Le verbe est lâché, brutal, déroutant : impardonnable et inconséquent, voilà ce qui qualifie le mieux la récente sortie du Premier ministre. Dans une posture inédite dans les annales politiques de notre pays, l’homme censé incarner la cohésion de l’action gouvernementale s’est mué en procureur sans procès, lançant des diatribes incendiaires à l’encontre de tous : les magistrats, l’opposition, la Société civile, et même le président de la République, celui-là même qui l’a porté à la tête du gouvernement, même si par stratégie politique, c’est l’actuel Premier ministre qui l’a désigné, mais ce dernier oublie fatalement que c’est le Peuple sénégalais qui a élu son Excellence Monsieur Bassirou Diomaye Diakhar Faye. Une sortie surréaliste, maladroite et politiquement suicidaire.
Frapper l’Etat au cœur de son architecture républicaine, c’est ce à quoi s’est adonné le Premier ministre dans ce qui restera comme l’un des moments les plus embarrassants de la vie publique récente. Que penser d’un homme qui n’en fait qu’à sa tête ? Quelle crédibilité reste-t-il à un chef du gouvernement qui s’attaque à la Magistrature, pourtant pilier fondamental de l’Etat de Droit, fustige l’opposition, pourtant légitime dans une démocratie, et qui, suprême incongruité, accuse le chef de l’Etat de manquer d’autorité ?
S’il est vrai, comme le disait André Malraux, que «la vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache», alors la vérité du Premier ministre semble bien sombre. En se dressant contre tout, y compris contre son propre camp, il révèle un profond désarroi ou, pire, une ambition mal dissimulée. L’homme qui se veut chef, mais sans en assumer la loyauté, ni les responsabilités. Car enfin, comment accepter d’être le Premier ministre d’un Président que l’on juge incapable ? Comment contresigner ses décrets, défendre ses orientations et, dans le même soufflé, l’humilier publiquement ? Pour preuve, nous invoquerons le surnom de «Serigne Ngoundou» et le refus de contresigner le décret de nomination de Samba Ndiaye.
Dans toute Tépublique sérieuse, une telle incohérence politique aurait un prix : la démission. Si, comme il le prétend, le Président manque d’autorité, alors l’acte de dignité serait de poser sa démission, non de continuer à s’abriter derrière la fonction pour servir un agenda personnel. Il ne peut y avoir d’autorité morale sans cohérence politique. De Gaulle, dans ses Mémoires, affirmait : «Il n’y a de pouvoir que celui que l’on accepte d’exercer avec grandeur.» A l’aune de ce qui précède, notre Premier ministre semble avoir trahi sa fonction.
Que penser également de cette attaque contre la Magistrature ? Un Premier ministre n’a pas à humilier la Justice, surtout dans un contexte où l’indépendance judiciaire est déjà fragile. Les juges sont tenus par un devoir de reserve ; eux ne peuvent répondre. Cela s’appelle le courage facile : frapper ceux qui ne peuvent se défendre.
L’opposition, quant à elle, est un acteur essentiel de la vitalité démocratique. La traiter avec condescendance, voire hostilité, c’est refuser la logique du pluralisme. La Société civile, n’en parlons pas : elle représente ce tiers vigilant qui empêche la République de se confondre avec l’arbitraire.
Finalement, cette sortie révèle une chose : un manque de hauteur, une absence de sens de l’Etat et une dangereuse tentation de repli autoritaire. Le Peuple attend des solutions, pas des imprécations. Des résultats, pas des règlements de comptes.
«Gouverner, c’est server, et non se servir», disait Senghor. Il est grand temps que certains s’en souviennent.
Amadou MBENGUE
Secrétaire général de la Coordination départementale de Rufisque, membre du Comité Central et du Bureau Politique du Pit/Sénégal