La sécurité sociale est un droit humain consacré par de nombreux instruments internationaux, en particulier la Déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944, la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ou encore la Déclaration de l’Oit sur la justice sociale pour une mondialisation équitable de 2008, mise à jour en 2022. Mais, il demeure que c’est la Convention n°102 de l’Organisation internationale du travail (Oit) de 1952 qui constitue l’instrument phare en matière de sécurité sociale.

La Convention n°102 de l’Oit de 1952 est la norme de référence à l’échelle mondiale en matière de sécurité sociale. Ses neuf (9) branches techniques qui correspondent à neuf (9) risques sociaux sont :
les soins médicaux (soins à caractère préventif ou curatif pour tout état morbide, y compris la grossesse, l’accouchement et leurs suites) ;
les indemnités de maladie (en cas de suspension du gain du fait de l’incapacité de travail résultant d’un état morbide) ;
les prestations de chômage (en l’absence de gain due à l’impossibilité d’obtenir un emploi convenable pour une personne capable de travailler et disponible pour le travail) ;
les prestations de vieillesse (en cas de survivance au-delà de l’âge prescrit sans exercer des activités rémunérées) ;
les prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles (pour incapacité de travail, perte de la capacité de gain ou diminution de l’intégrité physique, perte de moyens d’existence de la veuve ou des enfants avec incapacité de subvenir aux besoins) ;
les prestations aux familles (pour la charge d’enfants) ;
les prestations de maternité (pour grossesse, accouchement et leurs suites, et la suspension du gain qui en résulte) ;
les prestations d’invalidité (en cas d’inaptitude à exercer une activité professionnelle qui peut être permanente ou qui subsiste après la cessation de l’indemnité de maladie) ;
les prestations de survivants (cas de perte de moyens d’existence de la veuve ou des enfants qui ne peuvent subvenir à leurs besoins du fait du décès du soutien de famille et sans pouvoir exercer des activités rémunérées).

Le Sénégal, qui a ratifié la norme, applique présentement quatre (4) de ses neuf (9) branches, suivant ses engagements, en adoptant la conception universelle de la protection sociale qui couvre l’assistance et l’assurance.
L’assistance sociale est apportée par l’Etat aux populations qui ne peuvent pas se payer une assurance sociale. Appelée «filet social», cette assistance se réalise sans la contribution des bénéficiaires, souvent sans moyens (modèle de Lord Beveridge). C’est le cas par exemple du Plan sésame et des autres gratuités (enfants de 0 à 5 ans, de la prise en charge de la césarienne et de la dialyse, de l’octroi des bourses de sécurité familiale, des prestations fournies dans le cadre de l’action sanitaire sociale et familiale des Institutions de prévoyance sociale – Ips, etc.).

L’assurance protection sociale des travailleurs ou sécurité sociale obligatoire est quant à elle contributive et repose sur la solidarité professionnelle ; mais elle compte aussi sur la solidarité intergénérationnelle comme dans le cas de la retraite. Elle vise, en principe, tous les travailleurs sans exclusive, à savoir les travailleurs du secteur formel comme ceux de l’économie informelle. Elle est essentiellement financée au Sénégal par des cotisations (modèle de Bismarck). Elle est renforcée par une forme de protection complémentaire qui, en l’état actuel, n’est pas généralisée. Financée par des souscriptions volontaires (sauf en ce qui concerne la retraite des cadres), la protection complémentaire est en général organisée par des régimes autonomes ou des assurances privées, etc.

La sécurité sociale, définie par l’Oit comme étant «la sécurité que la société fournit à ses membres par des organismes appropriés contre certains risques sociaux auxquels ils sont exposés», repose, au Sénégal, sur un système hétéroclite auquel certaines retouches plus conjoncturelles que structurelles ont été apportées (I), et qui nécessite encore plus d’améliorations (II).
I. Le système hétéroclite, quoique dynamique, de la sécurité sociale
Le rôle de l’Etat est de définir la politique nationale de sécurité sociale, d’assurer le contrôle de son application, de soutenir et de créer les organismes chargés de gérer les régimes, pour une couverture qui s’apprécie aux plans territorial (dans le pays, sauf exception), personnel (personnes couvertes) et matériel (prestations garanties).

La sécurité sociale vise, conformément au cadre normatif en vigueur (normes internationales et normes internes qui s’appliquent suivant la hiérarchie dictée par le monisme juridique), tous les agents de l’Etat et de ses démembrements, ainsi que tous les travailleurs du privé, qu’ils relèvent du secteur formel ou qu’ils évoluent dans l’économie informelle.

