Le Musée des civilisations noires (Mcn) de Dakar abrite, depuis hier, un Symposium international en hommage à la professeure Fatou Sow, sociologue et figure du féminisme africain. Organisé par la Fondation de l’innovation pour la démocratie en partenariat avec plusieurs institutions, ce symposium, qui entre dans le cadre du cycle triennal d’Enquêtes et recherches féministes (2025-2027) et qui a réuni universitaires, chercheuses, activistes et militantes, a été placé sous le thème : «La démocratie au féminin.»Par Ousmane SOW – 

Du 15 au 17 mai 2025, Dakar accueille le Symposium international «La démocratie au féminin», un événement ma­jeur organisé par la Fondation de l’innovation pour la démocratie en partenariat avec l’Agence universitaire de la Francophonie (Auf), Sciences Po, l’Institut français de Dakar, Polit’Elles, l’Institut de recherche pour le développement (Ird). Cet évènement a réuni universitaires, chercheuses, activistes et militantes pour honorer la professeure Fatou Sow, sociologue et pionnière du féminisme africain et qui, à 83 ans, continue d’interroger avec rigueur et audace, les fondements patriarcaux des sociétés africaines. Le symposium marque aussi l’ouverture d’un cycle triennal d’Enquêtes et recherches féministes (2025-2027) qui ambitionne d’analyser en profondeur les mutations des rapports de genre en Afrique contemporaine. Selon elle, une société qui ignore les voix des femmes se prive de son avenir. «Je suis très heureuse qu’on puisse aujourd’hui perpétuer cette volonté que nous avions. Mais, je suis surtout très fière de dire : «je suis féministe», et que personne ne me dise «ah bon, féministe ?», a déclaré, émue, la professeure Fatou Sow, saluant la reconnaissance de ses pairs et des nouvelles générations. «Je suis très émue d’être honorée par mes pairs, par l’université. Je suis très heureuse que de plus jeunes générations, qui ont travaillé avec moi, reconnaissent la contribution que j’ai faite dans le système. Sans eux, ma contribution aurait peut-être disparu. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est accepté, que le féminisme existe», se réjouit-elle, tout en rappelant que le féminisme est une manière de considérer les femmes, de prendre en compte les réalités sociales, d’analyser les hiérarchies existantes et surtout les inégalités. «Etre féministe, c’est vouloir changer la position de subordination des femmes. C’est pouvoir ôter tous les obstacles qui se dressent devant l’avancée des femmes, devant leurs besoins et leurs exigences de droits», fait-elle savoir.
Professeure, sociologue et chercheuse engagée, Fatou Sow a également souligné que penser la démocratie au féminin est plus qu’une urgence, c’est un impératif. «On a besoin d’une démocratie au féminin, d’une démocratie qui nous répond à nos yeux. On veut pouvoir arriver sans quota, sans parité, mais arriver parce que nous sommes là, nous sommes compétentes, nous sommes politiquement fortes, nous avons des opinions, nous avons des moyens de construire nos sociétés sur des normes que nous avons faites ensemble», a-t-elle expliqué. Ainsi, depuis les années 70, Fatou Sow construit une pensée critique enracinée dans les réalités africaines, contre vents et marées. «Les mouvements de femmes, comme les mouvements des hommes, sont des mouvements divers, parfois divergents», rappelle-t-elle, insistant sur la richesse du débat et la nécessité d’une démocratie au féminin. «Il n’y a pas seulement un débat sur les femmes, mais c’est un débat de société. Le Sénégal est un pays qui se transforme», précise la sociologue.

Présidant la cérémonie d’ouverture, Dr Abdourahmane Diouf, ministre de l’Ensei­gnement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a salué une «œuvre académique exceptionnelle et internationalement reconnue». Il voit en la professeure Fatou Sow, «l’une des rares figures de notre vie académique qui nous aura appris à conceptualiser et à politiser l’Afrique des femmes». Pour lui, la lutte féministe africaine s’inscrit dans une révolution silencieuse post-indépendance, face à un processus de décolonisation inachevé. «Au lendemain des indépendances, une révolution invisible et silencieuse s’est enclenchée en Afrique», dit-il, rappelant que depuis «1960, l’idéal d’égalité entre les sexes n’a cessé d’acquérir une place centrale dans les luttes africaines en vue d’une émancipation intégrale».

«Libérer la puissance féminine»
De son côté, Achille Mbembe, Directeur général de la Fondation de l’innovation pour la démocratie, a livré un plaidoyer fort pour une démocratie enracinée dans la réalité sociale. «Il ne peut pas y avoir de démocratie, en tout cas chez nous en Afrique, qui ne place pas au cœur de son projet, de son concept même, la femme», affirme-t-il. Le philosophe appelle à «libérer la puissance féminine» et à investir dans l’éducation civique, les espaces de créativité et la transmission intergénérationnelle. «C’est cette politique de la vie, du vivant, à mon avis, qui doit servir de valeur à un nouvel âge du matrimoine en Afrique», a-t-il laissé entendre. Quant au Pr Mamadou Diouf, historien et directeur du Département d’études africaines à Columbia University aux Etats-Unis, il souligne que les femmes et les jeunesses africaines sont les moteurs silencieux de l’histoire politique de l’Afrique. Dans son speech, il a retracé les deux temps de l’œuvre de Fatou Sow notamment, une sociologie du développement, puis une sociologie du genre et de l’engagement. «Elle s’est intéressée à la manière dont les systèmes d’inégalité ont participé à la dépendance de la femme», affirme-t-il. Et de citer Sembène Ousmane : «la seule manière de transformer les sociétés africaines, c’est de changer le statut des femmes. Tant que les femmes ne seront pas émancipées, les sociétés ne seront pas émancipées. Ça, c’est très clair», estime-t-il.
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