Le deuxième long métrage du cinéaste libano-sénégalais Nicolas Sawalo Cissé transmute un bidonville, aujourd’hui rasé, en fable mystico-écologique par la grâce, unifiée, du Coran et de la cosmogonie des Lébous, ainsi que par l’entremise d’un imam interprété par Ibrahima Mbaye. Une fable ? Un conte, dit l’auteur, à partager avec tous les enfants de la planète Terre.

Dans les ruelles d’un bidonville de songe, le bon imam Habibi distribue à ceux qu’il croise la Paix d’Allah. Sa bienveillante tolérance va jusqu’à faire pleuvoir des bonbons offerts aux enfants, sans oublier de prendre soin des plantes, de la terre et des plus humbles insectes conformément à une lecture écologiste de la Sourate 27 du Coran, dite Sourate des fourmis. Ou bien encore, quelques pas avant, de glisser un billet de banque à un garnement qui ferait mieux, au Nom de Dieu, de se racheter une conduite, en allant à l’école… Tel est en résumé le tableau quasi édénique offert par La Mémoire du manguier, deuxième long-métrage du cinéaste et producteur Sénégalo-libanais Nicolas Sawalo Cissé (66 ans), produit avec la participation de Canal+. Il a été projeté à Cannes aux marches du Palais, durant le 78e festival cannois. Plus précisément dans les murs de l’African House, la nouvelle version d’un Pavillon africain du 7e art promu par Aminata Diop Johnson, créatrice de l’Agence culturelle africaine.
Le manguier de Nicolas Cissé module, à sa façon, son grand cri écolo poussé en 2014 du haut d’une montagne de déchets en banlieue de Dakar, Mbeubeuss ou le terreau de l’espoir. L’engagement environnemental de l’auteur, autrefois architecte, s’est concrétisé dans un recyclage d’authentiques objets et matériaux issus de divers bidonvilles, chinés à Dakar même. Ils ont permis de reconstituer ce qui devait s’apparenter à une cité improvisée par l’exode et la misère, au sein du Village des arts de la capitale, avec l’aide des artistes eux-mêmes. «Deux ans de travail pour trois semaines de tournage», souffle Nicolas Sawalo Cissé. A l’écran, la référence à un modèle ayant existé paraît fort lointaine, si la référence est bien celle d’une «Cité imbécile» ayant existé dans le secteur Hann-Bel Air, à deux km à vol d’oiseau du centre-ville. Sa réputation de violence et des rumeurs sur des caches d’armes ont conduit à sa destruction, avec déguerpissement de ses habitants, en juillet 2023, dans le cadre du programme gouvernemental «Zéro bidonville».

Cette Cité imbécile, Nicolas Cissé se souvient l’avoir vu raser sous ses yeux, ainsi qu’avoir lié amitié avec certaines de ses figures évoquées dans La Mémoire du manguier. Pour autant, dans sa version «réhabilitée», transmuée, par l’architecte-urbaniste qu’il a été dans une vie précédente, tout change. Ici, ni alcool ni drogue. La violence se réduit aux menus larcins d’un baby-gang, les hyènes, dirigées par un Gavoss qui s’avérera un bon gosse, du genre cancre qui dit oui avec le cœur. L’aura de l’imam Habibi est garante de tranquillité sereine, chaos zéro. Une force tranquille partagée par celui qui incarne l’homme de foi : le remarquable comédien sénégalais Ibrahima Mbaye, présent naguère à Cannes dans le film Atlantique de Mati Diop, auréolé d’un Grand Prix du jury en 2019. De l’harmonie régnante, magnifiée par les images du chef op’ Amath Niane, un magicien, parfaitement raccords avec la musique signée de Jean-Philippe Rikyel, un bienfaisant parfum de poésie s’exhale. Le réalisateur assume : «La poésie est en nous, Humains, et j’ai voulu restituer l’Humanité contrainte de loger dans ces taudis bâtis de carton et de détresse…» Outre son interprétation «green» de la Sourate des fourmis citée plus haut, l’imam Habibi a recours, au pied de son manguier, à une pratique ancestrale chez les Lébous, celle du Ndeup, un rite découlant d’une cosmogonie non moins écologiste. D’où la référence à la mémoire du manguier. «Chez nous, l’islam n’éclipse pas la tradition», rappelle Nicolas Sawalo. Entre autres vertus, le Ndeup est réputé pour soigner les esprits perturbés. Ce qui, hélas, n’empêchera pas l’imam Habibi d’oublier les horaires des prières à la mosquée, avant de sombrer dans une maladie neurologique portant le nom d’un médecin allemand…

Pour autant, la Cité imbécile aura mérité d’être rebaptisée ici en «Cité des apprenants», par la volonté de ses propres occupants. Et le film de Nicolas Sawalo Cissé de se lancer, InchAllah, dans l’aventure du circuit des festivals internationaux, avec en perspective une avant-première à Dakar en janvier prochain.
Par Jean-Pierre PUSTIENNE (Correspondance particulière)