Le Sénégal est un pays où l’archéologie a toujours eu ses droits depuis le XIXe siècle, et au début du XXe siècle, avec le Capitaine Jouenne, Jean Joire, Bonnel de Mézière, Raymond Mauny et toutes les équipes qui se sont succédé à l’Ifan, de génération en génération, qui ont fouillé du Nord du pays au Sud et d’Ouest en Est, dans le désert mauritanien et dans le Sahel, et qui ont permis d’inventorier des centaines et des centaines de sites archéologiques qui nous renseignent sur les civilisations du Paléolithi-que, du Néolithique et celles protohistoriques et historiques. Le Centre national de la recherche scientifique, Cnrs, en son temps, avec Charles Becker et Victor Martin, a été même de la partie. Les noms de Annie Ravisé, Guy Thilmans, Cyr Descamps sont aussi attachés à cet important travail d’archéologie qui a toujours été une source d’informations indis-pensable pour faire éclore la vérité historique ou, pour le moins, éclairer les différents faits du passé.
Nos archéologues au Sénégal, de plusieurs nationalités, hier comme aujourd’hui, sont certainement parmi les mieux formés du monde, avec des traditions qui se sont établies depuis l’Institut français d’Afrique noire. Celles-ci seront ensuite anglaises et américaines. Nos archéologues sont encore et toujours à l’œuvre, exhument des pans entiers ou partiels de notre histoire et restent discrètement, dans le plus grand anonymat, dans leurs bureaux ou laboratoires. Ils méritent davantage de moyens et d’égards, considération faite de leurs difficiles et complexes missions et de leurs résultats, probants à tous les points de vue. L’Université Cheikh Anta Diop dispose même d’un laboratoire de datation au Carbone 14, courageusement monté de toutes pièces par le Pr Cheikh Anta Diop. Un fait de grande importance qui mérite d’être fortement souligné, car il permet de faire figurer le Sénégal parmi les rares pays africains et du monde qui en sont dotés.
L’autre fait à signaler est l’extrême densité du sous-sol sénégalais en établissements humains de tous genres ; un «scandale archéologique», pourrions-nous dire pour donner une idée plus ou moins exacte de sa situation de finistère ouest-africain, où aboutissent tous les mouvements migratoires et toutes les remontées de civilisations préhistoriques et historiques ; de la vallée du Nil à l’Est, vers l’Ouest atlantique, du Nord maghrébin, saharien et sahélien, vers le tropique Sud, d’une part et, d’autre part, ceux et celles venant du Golfe du Guinée pour se diriger vers les régions plus septentrionales du continent.
Radio France internationale nous a appris il y a quelques jours que les fouilles ont débuté au Cimetière militaire de Thiaroye. Rien à dire a priori ; il faut même plutôt s’en féliciter. C’est une demande formulée depuis fort longtemps par les différentes communautés universitaires et scientifiques du Sénégal et de la France, par des hommes politiques, associations et mouvements de la Société civile de ces deux pays, mais aussi par moult personnes membres des associations de familles des Tirailleurs sénégalais. Il y a une unanimité sur cette question, même si l’Etat français communique très peu, ou pas du tout sur cette question, et ne manifeste aucun engagement à ce sujet.
Joindre l’acte à la parole, c’est ce que nous avons compris du côté des autorités sénégalaises nouvelles, qui ont à cœur cette question et à qui nous devons une fière chandelle avec la commémoration des 80 ans de ce bien triste massacre de Thiaroye, le 1er décembre 1944. Monsieur le Premier ministre Ousmane Sonko, en particulier, est monté au créneau. Rien de tel dans nos pays où les affaires importantes sont généralement, pour ne pas dire toujours, remises au lendemain et aux calendes grecques.
Souveraineté pour souveraineté, oui, mais la question de Thiaroye 44 n’est pas une question exclusivement sénégalaise et strictement sénégalaise. C’est une question régionale, internationale, qui a ses tenants et ses aboutissants politiques et diplomatiques, un passif qui est très lourd et un actif qui doivent forcément impliquer la France et les anciens pays de l’Aof, de l’Aef et de Madagascar. La question est là, à ce niveau, et mérite par ailleurs d’être posée dans des termes qui impliquent et responsabilisent au premier plan les communautés universitaires et scientifiques, à cette échelle, les familles des victimes et les organisations des sociétés civiles de France, du Sénégal et même d’ailleurs, afin que nul n’en ignore et que l’on opère au grand jour, avec plus de transparence et d’efficacité par la mutualisation des moyens et expériences.
Comment aussi ne pas s’interroger strictement sur les plans scientifique et méthodologique ? L’ancienne région naturelle de la presqu’île du Cap-Vert, incluant la Patte d’Oie, Thiaroye, Rufisque jusqu’à Thiémassas, et toute la Petite-Côte, est remplie d’histoire. Elle est un réservoir de sites archéologiques divers qui nous remontent aux civilisations du Paléolithique supérieur et du Néolithique, avec leurs différents artéfacts, et mérite une plus grande attention sur les faits d’histoire moderne, intrinsèquement liés à la traite négrière du XIVe au XVIIIe siècle. Il faudra sans nul doute et de toute évidence, faire la part des choses entre toutes ces séquences historiques. Evidemment, la datation au Carbone 14 ou avec d’autres procédés encore plus pointus édifiera sur les probables squelettes et différents artéfacts qui seront trouvés. On ne peut pas manquer d’attirer l’attention sur cet aspect des choses.
Il se trouve par ailleurs aussi qu’un seul témoignage, quel qu’il soit, ne suffit pas en la matière pour engager des fouilles d’une si grande sensibilité et importance. D’autres sites probables de fosses communes sont signalés, sur le camp de Thiaroye même, chez les mécaniciens, autour du marché, sur le Cem, sur l’autoroute à péage. Il faudrait des moyens modernes conséquents de télédétection et de prospection, de grands budgets, des équipes éprouvées et d’expérience, et un agenda qui nous sort de l’immédiat. Du Caire, le pays des pyramides et des pharaons, au Cap en Afrique du Sud, pays de l’Australopithecus africanus, tout le long de la côte orientale d’Afrique, de Méroé-Kouch au plateau d’Abyssinie et Cap Gardafui, dans la Rift Valley, la Vallée de l’Omo, le territoire de Lucie, de Ororin, de l’Afarensis, de l’homo sapiens sapiens, au Tchad, le pays de Toumaï, le plus vieux squelette connu de l’homme, dans la vallée du Niger, dans le Hodh mauritanien, etc., les avancées dans le domaine de l’archéologie sont colossales et reposent toutes sur la coopération internationale, depuis des décades, avec leurs différents résultats qui ne souffrent d’aucune contestation.
La Panaf, organisation panafricaine d’archéologie, créée par le Pr Leakey, depuis 1947, tenue à Dakar en 2010, aura montré que l’Afrique, berceau de l’Humanité, le principal théâtre des fouilles de toutes sortes, souffre dans ce domaine d’un grand retard et de manques criants. Sur les deux cents à trois participants, on ne comptait pas une vingtaine venant du continent, essentiellement du Sénégal, du Maroc et du Mali. L’Europe et l’Améri-que comptaient le plus grand nombre.
Ces fouilles sur Thiaroye 44 méritent d’être inscrites dans la transparence, l’efficience et l’efficacité, dans la durabilité et dans la coopération internationale, en tant que grand chantier du Sénégal et du monde sur les violences coloniales.
Mansour AW

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