1.1. Rappel sommaire du cadre normatif du système sénégalais de sécurité sociale
Concernant les fonctionnaires au sens strict (les personnes nommées dans un emploi permanent et titularisées dans un grade de la hiérarchie des corps de fonctionnaires), c’est la loi n°61-33 du 15 juin 1961, modifiée, relative au statut général des fonctionnaires (articles 75 et 97 notamment), qui jette les bases de leur droit à la sécurité sociale.

La loi n°81-52 du 10 juillet 1981, modifiée, est consacrée au régime général des pensions civiles et militaires de retraite.

Le décret n°72-215 du 07 mars 1972, modifié par le décret n°2006-1309 du 23 juin 2006, réglemente la sécurité sociale des fonctionnaires, relativement à la maladie, l’invalidité et le décès, la maternité et les charges familiales.
D’autres textes réglementaires sont consacrés au régime de sécurité sociale des fonctionnaires des collectivités territoriales et au régime de protection sociale des personnes qui exercent les métiers de l’agriculture.

En ce qui concerne les travailleurs relevant du Code du travail et du Code de la Marine marchande, deux (2) textes de loi sont intervenus pour régir la sécurité sociale, à savoir la loi n°73-37 du 31 juillet 1973 portant Code de sécurité sociale et la loi n°75-50 du 03 avril 1975 relative aux institutions de prévoyance sociale (cadre légal pour la création, l’objet et les missions des régimes de sécurité sociale, notamment).

L’Institution de prévoyance et de retraite de l’Afrique occidentale (Iprao), qui fut créée le 27 mars 1958 pour gérer un régime de retraite unique sur la base d’une affiliation conventionnelle, au profit des travailleurs du secteur privé et des agents non fonctionnaires, est devenue Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) en 1975 fonctionnant avec deux (2) règlements intérieurs dont l’un est consacré au régime général et l’autre au régime complémentaire pour les cadres.

Pour la coordination et l’harmonisation des législations, les principales références régionales et communautaires sont les décisions et directives de la Cipres (socle juridique de sécurité sociale pour les Etats membres) et les actes uniformes comme ceux de l’Ohada, le règlement n°07/2009/Cm/Uemoa portant règlementation de la mutualité sociale, le règlement d’exécution n°003-2011 relatif aux règles prudentielles sur les risques, les mécanismes de garantie et le contrôle du fonctionnement des mutuelles sociales et de leurs structures faîtières (Uemoa, 2011), la Convention générale de la Cedeao sur la sécurité sociale, avec huit (8) des neuf (9) branches de la sécurité sociale. Elle couvre tous les travailleurs migrants employés dans le secteur formel des Etats membres de la Cedeao, les membres de leurs familles et leurs survivants pendant leur séjour dans un Etat membre.

Dans le cadre de la coopération, la couverture des travailleurs migrants est assurée par les conventions bilatérales de sécurité sociale (Convention entre la France et le Sénégal, Convention entre le Sénégal et l’Espagne, entre autres conventions en phase de négociation, ainsi que la Convention multilatérale de la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale – Cipres).

1.2. Les principaux ajustements et améliorations apportés au système
Suivant un ordre chronologique, les réformes les plus impactantes ont été les suivantes.

Avec la loi n°97-05 du 10 mars 1997 qui abroge et remplace certaines dispositions du Code de sécurité sociale, les moyens juridiques de recouvrement des cotisations ont été renforcés, notamment par la restriction des effets d’opposition à la contrainte.
En 1999, l’âge de la majorité des enfants à charge a été relevé à 21 ans et les actes de mariage établis sur la base de jugements supplétifs sont désormais admis.

En 2000, l’âge d’admission à la retraite est passé de 55 à 60 ans pour les agents de la Fonction publique. Mais, pour les autres travailleurs, il a fallu attendre l’arrêté n°01418 du 02 février 2015 du ministre du Travail approuvant la délibération 02/14 du 23 décembre 2014 du Conseil d’administration de l’Ipres, pour avoir la généralisation de l’âge de la retraite à 60 ans dans le privé, malgré l’Accord collectif en la matière intervenu depuis 2005.

La même année 2000, les réformes paramétriques opérées ont permis le rattrapage du blocage de la valeur du point, entraînant par voie de conséquence la revalorisation des pensions de retraite.
Par décret n°2006-1310 du 13 novembre 2006, il a été rendu possible pour le mari non salarié de bénéficier de la couverture maladie au titre de l’assurance de son épouse salariée.

