Rencontre – Deuxièmes Assises africaines de la démocratie : Une agora de réflexions critiques

Après Praia en 2024, c’est à Dakar que la Fondation de l’innovation pour la démocratie, dirigée par le professeur Achille Mbembe, a choisi de tenir la deuxième édition des Assises africaines de la démocratie. Durant quatre jours (du 19 au 22 juin), plus de 200 participants, venus de plus de 30 pays, ont échangé sur le thème : «Démocratie substantive, souveraineté et sécurité humaine.»Par Ousmane SOW –
Le Sénégal réaffirme son rôle de bastion démocratique en Afrique. La capitale sénégalaise a accueilli, du 19 au 22 juin 2025, la deuxième édition des Assises africaines de la démocratie, une agora de réflexions critiques sur l’avenir du politique sur le continent. Organisé par la Fondation de l’innovation pour la démocratie, autour d’une thématique de fond qui travaille sur l’état de la démocratie, des systèmes et des régimes politiques de l’ensemble des pays du continent africain, ce rendez-vous panafricain a été un moment de discussion, de réflexion, de partage et de maillage d’expérience entre intellectuels, artistes, activistes, diplomates, chercheurs et représentants de la Société civile, venus de plus de 30 pays du continent. Ces deuxièmes Assises africaines de la démocratie viennent après une première édition en 2024 à Praia au Cap-Vert. Ainsi, pour les organisateurs, le choix du Sénégal ne relève pas du hasard. Pays pionnier du multipartisme en Afrique de l’Ouest, le Sénégal est souvent cité comme un exemple relatif de stabilité démocratique, malgré ses propres fragilités. «Le Sénégal est devenu un lieu de refus et de protection pour beaucoup d’Africains et de gens venus d’ailleurs. Et pour cela, nous sommes reconnaissants aux autorités de ce pays et à son grand Peuple», a déclaré Achille Mbembe, saluant «l’éthique et l’hospitalité que ce pays manifeste depuis son indépendance». Pour le philosophe camerounais, l’Afrique n’a pas seulement besoin de démocratie, mais d’une démocratie substantielle, incarnée, enracinée dans les réalités africaines. «En deux ans, la fondation dispose d’une empreinte dans au moins 38 pays en Afrique. Alors, un seul souci et un seul espoir nous rassemblent et nous portent : c’est la démocratie substantive sur notre continent. Et dans un monde où la sécurité des puissants se fait au détriment de celle des faibles, nous devons réinventer ensemble une démocratie hospitalière à la vie. Et le vivant est en effet le dernier nom de la démocratie», explique-t-il. Evidemment, ces assises ont permis sans doute aux participants d’aborder sans tabou les mutations démocratiques du continent.
Maîtresse de conférences à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dr Ndèye Astou Ndiaye voit dans ces assises, un espace libérateur pour les tabous du continent. «Ces assises sont un rendez-vous pour les Africains. On y discute sans barrières ni interdits. C’est cela la démocratie : un dialogue ouvert, parfois controversé, mais toujours nécessaire. Et c’est pour cela que nous luttons tous les jours, que nous cherchons à construire une démocratie bien africaine, qui nous ressemble», fait-elle savoir. Docteure en Science politique, elle insiste sur l’urgente nécessité de repenser les fondations de l’Etat de Droit en Afrique. Là où le monde occidental s’interroge sur la fin de ses démocraties, l’Afrique, elle, est dans un moment de genèse. «En Afrique, il est question de construction. Il est question d’une jeunesse qui doit se repenser à travers ses ordres sociaux. Il y a beaucoup de défis qui attendent les jeunes Africains, qui attendent aussi les penseurs africains», a-t-elle fait savoir, précisant que la démocratie n’est jamais assez et elle n’est jamais gagnée. «Il faut regarder ce qui se passe aux Etats-Unis, cités comme un exemple de démocratie. Il suffit d’un changement de régime pour que tout se renverse. Et au Sénégal aussi, il ne faut pas qu’on se dise que tout est gagné. On est un exemple, on est une vitrine. Rien n’est gagné, on a tout à construire, tout à refaire.»
«La démocratie, ce n’est pas une invention de l’Occident»
Côté diplomatie, Emmanuel Besnier, directeur adjoint de l’Afrique et de l’Océan indien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères de la République française, salue l’ampleur du chantier engagé. Pour Paris, les assises sont l’occasion d’écouter, d’apprendre et, peut-être, revoir sa copie sur les rapports avec l’Afrique. «Le contexte troublé ne doit pas nous amener, au nom de la défense de la démocratie, à imposer, à plaquer nos modèles. Il faut être humble et surtout reconnaître que la démocratie, ce n’est pas une invention d’Athènes, ce n’est pas une invention de l’Occident, mais qu’elle est aussi une genèse éminemment africaine, bien avant la colonisation. Et la France est aujourd’hui profondément engagée pour transformer sa politique, ses méthodes et sa relation avec le continent africain», a dit Emmanuel Besnier, rappelant que la fondation, créée en 2022, s’est donné pour mission de renforcer la résilience démocratique des sociétés africaines. Dans son speech, le diplomate français rappelle aussi qu’en Afrique comme partout dans le monde, si on interroge les citoyens, ils préféreront toujours la démocratie à tout autre régime. «Et plus exactement, ils aspirent à une culture démocratique qui ne se limite pas aux processus électoraux», a déclaré Emmanuel Besnier, qui cite le Sénégal, aux côtés du Ghana, comme preuve que la culture démocratique existe bel et bien sur le continent.
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