Le Sénégal ne saurait être la République de Weimar

A trois jours de la Tabaski, alors que les pères de famille pensaient à corde, mouton, babouches, etc., un ami m’envoya un lien YouTube d’un documentaire portant sur la vie de Adolf Hitler avec ce commentaire : «Quelques similitudes frappantes avec ce qui se passe au Sénégal.» J’ai dû attendre l’après-Tabaski, après avoir réglé les problèmes existentiels liés à cette fête plus sociale que religieuse au Sénégal, pour suivre «Hitler : du vagabond au tyran», un documentaire fort enrichissant qui retrace l’ascension de Adolf Hitler, du vagabond inconnu de Vienne à l’architecte de la guerre la plus dévastatrice de l’Histoire. Ce documentaire m’a permis de mieux connaître son parcours, révélant des détails perdus et démystifiant des mythes persistants. Ainsi, d’artiste raté à dictateur militaire, d’écrivain de prison à orchestrateur de l’Holocauste, le génocide du Peuple juif, chaque étape est méticuleusement examinée et des leçons apprises.
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N’ai-je pas fini de déguster ce documentaire que mon ami Moustapha Diakhaté est de nouveau convoqué, gardé à vue, placé sous mandat de dépôt et en attente d’un jugement au Tribunal des flagrants délits. Il est en prison pour «offense au chef de l’Etat», en application de l’article 80 du Code pénal. Lequel article, faut-il le rappeler, avait été qualifié pourtant d’«hérésie juridique qui doit disparaître de notre corpus pénal» par Ousmane Sonko, qui ajoutait dans la foulée : «Celui qui est allergique à la critique ne doit même pas diriger une famille ou un parti, a fortiori un Etat.»
«Gougnafier» ne saurait être une offense
Le tort de Diakhaté, c’est d’avoir utilisé le mot «gougnafiers», lors d’une émission télévisée, en commentant une image où le protocole est bafoué avec le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre marchant au même niveau, tout sourire. Je suis vraiment impatient de savoir comment le procureur va définir «gougnafier» lors du procès prévu le 18 juin prochain. Car «gougnafier» veut dire simplement «ignorant, rustre, goujat, une personne qui n’a pas les bonnes manières». Et sous cet angle, «gougnafier» ne saurait être une offense à qui que ce soit dès l’instant que le contexte dans lequel il est utilisé par Moustapha Diakhaté fait référence à une entorse à la bienséance et au protocole républicains. En effet, il est évident que ceux qui sont au pouvoir actuellement doivent mieux assimiler certaines règles de protocole. N’a-t-on pas vu le Premier ministre arriver bien après le président de la République lors d’une cérémonie ? Ou être sur son téléphone alors que la courtoisie recommande d’être attentif aux propos du chef de l’Etat ? N’a-t-on pas vu le président de l’Assemblée nationale être sur la photo officielle de la rentrée des cours et tribunaux alors que la séparation des pouvoirs recommande qu’il n’y soit pas ? Ça, ce sont bien des manières de gougnafiers malheureusement, et rappeler cela devrait normalement conduire son auteur à recevoir des félicitations et non un séjour carcéral.
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Dans un texte titré «Pénalisation de la liberté d’expression», annonçant sa convocation à la Division des investigations criminelles, Moustapha Diakhaté, conscient que les dés sont pipés avant même sa comparution, décida de ne pas répondre aux questions des enquêteurs.
«C’est pourquoi, pour ce qui me concerne, 1000 convocations, 1000 gardes à vue, 1000 retours de parquet, 1000 mandats de dépôt, 1000 condamnations ne m’empêcheront de prendre ma part du combat contre le pouvoir fasciste, anti-Sénégal, traître à la Nation, tyrannique, «démocraticide», irrespectueux des normes démocratiques, constitutionnelles, ennemi des libertés d’expression et de la pensée critique», dira-t-il sur sa page Facebook. Non sans rappeler que «Pastef (est) le premier parti fasciste africain» et réaffirmer avec force que «ce qui est arrivé à l’Allemagne et à l’Italie peut arriver au Sénégal», car «il n’a fallu que six mois à Adolf Hitler pour anéantir toute démocratie en Allemagne». Ce, sous le regard complice et complaisant des intellectuels. «La montée du national-socialisme n’a été possible que parce que les élites et de larges pans de la société allemande y ont participé ou au moins l’ont cautionnée.» D’après Diakhaté, avec Pastef au pouvoir, «notre pays vit depuis 13 mois, une véritable politique d’épuration, d’effacement d’adversaires résolus, pour faire disparaître toute vraie opposition, toute presse libre, tout Etat de Droit et toute démocratie pluraliste. L’objectif de Sonko et des «sonkolâtres» est simple : avoir le monopole de l’espace politique. Le combat contre la dictature «sonkiste» nécessite des femmes et des hommes qui prennent leurs responsabilités pour elles, pour eux et pour le Peuple sénégalais».
Comparaison possible entre Pastef et les nazis
Il est effectivement tentant de faire une lecture comparée entre l’Allemagne hitlérienne et le Sénégal pastéfien, tellement certaines démarches sont similaires. En effet, sous le régime nazi de Hitler, les libertés ont été bafouées de manière systématique pour établir un régime autoritaire. N’est-ce pas que le Premier ministre nous a avertis, au Grand Théâtre le 27 février 2025, devant les centrales syndicales et le patronat ? «Si vous voyez les pays qui ont décollé ces dernières années, c’est là où les libertés ont été réduites. Je ne vais pas citer de nom, mais allez dans des pays asiatiques, arabes ou ailleurs, les libertés ont été réduites, pour ne pas ne pas dire complétement annulées. Que ce soient les libertés politiques, syndicales, d’association. Ce qui a laissé une marge pour que les autorités puissent dérouler.»
