La récente inertie de la Russie face aux frappes américaines ciblant son allié iranien ne relève pas d’un simple épisode diplomatique. Elle s’impose comme un signal d’alerte, en particulier pour les pays africains qui voient en Moscou un partenaire alternatif à l’Occident. Alors que le Kremlin se veut le défenseur d’un monde multipolaire et le garant des souverainetés nationales, sa réponse symbolique, mais sans suite, démontre une vérité plus dérangeante : la politique étrangère russe se construit davantage sur des déclarations retentissantes que sur des actes concrets. Cette posture expose les nations africaines à une relation asymétrique, fondée sur des engagements rarement honorés.

De l’Iran à la Syrie : un partenaire silencieux face aux crises
Le cas iranien est révélateur. Face à une attaque directe contre des infrastructures qualifiées de stratégiques, la Russie s’est contentée de réactions verbales, sans action diplomatique ou militaire concrète. Cette absence de réponse illustre autant une incapacité matérielle qu’un manque de volonté à assumer le rôle d’une puissance protectrice.
Ce schéma n’est pas inédit. La chute du régime syrien de Bachar al-Assad en décembre 2024 a constitué un précédent majeur. Malgré une présence militaire active depuis 2015 -avec l’installation des bases de Tartous et Khmeimim-, Mos­cou est restée passive lorsque les insurgés de Hayat Tahrir al-Cham ont pris Damas. L’exfiltration de Assad vers la Russie a été perçue non comme une démonstration de solidarité, mais comme une capitulation diplomatique. Ce désengagement stratégique, causé en partie par l’usure des capacités russes mobilisées en Ukraine, témoigne d’une tendance à abandonner ses alliés lorsqu’ils sont en difficulté.
Pour l’Afrique, ce recul envoie un message inquiétant : si la Russie n’a pu ou voulu soutenir un partenaire aussi central que la Syrie, que peut-elle réellement offrir en cas de crise majeure sur le continent ?

Une diplomatie africaine fondée sur les effets d’annonce
La Russie cultive depuis plusieurs années une présence diplomatique active en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Mais cette présence repose davantage sur des promesses ambitieuses que sur des résultats tangibles. Au Sommet Russie-Afrique de 2019, Vladimir Poutine annonçait un doublement des échanges commerciaux avec le continent pour atteindre 40 milliards de dollars en 2024. Pourtant, à l’orée de cette échéance, le commerce russo-africain plafonnait à 24, 5 milliards, très loin de l’objectif. A titre de comparaison, les échanges entre l’Afrique et la Chine dépassaient les 300 milliards en 2024.
Cette relation commerciale reste profondément déséquilibrée : les exportations russes vers l’Afrique sont neuf fois plus importantes que les importations africaines, ce qui creuse une dynamique asymétrique peu favorable au développement du continent.
Les projets stratégiques connaissent le même sort. Au Nigeria, la centrale nucléaire promise par Moscou en 2017 reste lettre morte. Au Mali, quatre réacteurs ont été annoncés sans qu’aucun chantier ne voie le jour. Le projet d’exploitation de l’uranium de Mkuju River en Tanzanie est lui aussi au point mort, tout comme la base navale envisagée à Port-Soudan depuis 2020. Tous ces dossiers soulignent la dissonance entre les ambitions russes affichées et l’incapacité chronique à les concrétiser.

Sécurité : des interventions contre-productives
Lorsque la Russie passe à l’action, notamment dans le domaine sécuritaire, les résultats s’avèrent souvent contre-productifs. Présente au Mali, au Burkina Faso et au Niger, d’abord par le biais du groupe Wagner puis via Africa Corps, Moscou n’a pas réussi à endiguer l’insécurité -bien au contraire. Dans ces pays, le nombre de civils tués a triplé depuis 2020, atteignant 10 000 morts en 2023. Durant le premier semestre 2024, les décès civils ont encore augmenté de 20% par rapport au semestre précédent, selon le Com­missariat général aux réfugiés et aux apatrides.
Le total des victimes au Sahel durant cette période s’élève à 7620, selon l’Ong Acled, marquant une hausse inquiétante de 9% par rapport à 2023 et de près de 190% par rapport à 2021. Ces violences ont entraîné des déplacements massifs de population, la fermeture de milliers d’écoles et une crise humanitaire touchant 12, 7 millions de personnes.
A cette inefficacité opérationnelle, s’ajoutent de graves violations des droits humains. Au Mali, les atteintes aux droits fondamentaux ont explosé : le Cluster Protection a recensé plus de 19 000 violations au premier semestre 2024, soit près de quatre fois plus que sur la même période en 2023. Les violences fondées sur le genre ont également connu une hausse de 66%, et celles visant les enfants ont augmenté de 11%.
Le rôle de Wagner est particulièrement alarmant. En 2024, 34% des violences contre les civils au Mali ont été attribués aux forces maliennes et à Wagner. En Centrafrique et au Mali, les violences ciblant directement les populations civiles constituent respectivement 52% et 71% des actes de violence politique du groupe. Ces proportions dépassent largement celles des forces étatiques et des groupes rebelles. Les exécutions sommaires, enlèvements, actes de torture, violences sexuelles et pillages se multiplient, sapant la légitimité des Etats appuyés par Moscou.

Une puissance à l’influence limitée
Face à ces constats, l’illusion d’un partenariat stratégique solide avec la Russie s’effrite. L’inaction face aux frappes sur l’Iran, l’abandon du régime syrien, les promesses non tenues en Afrique, les échecs sécuritaires et les atteintes massives aux droits humains tracent le portrait d’une puissance affaiblie dont l’influence repose davantage sur une posture anti-occidentale que sur la fiabilité de ses alliances.
Pour les Etats africains, la leçon est claire : au-delà des discours multipolaires séduisants, il est impératif d’évaluer la crédibilité et l’effectivité des engagements. Dans un monde en recomposition, distinguer les partenariats porteurs de garanties concrètes de ceux fondés sur des mirages diplomatiques est une nécessité stratégique. L’Afrique ne peut se permettre de fonder son avenir sur une puissance qui, au moment décisif, choisit trop souvent le silence.
Birane GAYE
Enseignant à la retraite