Au cours des dernières décennies, l’engagement de plus en plus profond de l’Iran en Afrique, en particulier dans le secteur militaire, est devenu la pierre angulaire de sa politique étrangère. S’inscrivant dans le cadre d’une résistance anti-impérialiste plus large à l’Occident, les investissements de Téhéran ont élevé le continent au rang de priorité stratégique.

La diplomatie des drones
La diplomatie iranienne des drones s’est déployée de l’Ouganda où le Président iranien Ebrahim Raïssi avait conclu une tournée africaine incluant le Kenya et le Zimbabwe en juillet 2023 jusqu’au Soudan -une porte d’entrée clé vers la mer Rouge- où l’Iran est soupçonné de fournir des équipements militaires aux Forces armées soudanaises depuis que les deux pays ont repris leurs relations diplomatiques en octobre 2023.

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A la suite du coup d’Etat de 2022, le Niger, après avoir rouvert son ambassade à Téhéran, est devenu un précieux partenaire dans le domaine de l’enrichissement de l’uranium. En 2024, dans la foulée de la visite du Premier ministre nigérien Ali Lamine Zeine à Téhéran en janvier, des rapports suggéraient que l’Iran avait conclu un accord secret pour 300 tonnes d’uranium raffiné en provenance du Niger, suscitant l’inquiétude à Washington. Sans doute n’est-ce pas un hasard que ce même Premier ministre ait été reçu au département d’Etat en avril 2025, le même mois où un autre accord de coopération conjointe avait été signé avec l’Iran, couvrant divers secteurs, notamment les mines, l’énergie, l’industrie et le transfert de technologie.

Les moteurs de l’engagement de l’Iran
Les raisons de l’engagement iranien en Afrique sont au moins de trois ordres :

v Idéologique : cherchant à sortir de son isolement diplomatique, l’Iran a prolongé en Afrique son «Axe de la Résistance» contre Israël, notamment au Sahel, où Téhéran perçoit la montée du sentiment anti-occidental comme une occasion historique d’accroître sa présence dans la région. En 2022, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, s’est rendu au Mali dans la foulée du coup d’Etat de Assimi Goïta, laissant imaginer le rôle de l’Iran dans le déploiement de drones contre les Touaregs dans le Nord du Mali.

v Politique : Ces alliances africaines jouent un rôle important dans le développement de son programme nucléaire ainsi que sur la question des droits de l’Homme, sujet central des résolutions adoptées aux Nations unies où les pays africains représentent 28% des voix. L’Iran compte sur les valeurs conservatrices pour rallier à sa cause des pays comme l’Ouganda, où le Président Ebrahim Raïssi avait salué sa législation anti-Lgbt+, lors de sa visite dans le pays.

v Sur le plan économique, l’accès de l’Iran à l’uranium du Niger, l’or du Burkina Faso et du Mali, le lithium du Zimbabwe et le cobalt de l’Ouganda, lui a permis de contourner partiellement les lourdes sanctions imposées par les Etats-Unis et d’avoir accès à des composants-clés pour ses systèmes de défense. Pour ces pays africains sous sanction occidentale, ce regain de coopération avec l’Iran a pu apparaître comme une aubaine aussi.

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Pendant les frappes, l’Afrique appelle à la désescalade

Par exemple, le Burkina Faso, sous régime militaire depuis 2022, collabore activement avec l’Iran sur un programme nucléaire civil. C’est sans doute la raison pour laquelle, le 12 juin 2025, il a été le seul pays africain à voter contre la résolution de l’Agence internationale de l’énergie atomique (Aiea) condamnant l’Iran pour «non-respect de ses obligations» dans le domaine nucléaire, aux côtés de la Russie et de la Chine. Néanmoins, de nombreux pays africains soutiennent le droit de Téhéran à développer une industrie nucléaire civile à des fins pacifiques. Cela explique pourquoi des pays comme l’Afrique du Sud, le Ghana et l’Egypte se sont abstenus lors de ce même vote. Cette attitude fait écho à la déclaration conjointe publiée le 17 juin par 21 pays dont 11 Etats africains, condamnant les frappes aériennes d’Israël et appelant à une zone exempte d’armes nucléaires dans la région. Les Etats concernés sont l’Algérie, le Tchad, la Gambie, les Comores, la Mauritanie, la Somalie, le Soudan, Djibouti et l’Egypte, cette dernière étant à l’origine de cette initiative du fait de sa dépendance au gaz naturel iranien.

Les ambitions économiques de l’Iran
Pour l’Iran, perdre l’Afrique aurait des conséquences incalculables qui s’étendraient au-delà des partenariats de sécurité. La poussée de l’Iran en Afrique se fait dans un contexte d’investissements croissants des Etats du Golfe en Afrique et d’une concurrence croissante entre eux sur le sol africain. Bien que les échanges commerciaux de l’Iran avec l’Afrique, d’une valeur de 800 millions de dollars en 2025 (1,3 milliard de dollars selon la Chambre de commerce conjointe Iran-Afrique), ne représentent actuellement que 3% de ses exportations et 1% de ses importations, ces chiffres ont doublé sous la Présidence Raïssi. Au moment où éclate «la guerre des douze jours», les Iraniens visaient un volume commercial annuel de 10 milliards de dollars au cours des trois prochaines années.

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Déjà en avril dernier, le troisième sommet Iran-Afrique à Téhéran a donné au Président iranien Massoud Pezeshkiyan l’occasion de présenter ces ambitions à 700 chefs d’entreprise issus de 38 pays africains, selon les médias iraniens.
Pour mesurer les ambitions de l’Iran, il suffit de constater que ses objectifs ne se sont pas limités aux pays autoritaires. En juillet 2023, lors de la visite du Président Raïssi au Kenya -aujourd’hui un allié majeur non membre de l’Otan-, le président William Ruto a désigné l’Iran comme «un partenaire stratégique clé du Kenya» et a annoncé la signature de cinq protocoles d’accord bilatéraux dans divers secteurs, des technologies de l’information à la pêche. Parmi les projets, une usine dans la ville portuaire de Mombasa produira un véhicule de fabrication iranienne appelé Kifaru, qui signifie «rhinocéros» en kiswahili.

Le soft power iranien en Afrique
Le déploiement d’outils de soft power de plus en plus sophistiqués illustre les ambitions de l’Iran en Afrique, à l’image de ces instituts islamiques ouverts dans une trentaine de pays africains, de la fourniture de services sociaux gratuits par le Croissant-Rouge iranien et le Comité de secours de l’imam Khomeini ou encore des activités missionnaires de l’Université internationale Al-Mustafa. Le pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigeria, est une cible privilégiée. Grâce aux conversions, la population chiite y a considérablement augmenté. C’est également au Nigeria que «Hausa TV» a été lancée en 2017, dans le but d’atteindre les 50 millions de locuteurs haoussas en Afrique de l’Ouest.

Les frappes américaines : menace ou catalyseur
Si les ambitions extérieures de l’Iran peuvent être affectées par les frappes américaines et israéliennes, les difficultés de Téhéran au Moyen-Orient peuvent, à l’inverse, renforcer sa détermination et accélérer son engagement africain, de la même manière que la Russie a tiré parti des ressources africaines et de la colère anti-occidentale pour alimenter sa guerre en Ukraine. L’issue dépendra de la résilience du régime iranien et de la concurrence entre grandes puissances sur le continent. Pour les pays africains, cette relation comporte à la fois des opportunités de coopération et des risques d’être piégés dans des tensions géopolitiques plus larges qui pourraient finalement saper leur propre stabilité.
Par Rama YADE

Directrice Afrique
Atlantic Council