Le 15 juin 1995, par arrêté n°5558, le gouvernement sénégalais lançait, dans un contexte marqué par le plan d’ajustement structurel et la dévaluation du franc Cfa, le Projet des volontaires de l’éducation.

En effet, le pays faisait face au déclin de l’enseignement élémentaire dont le taux brut de scolarisation ne cessait de dégringoler depuis la Conférence mondiale sur l’éducation pour tous organisée en 1990 par l’Unesco. Ce phénomène de déclin n’arrive généralement que dans des pays en guerre.
Contrairement aux déclarations de certains syndicats d’enseignants stipulant que c’était un projet imposé par la Banque mondiale, cette institution l’a, au contraire, combattu énergiquement (ce n’était peut-être pas leur idée) à travers des échanges épistolaires très tendus entre le représentant de la Bm au Sénégal et le ministre Mamadou Ndoye.

Les partenaires financiers qui ont cru à ce projet et l’ont soutenu étaient :
L’Acdi (la Coopération canadienne) pour un montant de plus de 80 000 000 F Cfa pour financer l’organisation du concours de recrutement des 1200 volontaires (achat feuilles d’examen, paiement des correcteurs, prise en charge des missions de supervision dans tous les départements du pays).

L’Unicef pour un montant de plus 90 000 000 F Cfa, pour la prise en charge de la formation des volontaires au niveau des inspections pendant les 3 mois de vacances (confection des supports pédagogiques, indemnités mensuelles des formateurs, pécules mensuels des volontaires).

Le Fonds de développement de la coopération française pour un montant de 150 000 000 F Cfa pour assurer la création et le démarrage de la Mutuelle de santé par les volontaires eux-mêmes (cotisation annuelle de 10 000 F Cfa/volontaire, soit 12 000 000 F Cfa et 30 000 000 F Cfa pour trouver un local à la mutuelle, l’équiper et recruter le personnel de gestion).

A partir de janvier 1996, c’est l’Etat du Sénégal qui a pris entièrement en charge toutes les charges du projet (indemnités du personnel et salaires des contractuels de la direction, bourses des volontaires, formation pendant les 3 mois de vacances, confection des supports pédagogiques, pécules pendant la formation, cotisation des 1200 Ve à la mutuelle, supervision de la formation, organisation des sessions de recyclage pour les anciennes cohortes).

Le Pve était donc un projet endogène initié, financé et mis en œuvre par l’Etat du Sénégal, avec à la hauteur de ses ressources propres pour faire face aux contraintes imposées dans les recrutements d’enseignants par les plans d’ajustement structurels et les idées répandues à l’époque par des partenaires financiers que l’enseignement et la santé n’étaient pas des secteurs prioritaires dans le développement d’un pays. Seulement, 500 enseignants sortaient chaque année des écoles de formation du pays alors qu’en moyenne, 250 quittaient chaque année les classes (retraités, décès, maladies, mobilité). L’Etat ne pouvait donc compter que sur 250 enseignants par an pour faire face au croît annuel de 3.6 pour cent de la population scolarisable. Ce qui expliquait la baisse du taux de scolarisation au primaire avec des incidences aux niveaux moyen, secondaire et supérieur.

Cette initiative hardie, puisant sa source, d’une part, dans les exemples des jeunes Américains, Français, Anglais ou Japonais que nous rencontrons dans nos villages les plus reculés, mangeant notre «ngurbaan» et notre «Niankatan» et, d’autre part, l’élan de solidarité de notre jeunesse qui s’était toujours manifesté à travers des activités citoyennes («set setal», organisation de cours de vacances gratuits etc.). Ce sont plus 35 000 jeunes qui ont répondu à l’appel de leur pays, ce 15 juin 1995, pour «payer l’impôt du temps» et relever le défi d’une Education pour tous les enfants en âge d’aller à l’école, où qu’ils se trouvent et quelles que soient leurs conditions.

