour les institutions de la police et de la gendarmerie, 37% pour les députés de l’Assemblée nationale et 36% pour les conseillers municipaux et départementaux, entre autres.

– La pauvreté : Les conditions de vie indécentes facilitent, à bien des égards, la corruption. Certains agents, en raison de leur situation financière et au regard de toutes les responsabilités endossées -surtout pour un soutien de famille- ne parviennent pas à joindre les deux bouts. Chose qui les expose à la merci des corrupteurs. La corruption est courante mais banalisée. Souvent dans le jargon des protagonistes de ce phénomène, les expressions employées en disent long. Au Sénégal, on est habitués à entendre ces termes : Baayi fi dara, Tooyal ceeb, lekkukayu xaliss, njegu guroo… Prati­quement aucune démarche administrative n’aura pas de suite favorable sans gombo ou Tchoko au Cameroun ; Igiturire terme burundais ; Madessu ya bana au Congo-Brazzaville et en Rdc ; So Thca du Thca en Bénin qui veut dire aussitôt acheté, aussitôt gagné. Cependant, à mon avis, ceci n’est en aucun cas un alibi, si l’on mesure bien évidemment tous les effets pervers qui s’y attachent, surtout pour un pays pauvre qui aspire au développement.

Les conséquences de la dédramatisation de la corruption : la question de la corruption est factuelle. C’est un phénomène qui nous interpelle autant que nous sommes. Sa dédramatisation n’est pas sans conséquence à l’égard de nos pays. Les auteurs mesurent-ils toutes les conséquences derrière cette absurdité ? En tout cas, je ne le pense pas. D’abord, elle constitue un véritable obstacle à notre développement économique. Elle ne permet pas de collecter toutes les recettes qui doivent entrer dans les caisses de l’Etat. Par conséquent, ceci influe significativement sur notre potentiel fiscal. La corruption dégrade la note de nos pays du point de vue économique. A l’échelle internationale, elle ne reflète pas une bonne image de nos pays et peut décrédibiliser ces derniers. Elle n’est pas gage de sécurité pour les investisseurs et peut compromettre les Investissements directs étrangers (Ide). Ensuite, sur le plan démocratique, elle n’est pas garante des droits des citoyens s’il y a une priorisation de certains aux dépens de la majorité de la population. Ce qui risquerait, sans nul doute, d’engendrer des disparités sociales par rapport aux services rendus et de contrarier même le principe d’égal accès aux services publics.

Solutions contre la dédramatisation de la corruption : Mieux vaut tard que jamais ! Le phénomène de la corruption, même s’il subsiste, des solutions ne manquent pas afin d’endiguer ce fléau. Mais pour ce faire, toutes les parties prenantes doivent s’y immiscer. Le Sénégalais lambda, les agents publics, les fonctionnaires, les autorités administratives et judiciaires, le secteur privé, la Société civile sont tous concernés. Au Sénégal, des efforts sont notés çà et là, avec l’existence de corps de contrôle tels que l’Ofnac, la Cour des comptes, l’Ige, et plus récemment le Pool judiciaire financier qui fait d’ailleurs un travail remarquable par rapport à la délinquance économique et financière. Cependant, le fait de multiplier des ateliers de sensibilisation au niveau des contrées et des zones les plus reculées ne ferait que s’inscrire dans une logique de conscientisation des citoyens et des acteurs concernés. Cette sensibilisation va de pair avec une exemplarité qui doit émaner de l’Etat central pour servir d’exemple. A cela s’ajoute l’impératif de durcir notre politique d’anti-corruption en élargissant les compétences des autorités habilitées à ce sacerdoce. Toutefois, la probité et l’éthique sont des valeurs cardinales qui doivent occuper une place primordiale dans la conduite des actions gouvernementales, dans la gestion des affaires publiques et dans la satisfaction de l’intérêt de l’usager africain et sénégalais, aussi minime soit-il. Le juge Kéba Mbaye, dans sa leçon inaugurale sur l’éthique du 14 décembre 2005 à l’Ucad, disait : «Demandons-nous chaque fois que nous sommes tentés d’avoir un comportement non éthique, ce que serait la vie si chacun faisait comme nous. Demandons-nous ce que serait une société de délateurs, de profiteurs, de voleurs, de corrupteurs et de corrompus, d’indisciplinés, d’insouciants, d’égoïstes, de fraudeurs ; la liste est longue mais la réponse est une : ce serait une société vouée à l’échec, et peut-être à la déchéance et à la misère matérielle et intellectuelle. Alors, évitons de tels comportements.»
Medoune SALL
Etudiant en Master 1 en Droit Public
Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Sources :
Souka Souka, L’Afrique malade de ses militaires.
Leçon inaugurale du feu juge Kéba Mbaye, le 14 décembre 2005 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) : https://www.ohada.com/uploads/actualite/734/lecon-inaugurale-keba-mbaye.pdf.
Rapport publié par Afrobarometer intitulé : Les Sénégalais déplorent la hausse du niveau de corruption mais craignent des représailles en cas de dénonciation – https://www.afrobarometer.org/wp- content/uploads/2022/02/ad462-senegalais_deplorent_une_hausse_de_la_corruption- afrobarometer-10juillet218.pdf.