Et si le billet de banque vivait ses derniers jours ? La révolution monétaire de la Bceao est en marche

La Bceao a franchi une étape décisive avec le lancement du Système de paiement instantané et interopérable (Pi-Spi) dans l’espace Uemoa, en lien avec sa stratégie de monnaie numérique de banque centrale. Cette transformation marque l’entrée dans une nouvelle ère monétaire, plus numérique, plus fluide, mais aussi plus efficiente. En voici les enjeux, illustrés à travers l’exemple d’un usager sénégalais.
Une innovation technologique majeure portée par la Bceao
Le Pi-Spi, testé avec 17 institutions financières en Côte d’Ivoire, permet d’effectuer des paiements en moins de 10 secondes, 24h/24 et 7j/7, entre tous types de comptes :
– Banques commerciales
– Services de mobile money (Orange Money, Wave, Free Money…)
– Etablissements de microfinance
– Fintechs agréées
La phase de test a démarré le 5 juin 2025 en Côte d’Ivoire, mobilisant 17 établissements financiers pour expérimenter la plateforme en conditions réelles. Cette phase-pilote précède un déploiement officiel prévu pour le 30 septembre 2025 dans l’ensemble de l’Uemoa.
Ce système repose sur une infrastructure numérique interopérable, connectant l’ensemble des prestataires de services financiers de l’Union. Il constitue la première brique du e-Cfa, la monnaie numérique de la Bceao, en préparation.
C’est une rupture majeure car pour la première fois, il devient possible d’effectuer des transactions en temps réel d’un compte bancaire à un compte mobile, ou inversement, sans avoir à passer par des étapes intermédiaires ou des interfaces propriétaires.
Une révolution du quotidien pour les usagers : l’exemple de Mamadi au Sénégal
Prenons le cas concret de Mamadi, un fonctionnaire sénégalais habitant Guédiawaye, titulaire d’un compte bancaire dans une banque de Dakar et d’un compte Orange Money :
– Son salaire est viré chaque fin de mois sur son compte bancaire.
– Avant, pour faire ses achats au marché, payer ses factures ou envoyer de l’argent à sa famille, il devait :
Retirer de l’argent au distributeur ; ce qui implique un long délai, le coût du transport et le risque de vol ;
Recharger son compte Orange Money, entraînant ainsi de nouveaux délais et frais ;
Utiliser d’autres applications pour faire des paiements.
Avec le Pi-Spi, Mamadi peut :
– Transférer instantanément une partie de son salaire vers son compte Orange Money ou payer directement un commerçant utilisant Wave.
– Effectuer ses courses, payer son électricité ou envoyer de l’argent à Touba ou à Ziguinchor, sans jamais utiliser un billet de banque.
– Réduire ses frais de transport, de retrait, ses risques physiques, et gagner en simplicité.
Un modèle économiquement gagnant pour la Bceao
Au-delà du service public, la Bceao y trouve un double gain stratégique :
-En effet, le coût de fabrication, d’acheminement, de sécurisation et de renouvellement des billets et pièces est très élevé, moins les billets circulent, plus la Bceao économise sur sa gestion fiduciaire (estimée dans certaines zones à 0, 5%, 1% du Pib).
Elle y trouve de nouvelles sources de revenus :
– Chaque transaction numérique réalisée sur la plateforme Pi-Spi génère une commission, partagée entre les prestataires et la Bceao.
– Le volume de transactions électroniques est appelé à croître exponentiellement, créant un flux continu de revenus tout en gardant des tarifs modestes.
Un levier d’inclusion financière et de souveraineté monétaire
Cette transformation n’est pas seulement technique ou économique, elle est structurelle et stratégique pour les économies ouest-africaines :
– Le e-Cfa permettra à terme une inclusion financière élargie, en connectant même les zones rurales, grâce à l’essor du téléphone mobile.
– L’Etat et les collectivités pourront cibler plus finement les aides sociales, les subventions ou les paiements administratifs.
– La traçabilité accrue favorise la lutte contre le blanchiment, l’évasion fiscale, et renforce la gouvernance économique.
– Enfin, elle constitue un pas important vers une souveraineté monétaire numérique, maîtrisée localement, sans dépendance à une infrastructure étrangère ou privée.
Le e-Cfa et le système Pi-Spi préfigurent un basculement vers un écosystème monétaire digitalisé, rapide, sécurisé, interconnecté, où la circulation fiduciaire devient résiduelle.
Pour un usager comme Mamadi, cela signifie la fin du «cash roi», et la liberté de consommer, d’épargner ou de transférer sans contrainte géographique ni temporelle.
Pour la Bceao, c’est une révolution silencieuse qui modernise en profondeur le système financier ouest-africain, tout en apportant des gains en efficacité, en coût et en souveraineté.
Pr Amath NDIAYE
Faseg-Ucad