Micro’Ouvert – Ibrahima Mbaye Sopé, comédien : «Nous avons besoin de savoir que les gens nous regardent en professionnels»

Ibrahima Mbaye Sopé est un comédien qu’on ne présente plus. Sorti de l’Ecole nationale des arts en 1994, le comédien rufisquois a mené une carrière sur les planches, mais aussi à l’écran. En marge d’un atelier du ministère de la Jeunesse, des sports et de la culture sur la loi portant statut de l’artiste, les 15 et 16 juillet 2025, il s’est confié au Quotidien.Souvent, on dit que les artistes ont des problèmes par rapport à leur statut. Que représente pour vous l’adoption de cette loi sur le statut de l’artiste ?
Bien sûr, cette loi nous réconforte à plus d’un titre. Je pense que les gens ne prennent pas en compte réellement notre statut. Les architectes, les médecins, entre autres, ont chacun un statut bien défini. Ils ont droit à une retraite bien méritée. Nous aussi, nous tendons vers ça. Mais d’abord, il faut régler ce problème du statut de l’artiste. Qu’on comprenne qu’un artiste, il a un métier, il a une déontologie. Il a droit à un repos mérité. Evidemment, l’artiste n’est jamais à la retraite. Il peut travailler jusqu’à son lit de mort. Mais nous avons besoin d’être structurés. Nous avons besoin de savoir que les gens nous regardent en professionnels de notre secteur. Et je pense qu’avec cette loi, on peut tous se réjouir et savoir que finalement, au moins, l’Etat reconnaît que le théâtre, la danse, sont des métiers qui ont une déontologie et qu’il faut respecter.
Aujourd’hui, tout le monde participe à un casting et se dit comédien, artiste. Alors comment assainir le secteur ?
C’est là qu’on va commencer par assainir. Il faut d’abord identifier les gens, savoir qui fait quoi. Parce que c’est vrai que dans ce pays, tout le monde se réclame artiste, scénariste, danseur professionnel… Alors que les gens, certes, peuvent être des professionnels de leur secteur sans pour autant faire des écoles de théâtre. Mais ils peuvent apprendre sur le tas. L’essentiel, c’est de se structurer. L’art, d’une manière générale, a beaucoup souffert de la non-structuration de son secteur. Aujourd’hui, il faut que les gens s’organisent ! Et en plus de ça, la tutelle nous dit «écoutez, organisez-vous, on règle ce problème de statut» ! On ne peut que s’en réjouir. Et je pense qu’on est en train de toucher le bout du fil. Pourvu maintenant que ce ne soit pas rangé dans les tiroirs. Nous avons tout le temps travaillé dans des colloques, des ateliers comme ça, et après c’est fini, on n’en parle plus. Moi je pense que c’est l’occasion, à partir de ce moment, que cette loi soit réglée définitivement et qu’on nous prenne enfin au sérieux.
Beaucoup de gens sont partis sans une prise en charge médicale digne de ce nom. Ce sont des situations qui ont dû marquer l’artiste que vous êtes ?
Mieux vaut ne pas regretter. Mieux vaut aller de l’avant et savoir ce qui nous attend d’abord. Les gens ne nous ont jamais pris au sérieux. Ils pensaient que nous sommes des amuseurs publics, que l’art est simplement une façon de se distraire, et puis c’est tout. Qu’ils nous prennent au sérieux, je pense qu’on a déjà fait un pas. On a toujours souffert de ces artistes qui sont malades, qui ne sont pas soignés. On a toujours souffert de manque de formation, de stratégie, de communication. La culture a tout le temps souffert de la culture en fait. Aujourd’hui, que cela se fasse, mieux vaut regarder en avant et essayer d’avancer.
Les séries sénégalaises cartonnent sur les écrans. Et ce sont toujours de nouveaux artistes et comédiens. Comment vous voyez ces jeunes-là, l’euphorie avec laquelle ils s’engagent dans ce secteur ?
D’abord, l’art fait naître de l’espoir en ce moment. Il faut le reconnaître. Auparavant, il nous arrivait, nous, en tant que comédiens, d’être ensemble avec des producteurs. On rentrait en calèche, on rentrait en «Ndiaga Ndiaye». Aujourd’hui, avec le statut que nous avons socialement, on mérite le respect. A la limite même, on l’impose. Je pense que ces jeunes, ils ont envie de rêver. On leur donne la chance de rêver. Hier, c’était plus compliqué. Mais aujourd’hui, ce n’est pas simplement une image. Mais qu’ils voient un acteur correct, socialement bien installé. Et le rêve est permis.