En 2007, le paiement bimestriel des pensions de retraite a été appliqué et, 10 ans après, ce fut la mensualisation du paiement des pensions ; de même, la subordination du paiement des pensions au reversement des cotisations a été levée.

La loi n°2008-13 du 20 février 2008 a modifié l’article 13 de la loi n°75-50, en autorisant la mise en place de régimes de retraite par capitalisation basés sur une gestion privée.

Le décret n°2012-832 du 07 août 2012 a abrogé et remplacé le décret n°75-895 du 14 août 1975 relatif aux Ipm et consacré la création de l’Institution de coordination de l’assurance maladie obligatoire (Icamo).
Entre 2012 et 2017, les pensions de retraite ont été revalorisées grâce à l’augmentation de la valeur du point à hauteur de 40%, et il y a eu l’institution d’une pension minimale égale à 98% du Smig.
Le décret n°2019-29 du 04 janvier 2019 a fixé les modalités d’organisation et de fonctionnement du Fonds de garantie des Ipm, qui a «pour objet d’apporter un appui financier aux Ipm qui rencontrent des difficultés temporaires de trésorerie, notamment par suite d’une diminution conjoncturelle de leurs ressources propres ou par suite d’une augmentation importante et imprévue des dépenses de soins qu’elles doivent prendre obligatoirement en charge».
Le décret n°2021-1469 du 03 novembre 2021 consacré au travail des femmes enceintes dispose en son article 8 que la durée totale du repos accordé à la mère allaitant son enfant est fixée à une heure par jour durant les heures de travail.

Malgré ces avancées non négligeables enregistrées et qui tiennent compte, pour l’essentiel, de la principale limite imposée par le salariat (système assuranciel basé sur des cotisations), il reste que l’espoir est encore grand de voir le système considérablement amélioré.

II. La nécessité de réformer le système
A côté du dispositif que l’Etat a mis en place pour gérer la sécurité sociale des fonctionnaires (Fonds national de retraite, entre autres mécanismes), le système sénégalais de sécurité sociale des travailleurs du privé est caractérisé par une pluralité institutionnelle (Caisse de sécurité sociale, Institution de prévoyance retraite du Sénégal, Institutions de prévoyance maladie).

Cette pluralité, qui «spécialise» chaque Ips dans une ou deux branches, aurait pu être un gage de bonne gestion (qui trop embrasse mal étreint), n’eût été le problème de duplication de certaines tâches ou activités (déclaration, immatriculation, taxation, recouvrement, contentieux) menées avec le même interlocuteur (le même employeur). Il s’agit là d’un autre point d’amélioration à intégrer.
2.1. Quelques limites du système sénégalais de sécurité sociale
Il s’agit d’imperfections et d’obsolescences qui retiennent l’attention.
Le cadre juridique n’est pas harmonisé : en effet, la loi n°75-50 du 03 avril 1975 a, certes, défini un cadre général qui ne couvre que les aspects institutionnels, alors qu’il demeure que concernant les éventualités à couvrir, seules les branches des prestations familiales et des accidents du travail et maladies professionnelles, autrement dit celles gérées par l’Ips Caisse de sécurité sociale, sont régies par une loi dite «Code de sécurité sociale». Les prestations de retraite et de maladie non professionnelle (maladie qui n’est pas liée à l’activité professionnelle) sont régies par des textes réglementaires.
Il existe des interférences entre les branches : les prestations en espèces en matière de maternité sont couvertes par branche «Pres­tations familiales» de la Caisse de sécurité sociale, alors que celles en nature liées à l’accouchement de la femme travailleuse ou de l’épouse du travailleur (hospitalisation et soins) sont couvertes par les Ipm. La mise en place de la branche «Prestations de maternité», prévue par la Convention n°102 de l’Oit, aurait permis de soulager l’assurance maladie obligatoire de la charge que constituent les prestations en nature de la maternité, participant ainsi à réduire les coûts pour les Ipm et, par voie de conséquence, à améliorer leurs offres de services ou, pourquoi pas, à diminuer les cotisations.

Le champ (matériel) de couverture des risques devrait être plus étendu : la Convention n°102 de l’Oit dispose que seules trois (3) de ces neuf (9) branches sont d’application obligatoire dès la ratification et que les Etats doivent œuvrer pour une couverture plus large des risques. C’est pourquoi, même s’il est encore difficile de parler d’assurance chômage, faute de moyens de financement des prestations d’une telle branche, le Sénégal devrait tout au moins aller dans le sens d’organiser la branche «Indemnités de maladie», couvrant la suspension du gain du fait de l’incapacité de travail résultant d’un état morbide que les employeurs supportent directement, malgré le principe «pas de travail, pas de salaire».