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Et pour dérouler ce funeste plan, les nazis ont commencé par une répression de la liberté d’expression en interdisant la parution de journaux et de publications opposés à leur idéologie. Mais aussi en exerçant une censure sévère sur les médias. Au Sénégal, le ministre de la Communication, Alioune Sall, s’y est essayé avant de se faire retoquer ce jeudi 12 juin 2025 par la Cour suprême, après une saisine de la journaliste Aïssatou Diop Fall contre son arrêté interdisant la diffusion de journaux qu’il qualifie de «non conformes», en totale violation de la Constitution et du Code de la presse. Un second revers pour Pastef et Sonko, après celui essuyé devant le Conseil constitutionnel avec la «loi dite interprétative» de la loi d’amnistie.
L’autre point de comparaison possible entre Pastef et les nazis, c’est la démarche d’accession au pouvoir. La République de Weimar (1919-1933) était un régime politique démocratique en Allemagne après la Première Guerre mondiale. Elle a été marquée par des défis économiques, politiques et sociaux importants, notamment une instabilité politique (coalitions gouvernementales fragiles et fréquents changements de gouvernement), une crise économique (hyperinflation, chômage élevé et difficultés économiques) qui a favorisé la montée du nazisme qui gagne en popularité et en influence pendant cette période au point de vouloir tenter un coup d’Etat dans la nuit du 8 au 9 novembre 1923. «Le putsch de la Brasserie» ou «putsch de Munich» échoua comme la tentative d’insurrection menée par Pastef en prenant prétexte d’une affaire privée (accusation de viol) transformée en affaire d’Etat. Serigne Mbacké Ndiaye, ancien ministre de Wade, a encore récemment confirmé l’ancien ministre de l’Intérieur Antoine Diome qui parlait de «forces occultes» dont le dessein serait de déstabiliser ce pays. Les aveux d’un certain Mame Dame Lô de Touba sont aussi une nouvelle confirmation que Pastef, qui a ouvertement appelé l’Armée à renverser le pouvoir de Macky Sall dans un communiqué en date du 1er juin 2023, a fait comme le parti de Hitler. Heureusement que le pouvoir a fait face et déjoué cette insurrection bien planifiée. «Macky Sall bou taxawoul wone, Etat bi neurmelou» (si Macky Sall n’avait pas tenu, l’Etat se serait effondré), dira Me Djiby Diallo le 4 juin 2025, dans une émission sur la 7Tv.
Populisme porteur de faux espoirs
L’Allemagne nazie, sous la direction de Adolf Hitler, a conquis démocratiquement le pouvoir et l’a exercé par des moyens autoritaires, notamment par un contrôle total sur la société allemande, imposant une idéologie raciste et nationaliste. Le régime nazi a été marqué par la répression, la violence et la discrimination contre les minorités. A suivre certains responsables de Pastef, notamment Waly Diouf Bodian, il faut effectivement faire cette dichotomie entre Sénégalais. «Nous devons refuser que l’espace politique soit parasité par le prétendu clivage entre les «patriotes» et les «non-patriotes», celui-là même que le parti au pouvoir rêve d’ancrer», disait le ministre Alioune Ndoye, directeur de l’Ecole du Parti socialiste (Ps), à la rentrée solennelle de d’école sous le thème : «Une nouvelle Gauche pour le Sénégal : la part de l’éducation et de la formation pour le renouveau socialiste.»
Face au populisme porteur de faux espoirs de Pastef, qui a fini d’oublier ses promesses de rupture, ses combats de principes, pour la justice, pour les libertés, il urge de faire éviter au Sénégal de sombrer comme la République de Weimar. Et pour cela, il faut faire face au fascisme rampant de Pastef par une vigilance constante, une compréhension approfondie de ses mécanismes, et une mobilisation citoyenne et politique déterminée, fondée sur les valeurs de démocratie, de justice sociale et de solidarité, avec des intellectuels engagés, une Société civile alerte et des contre-pouvoirs dynamiques.
Post-scriptum :
Le président de la République entame, au Nord du pays, une tournée touristique, oups économique. Il débarque à Saint-Louis avec l’avion de commandement alors qu’il nous disait être dans un pays aux «marges de manœuvres budgétaires et financières» limitées, sans oublier que son Premier ministre nous parlait d’un «Etat en ruines». Un déplacement en voiture ou en hélicoptère aurait été plus économique.
De plus, dans son programme rendu public par le Service de communication de la présidence de la République, il est mentionné pour le premier comme pour le deuxième jour, des audiences «avec les responsables de Pastef (pôle nord)».
Ce qui est quand même incongru pour un président de la République en visite officielle, qui a déclaré avoir démissionné de son poste de Secrétaire général du parti et qui met dans son programme, des audiences avec les militants de Pastef. Sous Macky Sall, Pastef avait dénoncé «le parti avant la Patrie», pour aujourd’hui faire dans «la Patrie dans le parti».
Par Bachir FOFANA