Lecture au Quotidien- Or Noir : Matthieu Auzanneau et l’épopée du pétrole

La «Lecture au Quotidien», la nouvelle rubrique du Quotidien suggérant chaque semaine au public de lecteurs sénégalais des ouvrages. Essais, romans, bandes dessinées d’ici et d’ailleurs seront suggérés. Rendez-vous est pris tous les samedis.Par Serigne Saliou DIAGNE –
Pour la «Lecture au Quotidien» de cette semaine, l’ouvrage recommandé est Or noir. La grande histoire du pétrole par Matthieu Auzanneau. Il est publié aux éditions La Découverte depuis 2015, mais est fort d’actualité, une décennie après sa parution. Le pétrole, le carburant de ce monde, ne cesse de faire parler de lui, malgré toutes les hypothèses sur sa fin prochaine. Journaliste d’investigation et directeur du Shift Project, un think tank sur la transition énergétique, Matthieu Auzanneau se livre dans son pavé de 800 pages, à une analyse de l’histoire du vingtième siècle au regard de l’épopée du pétrole. C’est un voyage du premier forage en Pennsylvanie en 1859 aux balbutiements de l’industrie pétrolière, jusqu’aux puits de pétrole conquis en 2014 par Daech dans le conflit syrien. L’histoire du vingtième siècle est indissociable à celle du pétrole. Auzanneau prend à témoin toutes les guerres qui ont demandé un usage intensif d’énergie dont les deux grandes guerres, et l’évolution qu’elles ont garantie aux sociétés militaires. L’industrie de l’armement demandant beaucoup d’hydrocarbures, l’industrie pétrolière connaîtra un fulgurant développement en s’organisant comme un système monopolistique avec des pratiques de corruption et de coercition. Le rôle du clan Rockefeller dans cette évolution du secteur pétrolier, Auzanneau le présente en détail. On apprend qu’ils sont les artisans-créateurs de la Réserve fédérale américaine (Fed), ils sont les sauveurs du système financier à la fin du 19e siècle, ils sont les promoteurs décomplexés du néolibéralisme avec le corporatisme comme mode de défense des industries. Les cartels voient leur première heure dans le monde du pétrole. Leur modèle de fonctionnement sera adopté dans l’automobile, l’agriculture, les chemins de fer, la production du charbon et l’ingénierie.
Les luttes entre les majors pétrolières et certains de leurs adversaires comme Joseph Staline et John F. Kennedy donnent des récits épiques sur une ressource naturelle dont les batailles pour la contrôler dépassent le spectre des Etats. Dans cette logique, Auzanneau peint un tableau des relations internationales avec l’impact décisif qu’aura eu le pétrole sur les principaux chocs, crises et révolutions. A chaque contrecoup politique, il y aura souvent l’ombre d’un baril qui traînait. Le lecteur connaîtra les péripéties autour du canal de Suez, les raisons de l’invasion de l’Ethiopie, les coulisses huilées des accords Sykes-Picot, la crise iranienne (du renversement de Mossadegh à l’installation des Mollahs), les enjeux de la guerre du Biafra pour certains majors, les raisons de l’alliance stratégique entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis pour créer Aramco. En trente chapitres, c’est révélation sur révélation.
Les crises pétrolières et les effets qu’elles ont eus dans les économies dans le monde sont également analysés. Les événements majeurs qui se produisent dans le monde en lien avec le pétrole sont tous abordés. Des guerres préventives pour promouvoir la démocratie aux opérations ciblées envers des régimes pour faire perdurer un impérialisme, tout est traité sous un prisme froid, lucide et, surtout, très fouillé. Si le monde en est là où il est, l’évolution du pétrole au 20e siècle y aura été pour beaucoup. C’est le coup de force de cet ouvrage. Il est à lire dans un pays comme le nôtre, où l’exploitation du pétrole fait germer toutes sortes d’idées et de fantasmes.
saliou.diagne@lequotidien.sn