La culture au Sénégal : entre enjeux et perspectives de renouveau

1-Du projet au défi du secteur de la culture
Le secteur culturel au Sénégal, intrinsèquement lié à notre identité et à notre dynamisme national, représente un levier essentiel pour la cohésion sociale et un moteur significatif de développement économique. Pourtant, malgré son importance capitale et l’espoir légitime qu’avait suscité l’avènement du nouveau régime, il traverse actuellement une période qui appelle à une vigilance accrue et à des réformes profondes. Cet enjeu est d’autant plus crucial que le Sénégal s’apprête à accueillir un événement d’envergure mondiale : les Jeux Olympiques de la Jeunesse de Dakar (Joj Dakar), qui placeront notre pays sous les projecteurs internationaux, notamment sur le plan culturel.
En tant que citoyen profondément attaché aux valeurs et à l’identité sénégalaises, c’est avec une sollicitude particulière et un engagement constant que j’observe la situation du secteur culturel de notre pays. L’importance de la culture comme pilier du développement et ciment social est inaliénable, et c’est cette conviction qui motive mon propos aujourd’hui.
L’avènement du nouveau régime, le 24 mars 2024, a suscité un immense espoir au sein du milieu culturel sénégalais, un secteur qui a longtemps souffert d’une politisation excessive des actions et décisions, peinant à trouver une voie stable et propice à son épanouissement. Cet élan d’optimisme initial, marqué par l’attente de réformes majeures, semble malheureusement laisser place à de nouvelles interrogations. Les orientations prises jusqu’à présent interpellent quant à la place et à la priorité accordées à la culture dans l’agenda des nouvelles autorités, malgré la confiance qu’elles inspirent au Peuple sénégalais.
Exprimer ces observations, parfois critiques, peut parfois exposer à des incompréhensions. Cependant, la conviction de l’urgence d’un dialogue constructif et d’une action renouvelée pour le secteur culturel prime sur toute appréhension. Notre démarche est dictée par la seule volonté de contribuer positivement à l’émergence d’un Sénégal où la culture joue pleinement son rôle.
Il est indéniable que la croissance économique d’une Nation, d’une région ou d’une commune doit impérativement s’accompagner d’un développement culturel harmonieux. La culture agit comme un puissant régulateur social, capable d’insuffler un nouvel élan aux populations, de les unir face aux défis et de leur redonner espoir. Les acteurs culturels sont de ce fait des catalyseurs essentiels du bien-être collectif et du développement local. Il est donc fondamental de leur offrir des conditions de travail et d’épanouissement optimales, ce qui, malheureusement, ne semble pas être pleinement le cas actuellement au Sénégal.
Comme le soulignait Walt Whitman, «dès que vous cesserez de mettre en question la soumission, vous serez complètement asservi». Pour un créateur, l’asservissement est le pire des maux, car il étouffe la capacité à innover et à inspirer.
2-Interrogations sur la gouvernance culturelle
L’architecture actuelle du ministère de la Jeunesse, des sports et de la culture, avec sa composition ministérielle, soulève des interrogations quant à son efficacité optimale pour un secteur aussi spécifique et sensible que la culture. C’est avec une certaine préoccupation que nous constatons des choix et gestions qui pourraient bénéficier d’une plus grande ouverture et d’un pilotage plus stratégique. Le monde des arts et de la culture se nourrit d’expériences vécues et de sensibilités profondes, qui ne peuvent se résumer à des parcours académiques classiques.
La perception actuelle est celle d’une période de recherche d’équilibre et de tâtonnement, ce qui interroge sur la capacité à dégager rapidement des orientations claires pour les prochaines années. Le département ministériel dont l’ampleur des défis est considérable, semble appeler à des réformes structurelles pour permettre à Madame la ministre Khady Diène Gaye de pleinement déployer son action.
La gouvernance du ministère doit être exemplaire, transparente et inclusive. A cet égard, la procédure d’appel à candidatures pour les postes de directions régionales de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, suivie de nominations d’inspecteurs régionaux à ces postes sans publication des résultats attendus, a suscité une forte incompréhension et des interrogations légitimes au sein de la communauté culturelle. C’est une situation que nous avons du mal à assimiler.
Par ailleurs, l’avenir des centres culturels régionaux, piliers de la décentralisation culturelle, mérite une attention et une clarification urgentes.
