La première journée du mini-sommet très attendu entre le Président Donald Trump et cinq chefs d’Etat ouest-africains s’est déroulée dans un style typiquement trumpien : entre émission de téléréalité, théâtre diplomatique et vitrines économiques. Derrière la mise en scène et les apparats de la Maison Blanche, la relation Etats-Unis/Afrique a pris une tournure aussi symbolique qu’inattendue.

Présentations, mines et gestion du temps façon Trump
Les rencontres ont débuté par des présentations formelles et des discours d’ouverture. Mais la tentative de profondeur a vite été interrompue après la longue intervention du Président mauritanien, Mohamed Ould Gha­zouani, dont l’exposé détaillé sur le développement de son pays a incité Trump à couper court, avec sa franchise habituelle : «Soyons brefs, concis, allez droit au but.»
Dès lors, le ton était donné. Chacun des chefs d’Etat africains a rapidement recentré son message sur la richesse minière de son pays : le Sénégal a mis en avant son tourisme et son gaz naturel ; la Guinée-Bissau a évoqué des réserves inexploitées ; le Gabon a parlé d’uranium et de manganèse. La réunion s’est transformée en vitrine des res­sources africaines, avec Trump en posture d’acheteur potentiel.

Les grandes puissances africaines absentes
Malgré les prétentions à un sommet stratégique, l’absence remarquée de poids lourds comme le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Egypte a suscité des interrogations. Aucune justification officielle n’a été donnée, mais le choix des pays semble avoir été dicté davantage par la disponibilité diplomatique que par la représentativité continentale.
Cela dit, la symbolique coloniale était bien présente autour de la table : la Guinée-Bissau lusophone, les pays francophones Sénégal, Mauritanie et Gabon, et le Liberia anglophone, plus ancienne Répu­blique africaine, et Trump, qui dira à son President que son anglais était meilleur que celui de ses propres ministres, ne sachant même pas que le Liberia était une ancienne colonie americaine. Une réminiscence subtile aussi de l’héritage européen sur fond de diplomatie contemporaine.

Optique de genre : des ministres des Affaires étrangères toutes femmes
Autre fait marquant : l’ensemble des ministres des Affaires étrangères autour de la table étaient des femmes. Aucune déclaration officielle n’a été faite à ce sujet, mais l’image était forte : cinq présidents masculins accompagnés de représentantes diplomatiques féminines. Certains y ont vu un signal discret de rééquilibrage du pouvoir et de la représentation dans la diplomatie africaine.

Le silence stratégique du Sénégal -et une blague de Trump
Le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a pris la parole en dernier. D’un ton calme et structuré, il a positionné le Sénégal comme un pôle attractif pour les investissements, en insistant sur son potentiel touristique et sa situation géographique stratégique : «Nous offrons des opportunités attrayantes : resorts de golf, tourisme, hub digital, et nous sommes à seulement six heures de New York.»
Mais avant qu’il ne poursuive, Trump l’a interrompu sur le ton de la plaisanterie : «Vous avez l’air jeune. Mais vous êtes plus âgé que votre look.»
Un moment de rire général qui illustre la diplomatie à la fois personnelle et imprévisible du milliardaire.

Une journaliste, un Prix Nobel et des priorités manquées
Parmi les rares questions liées à l’Afrique posées par la presse, l’une est venue d’une journaliste congolaise que Trump avait rencontrée deux semaines auparavant lors d’une table ronde et qu’il avait publiquement complimentée : «Je l’aime bien. Elle est super.»
Elle a profité de son temps de parole pour suggérer la candidature de Trump au Prix Nobel de la Paix, apparemment avec le soutien des cinq présidents présents. Une déclaration applaudie dans la salle, mais critiquée par plusieurs observateurs.
«L’Afrique brûle sous les effets du changement climatique, des inondations et de la désertification causés par les grandes puissances industrielles», a confié un analyste africain en privé.
«Et au lieu de discuter d’une justice climatique ou de ré­formes commerciales, on parle de médailles et de trophées.»
Un contraste flagrant entre gestes symboliques et réalités structurelles.

L’Afrique brièvement au centre, puis éclipsée
Malgré la présence de cinq chefs d’Etat africains, seules deux questions de la presse ont réellement concerné l’Afrique. L’une portait sur les droits de douane, l’autre sur la potentielle attribution d’un Prix Nobel à Trump.
Sa réponse fut fidèle à son style : «J’aime l’Afrique. J’aime ses dirigeants. Je vais regarder mon emploi du temps pour voir si je peux aller en Afrique. On va regarder tout ça. Et pour le Nobel, beaucoup de gens en parlent. Beaucoup.»
Mais très vite, la conversation a basculé : agents d’immigration agressés, prix des œufs, essence à 1, 99 $ dans certains Etats américains et tensions à Taïwan ou en Ukraine.
L’Afrique, brièvement sous les projecteurs, a été reléguée au second plan, derrière les sujets nationaux et les actualités mondiales.

Une rencontre d’images, pas encore de politiques
Cette première journée restera sans doute dans les mémoires pour ses images : des présidents africains à la Maison Blanche, des échanges cha­leureux, des promesses vagues et des clins d’œil diplomatiques. Mais aucun accord commercial n’a été signé, aucune initiative sécuritaire concrète n’a été lancée.
Ce mini-sommet confirme que dans l’ère Trump 2.0, l’accès de l’Afrique à Washing­ton semble reposer davantage sur la mise en scène que sur l’engagement stratégique -et que pour être entendu, il faut savoir se vendre en moins de 90 secondes.
Alors que le sommet se poursuit, la question demeure : la substance finira-t-elle par rattraper le spectacle ? Ou l’Afrique n’a-t-elle eu qu’une place symbolique à cette table ?
Sékou KAMARA
auditeur, éducateur et essayiste
Washington, D.C.
Sekou.kamara@infosecmgmt.com