A quel Cheikh Diba se fier ?

Lorsqu’un homme traverse les administrations sans éclaboussures, qu’il est encensé pour sa technicité, son humilité et sa rigueur, on est naturellement porté à lui faire confiance. Cheikh Diba, aujourd’hui ministre des Finances et du budget, est de ceux-là. Il n’est pas un homme politique de la première heure, mais un technocrate chevronné, formé dans les arcanes du ministère de l’Economie et des finances. Sa carrière, jusque-là linéaire et discrète, lui a valu le respect de ses pairs, et même celui de ses adversaires.
Mais depuis sa nomination au poste ministériel, un trouble s’installe. L’homme posé, respectueux de la continuité de l’Etat, semble céder le pas à un autre Cheikh Diba : plus politique, plus accusateur, plus prompt à imputer les errements économiques du pays à ses prédécesseurs. Lors du dernier débat d’orientation budgétaire, alors qu’on s’attendait à un discours de transition et de responsabilité, Cheikh Diba surprend. Il affirme, sans détour, que la dette actuelle du Sénégal est «lourde» et résulte des choix budgétaires «irresponsables» de l’ancien régime. Des mots qui tranchent avec la retenue habituelle du haut fonctionnaire qu’il fut.
Cette sortie soulève une interrogation majeure : que devient la neutralité administrative lorsqu’un technocrate entre en politique ? Car il fut un temps, pas si lointain, où ce même Cheikh Diba, en sa qualité de Directeur général de la programmation budgétaire, fut un des artisans silencieux de la stratégie d’endettement du Sénégal. Il participait aux arbitrages, validait les plans, les projections, et apposait sa caution professionnelle sur les orientations macroéconomiques du régime qu’il dénonce aujourd’hui. Etait-il complice ou simplement silencieux ? Savait-il ou faisait-il semblant de ne pas savoir le niveau de la dette ?
Le malaise se renforce lorsqu’on se rappelle le témoignage de feu Mamadou Moustapha Ba, ancien ministre des Finances et du budget, lors de la passation de service. Il a décrit Cheikh Diba comme un collaborateur loyal, compétent et rigoureux, un homme de dossiers qui maîtrise parfaitement les rouages budgétaires et financiers du pays. Il a souligné qu’il n’avait aucun doute sur la capacité de Cheikh Diba à porter la barque financière de l’Etat, tant il avait toujours fait preuve d’un grand professionnalisme et d’un sens élevé de l’Etat. Le problème n’est pas qu’un ministre critique ses prédécesseurs, c’est même de bonne guerre en politique. Le problème, c’est que Cheikh Diba n’est pas n’importe quel ministre. Il fut le témoin direct, voire l’architecte secondaire, des décisions qu’il condamne aujourd’hui. Et s’il a gardé le silence hier, pourquoi faudrait-il croire qu’il dit toute la vérité aujourd’hui ?
Ce revirement suscite donc une question cruciale : à quel Cheikh Diba faut-il se fier ? Celui qui se tenait droit dans l’ombre des cabinets ministériels ou celui qui, une fois nommé, s’empresse de désigner des coupables ? La parole publique engage, et plus encore quand elle vient d’un homme de chiffres et de dossiers. Elle doit être cohérente, informée et, surtout, responsable.
En ces temps où la confiance des institutions financières s’effrite, les technocrates devenus ministres ont une responsabilité éthique particulière. Ils doivent rappeler que l’Etat est un continuum et que les fautes, s’il y en a, doivent être portées à la lumière avec rigueur et preuves, non avec opportunisme.
Cheikh Diba a le choix : soit rester fidèle à la rigueur qu’on lui reconnaît, soit céder aux facilités du discours politique. Mais il ne peut être les deux à la fois. Car un pays en quête de vérité et de relance économique a besoin de repères solides, pas de visages à double lecture.
Amadou Mbengue dit Vieux
Secrétaire général de la Coordination départementale de Rufisque
Membre du Comité central et du Bureau politique du PIT/Sénégal