3-Appel au dialogue et à la réforme
Nous ne sommes pas isolés dans ces constats. De nombreux acteurs, par crainte de représailles ou de voir leurs opportunités réduites, préfèrent observer en silence. Pourtant, la voix de la société civile culturelle est essentielle pour l’émergence et le développement de notre pays, avec un ancrage fort dans la culture. Nous exhortons chacun à s’exprimer et à contribuer au débat.
Il nous semble urgent d’organiser les Assises de la culture au Sénégal, à l’image de ce qui a été récemment réalisé chez nos voisins maliens. Ce cadre de dialogue inclusif permettrait un diagnostic partagé et l’élaboration de feuilles de route concertées pour un secteur culturel qui, aujourd’hui, semble traverser une période délicate, avec des défis structurels et opérationnels dans presque tous ses segments.
Madame la ministre Khady Diène Gaye est-elle pleinement informée de l’existence et du potentiel des plans stratégiques sectoriels, tels que ceux du théâtre et de la danse ? Des tensions et préoccupations se font également sentir dans des domains-clés comme le cinéma et l’audiovisuel, notamment autour du Fopica, témoignant d’une fragilité généralisée. Le Fesnac (Festival national des arts et de la culture), un événement d’envergure nationale né en 1997, est aussi en quête de souffle. Son absence en 2024 et 2025 est regrettable, alors qu’il pourrait être un puissant vecteur de cohésion et de valorisation.
4-Proposition de relance et de réforme du Fesnac
Nous lançons un appel pressant à la relance et à la réforme du Festival national des arts et de la culture (Fesnac) pour une meilleure valorisation du patrimoine culturel sénégalais. Ce festival doit être repensé en profondeur pour redevenir un événement structuré, pérenne et indépendant des aléas politiques et ministériels. Nous suggérons qu’il soit érigé en Délégation générale, gérée par des professionnels aguerris, pour lui permettre d’atteindre pleinement ses objectifs initiaux de promotion de la diversité culturelle, d’unité nationale et de rayonnement international.
Le cas du Grand Théâtre et la récente note de service controversée, bien que retirée, illustrent un certain décalage avec les réalités du monde artistique et soulèvent des questions sur le contenu et l’orientation de cette institution. Des épisodes comme le «deal sur le Prix Cultura 2024», perçus comme manquant de transparence, sont tout aussi préoccupants.
Il est impératif que le ministère de la Jeunesse, des sports et de la culture s’entoure davantage de conseillers spécialisés en culture, afin d’affiner ses méthodologies, ses approches et ses démarches. Les reports d’événements majeurs comme le Salon national du livre et Ecofest (dont il n’y a pas de nouvelles bonnes nouvelles, est en passe d’étre reporté) dont l’importance pour la réflexion ouest-africaine est capitale, témoignent d’un besoin de planification rigoureuse. Nous avions d’ailleurs soumis un document argumenté à l’autorité concernant Ecofest, espérant des avancées concrètes.
5-La Culture : un impératif national et un atout majeur pour les Joj Dakar
Argumenter pour la culture, c’est d’abord rappeler son rôle fondamental.
Une Nation ne peut prospérer pleinement sans que son développement économique ne soit intrinsèquement lié à son épanouissement culturel. La culture est le ciment invisible qui unit les populations, qui leur redonne souffle et espoir face aux défis. Les acteurs culturels ne sont pas de simples «divertisseurs» ; ce sont des régulateurs sociaux, des catalyseurs du développement local et des gardiens du patrimoine immatériel. Ignorer ou sous-estimer leur rôle, c’est fragiliser les fondations mêmes de la société et se priver d’un puissant moteur de résilience collective.
Dans la perspective des Jeux Olympiques de la Jeunesse de Dakar, la dimension culturelle est loin d’être anecdotique. Elle est au cœur de l’expérience que nous offrirons au monde, reflétant notre hospitalité, notre créativité et la richesse de notre patrimoine.
La réussite des Joj Dakar ne se mesurera pas uniquement aux performances sportives, mais aussi à la qualité de l’immersion culturelle proposée. Mettre les acteurs culturels dans des conditions optimales n’est donc pas une faveur, mais un investissement stratégique et une préparation indispensable pour cet événement global.
En conclusion, le diagnostic du secteur culturel au Sénégal appelle non pas à un simple procès, mais à une action concertée et audacieuse. Nous dénonçons ces manquements non par esprit de contestation, mais par une volonté profonde de voir les choses s’améliorer et notre culture retrouver sa place légitime au cœur du projet national d’émergence.
Papa Meïssa GUEYE
Acteur/Entrepreneur Culturel
Acteur indépendant de la Culture