Depuis le changement démocratique en mars 2024, le statut constitutionnel de l’institution primatorale est sans cesse questionné par les analystes. Mais, il est d’une grande utilité constitutionnelle de savoir que, jusque-là, l’instauration, la restauration et la rénovation du poste de Premier ministre n’ont qu’un seul critère : l’âge du président de la République.
A l’éclatement de la Fédération du Mali, les articles 25 et 26 de la loi n°60-045 AN du 26 août 1960 portant révision de la Constitution de la première Constitution définissent le statut du président du Conseil comme suit : «[Il] est pressenti et désigné par le Président de la République. Après avoir défini sa politique, il est investi par un vote au scrutin public à la tribune, à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. Le président du Conseil choisit les autres membres du gouvernement, au sein ou en dehors de l’Assemblée nationale. Les membres du gouvernement sont nommés par décret du président de la République. Le président du Conseil détermine et conduit la politique de la Nation ; il dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il dispose de l’Administration et de la Force armée. Il assure l’exécution des lois. Il dispose du pouvoir réglementaire. Sous réserve des dispositions de l’article 24 définissant les pouvoirs de nomination du président de la République, il nomme à tous les emplois civils et militaires. Il peut déléguer certains pouvoirs aux autres membres du gouvernement. Il est solidairement responsable avec son gouvernement devant l’Assemblée nationale, dans les conditions prévues par la présente Constitution.»
Pourtant élu dans ces conditions quasi-démocratiques et dans la pureté d’un régime parlementaire, le Président Senghor procède à la suppression du poste de président du Conseil (des ministres), dans un contexte au jeu trouble que l’histoire constitutionnelle n’a jamais raconté.
En 1968, la révolte estudiantine a eu raison de Léopold Sédar Senghor. Au sortir de ces évènements, il est adopté une loi d’orientation, la première du Sénégal, en réponse à l’agitation de la jeunesse. Sur les conseils avisés du levier intellectuel et d’action de l’Etat, en l’occurrence le Club Nation et Développement du Sénégal, il recréa, par référendum du 22 février 1970, le poste de Premier ministre en tant que «fusible institutionnel» qui sera exposé aux populations et, si besoin, éjecté pour préserver le président de la République.
L’option était de ne pas avoir un Premier ministre avec les attributs du régime parlementaire, mais plus subrepticement, un Premier ministre de déconcentration de l’institution présidentielle. Dans ces conditions, il n’est qu’un animateur et coordonnateur de l’action gouvernementale. Sur le fondement de l’article 35 de la Constitution d’alors, il devient l’héritier constitutionnel du régime senghorien par dévolution partisane du pouvoir. L’âge a encore joué en décembre 1980, lorsque Senghor a cédé sous le poids de l’âge, même si d’autres en ont une lecture différente.
Le Président Abdou Diouf, simplement âgé de 46 ans, va se libérer, dit-on, de la tutelle de son Premier ministre Habib Thiam, nommé en 1981, et de Moustapha Niasse, nommé en 1983, motif pris, pour le dernier cas, d’un «resserrement du dialogue démocratique entre le Pouvoir exécutif et l’Assemblée nationale, dans toutes les composantes de celle-ci, et au renforcement de la cohérence de l’action gouvernementale». En réalité, son âge et la légitimité populaire qu’il venait d’acquérir étant les prétextes, il gouverne seul avant de renommer Habib Thiam en 1991 et en 1995, avant de supprimer, de nouveau, le poste de Premier ministre, rétabli encore en 1998 au profit de ce dernier. En plus d’approcher les 55 ans, l’âge de la retraite des agents publics relevant de la loi n°61-33 du 15 juin 1961 portant statut général des fonctionnaires, modifiée, le Président Diouf sort politiquement affaibli de la crise électorale de 1988 dont Thiès a été l’un des épicentres.
L’opposant historique Abdoulaye Wade, arrivé au pouvoir à l’âge de 74 ans, est, jusque-là, le seul président de la République à n’avoir pas remis en cause le Premier ministre. Malgré les péripéties ou les démêlés politiques, il a su préserver l’acquis démocratique. Bien plus, il l’a même consolidé au référendum du 7 janvier 2001.
Dans la période de 2012 à 2024, le Président Macky Sall accède à la Magistrature suprême. Il devient le premier président de la République né après l’indépendance, à l’âge de 51 ans. Contre toute attente, le poste de Premier ministre est supprimé en mai 2019, avant d’être restauré en décembre 2021 finalement pourvu en septembre 2022, soit 9 mois d’ajournement.
En somme, les présidents de la République moins âgés nourrissent une certaine propension à se défaire du Premier ministre et à occuper, sans partage, le siège de l’Exécutif. Ont-ils peur d’être concurrencés ou remplacés ?
Il a fallu attendre la deuxième Constitution du Sénégal, promulguée le 22 janvier 2001, sous l’inspiration du Président Wade, pour assister à un début de rénovation, pour ne pas dire de réforme du poste de Premier ministre. Successivement, il ressort des articles 50, 57, 76, 80, 72 et 103 des dispositions de la Constitution du Sénégal telle que  promulguée le 21 janvier 2001 : i) Le président de la République peut en outre autoriser le Premier ministre à prendre des décisions par décret ; ii) Le Premier ministre dispose de l’administration et nomme aux emplois civils déterminés par la loi ; iii) Le Premier ministre préside les conseils interministériels ; il préside les réunions ministérielles ou désigne, à cet effet, un ministre ; iv) Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décret si le Conseil constitutionnel, à la demande du président de la République ou du Premier ministre, a déclaré qu’ils ont un caractère réglementaire en vertu de l’alinéa précédent ; v) L’initiative des lois appartient concurremment au président de la République, au Premier ministre et aux députés, vi) Le président de la République, les députés et le Premier ministre ont le droit d’amendement. Les amendements du président de la République sont présentés par le Premier ministre et les autres membres du gouvernement ; vii) L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés ; viii) Le Premier ministre peut proposer au président de la République une révision de la Constitution.
Par contre, les autres dispositions constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux, à l’élection présidentielle, à l’organisation judiciaire ou à la révision constitutionnelle ont été modifiées et, parfois, remodifiées.
Depuis janvier 2001, rien de particulier sur le Premier ministre, à part subir les aléas de la suppression et de la restauration du poste. Les lois constitutionnelles adoptées, à partir de 2001, soit au moins 22 révisions de la Constitution, ont ignoré le statut du Premier ministre. Faudrait-il, par conséquent, gouverner le Sénégal en 2025 et vers 2050 avec un Premier ministre créé en 2001, sans adaptation textuelle ou sans révision jurisprudentielle ?
Devrons-nous nous contenter d’un poste de Premier ministre ainsi caricaturé ou devrons-nous le réformer ? Evidemment que oui, si l’on se réfère à la volonté fortement exprimée par le président de la République d’opérer une Rupture politique ou, mieux, une Transformation systémique de nos institutions.
Aujourd’hui, l’ambition des Hautes Autorités de soumettre à l’opinion publique (Assises de la Justice en juin 2024, Dialogue national en mai 2025) cette vision de réformer l’institution primatorale me semble une opportunité unique, d’autant plus que l’âge du président de la République aurait pu être un handicap pour une pareille ambition réformatrice. Certainement, il n’en sera rien, car, après janvier 2001, l’histoire devrait enfin cesser de bégayer !
Pr Meïssa DIAKHATE
Agrégé des Facultés de Droit