Le champ d’application personnel (population couverte) est restreint : l’article L.69 du Code du travail dispose que les «journaliers», au même titre que tous les travailleurs au sens de la loi, ont droit à la retraite. Or, la retraite étant une branche de la sécurité sociale, la précision revêt dès lors un caractère restrictif. En effet, en l’état actuel, les journaliers ne bénéficient ni de prestations familiales, ni d’assurance vieillesse, encore moins d’assurance maladie obligatoire (non professionnelle). Ils ne sont couverts que par la branche des accidents de travail et maladies professionnelles qui, elle, ne pose pas de condition de «stage» pour être éligible aux prestations. Encore faut-il rappeler que le caractère synallagmatique du contrat de travail commande qu’une des obligations qui pèsent sur l’employeur est de pourvoir à la protection sociale du travailleur.

Le champ de couverture est limité au territoire du Sénégal, à l’image du modèle de Lord Beveridge qui prône l’universalité en ce qui concerne la prise en charge des besoins vitaux avec le financement par l’impôt et l’ouverture du service des prestations à tous les citoyens. Comme exception à ce principe de territorialité (levée de la clause -réciprocité), des conventions bilatérales ou multilatérales de sécurité sociale sont conclues pour les assurés ne remplissant pas la condition de résidence (Convention Cipres, Convention entre la France et le Sénégal, Convention entre le Sénégal et l’Espagne…). Ces conventions fixent les conditions d’attribution des prestations de sécurité sociale aux assurés ne remplissant pas la condition de résidence. Des accords de paiement inter-caisses peuvent exister avec d’autres organismes de sécurité sociale, en vue de permettre la portabilité des prestations.

Certaines prestations en espèces, notamment, sont très en retard par rapport au coût de la vie au Sénégal (allocations de maternité et allocations familiales, pension minimale de retraite, allocation de réversion).

Par ailleurs, il n’existe pas de minimum vieillesse.
Avec la réforme de l’assurance maladie obligatoire en 2012, il était prévu d’organiser la prise en charge des soins médicaux pour les «travailleurs non permanents», parmi lesquels on compte les journaliers, dans le cadre d’une Ipm interentreprises spécifique qui devrait voir le jour.

2.2. La nécessité de réformer le système sénégalais de sécurité sociale
La sécurité sociale obligatoire se conçoit normalement avec le travail décent reposant sur l’emploi, la garantie des droits, la protection et le dialogue.
L’élargissement de l’assiette sociale et la péréquation des charges, avec un grand nombre de travailleurs, garantiront la viabilité des régimes. Or, cela ne peut se réaliser sans la création d’emplois à revenus stables et rémunérateurs, mais aussi et surtout sans que soient assujettis les acteurs de l’économie informelle qui constituent plus de 90% de la population active, avec des besoins de protection très importants du fait de leur vulnérabilité.

La voie à suivre est donnée par la Convention n°102 de l’Oit qui laisse une certaine flexibilité aux Etats membres par rapport à la population couverte, à l’étendue et au niveau de la couverture, avec des régimes universels, des régimes d’assurance sociale et des régimes d’assistance sociale.

En vue de garantir la durabilité d’un régime, la convention exige de recourir à des évaluations actuarielles qui sont des procédés utilisés par les assurances et consistant à calculer différents indicateurs (taux, intérêt, rendement), sur la base de données statistiques prédictives (tables de mortalité, espérance de vie, facteurs de risque…).

Suivant ces principes intangibles dont notamment celui central de la solidarité, la réforme devrait permettre de disposer d’un code de sécurité sociale réunissant toutes les branches existantes (avec une partie législative et une partie réglementaire) et s’ouvrant notamment sur une couverture maladie universelle, ainsi que la prise en compte des travailleurs indépendants. De même, des mécanismes simplifiés devraient être aménagés au profit des acteurs de l’économie informelle.

C’est à ce prix que la sécurité sociale au Sénégal pourrait constituer une large couverture qui ne laisse en rade aucun acteur du public comme du privé, du formel comme de l’informel, avec un texte de loi unique et des textes réglementaires d’application suivant les spécificités.

Par Ibrahima Ciré ANNE
Inspecteur de Travail et de la Sécurité sociale à la retraite
Consultant spécialiste en Management du Capital humain
Formateur à l’ENA