Par Bocar SAKHO –

On ne sait pas ce qui se passera dans les prochains jours. On sait au moins que la liberté est train de devenir un luxe pour tous les professionnels des médias, en sursis dans l’exercice de leurs fonctions. Après la sortie groupée des leaders de Pastef, qui ont demandé une auto-saisine du Parquet contre le chroniqueur Badara Gadiaga, suite à son second duel avec le député Amadou Bâ, la machine judiciaire s’est subitement mise en marche. Comment cela peut-il arriver, après la mise en demeure précipitée du Cnra dans la foulée de l’émission ?
Il faudra réussir à convaincre les sceptiques que cette musique jouée ces dernières heures a été composée de manière purement hasardeuse. Même de simples citoyens, qui ont commenté les interprétations du parlementaire sur la signification de la peine de corruption de la jeunesse avec de simples questions, se sont retrouvés dans le viseur du Ministère public. A l’image du fondateur de ce journal, sorti libre néanmoins de son audition de la Division spéciale de cybersécurité. Bien sûr, une autre issue aurait validé définitivement l’idée d’une commande politique. Les apparences sont sauves pour préserver l’image d’une démocratie asphyxiée par une forme de répression, qui ne pourra pas masquer la crise économique qui étreint ce pays depuis 15 mois.
Sur les réseaux sociaux, l’image de Madiambal Diagne, promis au bûcher comme au Moyen-âge, a été mise en épingle par une horde de fanas qui réclament du sang pour savourer leur victoire sur des supposés mal-pensants de l’espace public. Leur déception doit être à la hauteur de la puissance de leur déchaînement de haine, qui s’abat comme un ouragan sur Le Quotidien qui a une liberté éditoriale assumée. Sans l’influence de son ancien Administrateur général.
Rappelons-le : depuis plusieurs années, il a délégué la gestion du journal, qui a plus de 23 ans d’existence faite de combats, de résilience et de victoires pendant des moments parfois sombres. Invraisemblable ? Mieux : il découvre son contenu en même temps que tous les lecteurs au réveil. C’est une mise au point pour montrer son attachement à la liberté des journalistes. Désormais, ils se retrouvent avec des cibles dans le dos à cause de leurs analyses et opinions. Un temps que tout le monde pensait révolu ?
Aujourd’hui, la presse subit, plie, mais elle ne rompt pas malgré la guerre économique, les intimidations et tentatives de discrédit pour un funeste projet. Le même député Amadou Bâ, un grand tome de sciences juridiques, a décidé de jeter en pâture les journaux qui ont traité avec des faits avérés, les péripéties d’une demande d’audience initiée par le Conseiller juridique du Premier ministre avec l’Ums pour apaiser les relations entre les deux parties. Une info vraie qu’il prétend pourtant fausse.
Dans ce Sénégal des contraires, on est dans une inversion des rôles ubuesque. Ce sont les mêmes gens qui exigent du respect aux autres qui ont du mal à en accorder parce que la vérité n’est pas dite selon leurs propres standards. C’est l’énergie du désespoir, mais la main de Dieu est au-dessus de la mêlée. N’ayant pas remis à jour leur logiciel de pensée, ces hérauts de l’insulte digitale et de l’invective cathodique, longtemps acclamés par leurs partisans, ne comprennent pas comment ils en viennent à se faire tailler des croupières par des adversaires qui, il y a moins de deux ans, n’osaient pas les affronter sur leur terrain. Et comme arguments, ils n’ont plus que le recours à la police, aux tribunaux et à l’emprisonnement. Toutes choses qu’ils critiquaient hier !
bsakho@lequotidien.sn