En 1996, soit un an après le lancement du projet, une étude a été commanditée par les autorités pour identifier les forces et faiblesses du projet. C’est à ce moment que la Bm a changé d’avis, après avoir découvert les résultats de la campagne statistique de la Dpre qui ont révélé que non seulement la tendance à la baisse du Tbs (environ 2%/an) a été stoppée, mais le pays a réalisé un bond de plus d’1% du Tbs en une année. Elle s’est aussitôt proposée pour financer cette première.

En 1998, la Bm se proposera encore pour fiancer la 2ème étude sur le devenir des volontaires après les quatre ans de services rendus. Les conclusions de cette étude feront l’objet d’une concertation nationale à Thiès, regroupant tous les acteurs de l’éducation (gouvernement, autorités scolaires à tous les niveaux, syndicats, parents d’élèves, partenaires financiers, institutions). C’est à l’issue de cette rencontre qu’a été prise la décision consensuelle de créer un nouveau corps à partir duquel après deux ans, les titulaires de diplômes professionnels intégreraient les corps de la Fonction publique.

Au lendemain de cette concertation nationale, une commission de travail présidée par le Directeur général de la Fonction publique proposera au ministre de la Fonction publique, un texte sur le nouveau corps à créer : «Le corps des maîtres contractuels.» Ainsi, à partir d’octobre 1998, les 1200 volontaires de la 1ère génération vont intégrer ce nouveau corps.

Toujours, au lendemain de la concertation nationale, l’Union européenne, satisfaite de l’évolution de la situation de l’éducation élémentaire au Sénégal, accordera au Sénégal un appui budgétaire conséquent pour consolider les résultats obtenus par les volontaires (paiement des bourses des volontaires).
Après l’alternance de 2000, l’Acid (encore elle) reviendra avec un appui budgétaire qui a permis l’augmentation de la bourse de 50 000 à 80 000 F Cfa, l’achat de quatre véhicules tout terrain pour la Direction du projet et celle de la Mutuelle, la dotation d’un car de transport à toutes les écoles de formation de l’époque, la dotation d’un fonds documentaire de 8000 livres à la bibliothèque de chaque école de formation et l’équipement de leurs salles informatiques à raison de 25 ordinateurs par établissement.

Le recrutement massif de jeunes diplômés en chômage (année invalide à l’Ucad en 1994), qui est passé de 1200 par an entre 1995 et 1997 à 1750 en 1998, a connu des augmentations importantes à partir de 2000 (entre 3000 à 4000 volontaires par an). Cela a permis de booster l’enseignement élémentaire dont l’accroissement continu des effectifs enrôlés va rendre urgente la création des collèges de proximité, puis des lycées de proximité et, comme autres conséquences, l’ouverture d’universités dans les régions face à l’impossibilité pour les deux universités qui existaient (Dakar et Saint-Louis) de satisfaire les demandes de plus en plus croissantes de bacheliers.

Pionniers du volontariat national, les Volontaires de l’éducation ont ainsi encouragé le développement du volontariat dans beaucoup de secteurs avec des appellations souvent différentes.

Ils occupent aujourd’hui tous les rouages de l’Administration et de différents secteurs : professeurs, inspecteurs de l’enseignement, principaux de collèges, magistrats, avocats, ministres, etc., etc.

Ce sont eux qui ont lancé la première expérience de Mutuelle de santé dans l’Afrique subsaharienne. Aujourd’hui, cette initiative a fait tache d’huile dans notre pays et les pionniers de cette mutualité sont devenus des experts en la matière, travaillant comme consultants à travers l’Afrique.

Le pays doit beaucoup à ces milliers de jeunes qui ont accepté de «payer l’impôt du temps» à l’appel de leur pays.

Pour marquer ces 30 ans du Pve, ne faudrait-il pas organiser un symposium sur l’apport du volontariat dans le développement des différents secteurs du pays ? La Direction de la Mutuelle de santé des corps émergents et des différents syndicats des anciens volontaires pourraient prendre une telle initiative et y associer les nouvelles autorités et tous les acteurs des différents secteurs concernés.
Yaya DIATTA,
ancien Directeur du PVE de 1995 à 2006
Consultant en Education et en développement local
ydiatta14@gmail.com