Roland Freisler a encore frappé, et le journaliste Doudou Coulibaly (l’un des plus grands défenseurs de Sonko opposant, mais qui s’est vite rendu compte de l’arnaque Pastef) se retrouve à Rebeuss, attendant d’être jugé lundi 25 août 2025 au Tribunal de grande instance de Dakar pour «offense à un chef d’Etat étranger» et «offense à une personne exerçant tout ou partie des prérogatives du chef de l’Etat du Sénégal». Il est tout de même curieux de constater l’entêtement du procureur de la République à chercher une immunité à Ousmane Sonko en poursuivant toujours pour un délit inexistant. En effet, Bah Diakhaté, Moustapha Diakhaté et Assane Diouf sont inculpés et placés sous mandat de dépôt pour le délit «d’offense à une personne exerçant tout ou partie des prérogatives du président de la République». Et curieusement, ils ont tous été relaxés de ce délit par le juge ! Parce que ce délit ne peut prospérer s’il n’y a pas de décret de délégation de prérogatives (article 50 de la Constitution).

Dès lors, comment peut-on poursuivre un citoyen pour «offense à une personne ayant les prérogatives du chef de l’Etat» lorsqu’aucun décret n’existe pas pour établir une telle délégation ? Sans décret de délégation, il n’y a pas de prérogatives transférées, et sans prérogatives transférées, il n’y a pas d’infraction possible. Et on comprend aisément pourquoi les juges du siège (qui sont des juges sérieux) ont relaxé tous les prévenus de ce délit malgré l’acharnement d’un Ministère public qui persiste à invoquer une infraction inexistante. Ce, au moment où il ferme les yeux sur les infractions visibles, comme avec Guy Marius Sagna qui insulte le président de la République en le traitant de «Président illégitime», sans qu’il ne soit convoqué.

Quant à l’infraction d’«offense à un chef d’Etat étranger», il convient de s’y arrêter un instant. Cette infraction, héritée des vieux textes judiciaires et diplomatiques, vise à protéger la considération et l’honneur des dirigeants étrangers lors de leurs relations avec la Nation. Elle sanctionne toute parole ou tout acte jugé outrageant à l’égard de personnalités investies de la représentation d’un Etat autre que le Sénégal. Les contours de cette infraction prêtent souvent à controverse, tant il est difficile de dissocier la liberté d’expression, particulièrement celle des journalistes, du respect dû aux institutions étrangères. Pourtant, son évocation dans l’affaire Coulibaly révèle la persistance d’une interprétation stricte de la protection accordée aux symboles de l’Etat, même lorsqu’il s’agit de figures étrangères. Entre diplomatie et droit interne, la question suscite débats et interrogations quant à la pertinence, aujourd’hui, de poursuivre pour de tels motifs dans une démocratie moderne. Quelqu’un qui a traité par le passé le Président turc de «criminel» parce que son pays a vendu des armes au pouvoir de Macky Sall, peut-il s’offusquer de voir celui-ci être qualifié de «bandit» ? Et par digression, celui qui a traité les magistrats de «corrompus», de «lâches», peut-il se dresser aujourd’hui en bouclier au juge de la Cpi Mame Mandiaye Niang, sous le coup de sanctions américaines ?

Un demi-million de vues sur YouTube en 4 jours
C’est dire que l’arrestation de Doudou Coulibaly participe à cette funeste opération de musèlement des libertés par un pouvoir qui cherche refuge toujours auprès de Freisler quand il est en mauvaise posture. Mais qu’il sache que le Sénégal est un pays de liberté d’expression. Le Sénégalais ne ferme sa bouche que pour aller dormir. Là où le citoyen vivant dans une dictature ne l’ouvre que chez le dentiste.

C’est pourquoi le nouvel opus du rappeur et activiste Thiat du groupe Keur Gui sonne comme un message à ce pouvoir : vous pensez museler le Peuple en emprisonnant journalistes, chroniqueurs, activistes et hommes politiques, mais il s’en trouvera toujours des voix qui se feront l’écho de l’aspiration profonde du Peuple. Des «gens normaux», comme dit Ibou Fall.

En effet, tout ce que ce pouvoir a fait en seize (16) mois, le rappeur l’a résumé en 4 minutes : promesses non tenues, reniements, mal gouvernance, atteinte aux libertés. «54% pour ça ?» Le binôme de Kilifeu dont le clip a fait un demi-million de vues sur YouTube en 4 jours, dénonce ce qu’il considère comme une arnaque de Pastef : «Annoncer démocratie, afficher dictature. Régime de fureur, semer la terreur.» Il s’attaque aux «4000 cancres», oups «cadres de Pastef» dont certains Dg «fils à maman», et d’autres «qui passent le matin sur TikTok et le soir sur Facebook» au lieu de travailler.

En vérité, Thiat n’a fait que dire tout haut ce que le Peuple vit en silence. Thiat n’invente rien, il présente des faits. Il s’inspire de l’actualité qu’il compare aux discours, des promesses et engagements passés de Pastef. Ce qu’il fait, c’est un rappel, c’est de la veille. Thiat ne se détache pas de l’esprit Keur Gui. Thiat est un artiste à la trajectoire et à l’orientation artistique très politiques. Thiat fait partie du «groupe le plus politique du hip-hop sénégalais», d’après Malal Talla alias Fou Malade qui ajoute : «Le Groupe Keur Gui, quand tu l’appelles sur d’autres sujets, tu peux douter de son talent. Mais parler de la politique, c’est son domaine. Depuis Abdou Diouf avec le maire de Kaolack, en passant par leur album «Ken Bugul», «Nos Connes doléances» sous Wade, l’album «Encyclopédie» avec le morceau «Jugu fi» ou des singles très politiques qui parlent de l’actualité», ce groupe a été très critique avec tous les pouvoirs. Macky Sall a été traité de «Say-say» par ce groupe dans un single, et beaucoup qui vocifèrent aujourd’hui avaient applaudi. Lui Thiat, pour se défendre, avait rétorqué : «Cissé Lô saaga na fi Sonko té ken wakhoul dafa reew» (Moustapha Cissé Lô a insulté Sonko et personne n’avait dit qu’il était impoli).

Thiat, le premier à insulter le Président Wade en public
Ainsi, le nouveau son de Thiat a ramené le hip-hop au cœur du débat public par des prises de position. Le hip-hop hardcore, hip-hop underground made in Galsen, est de retour. Et il suffit de voir le nombre de rappeurs thuriféraires du pouvoir qui essaient de lui répondre pour s’en convaincre. Et c’est là qu’il y a un changement de paradigme à analyser : nous sommes dans la situation où un rappeur attaque un pouvoir et des rappeurs sortent pour attaquer le rappeur qui a attaqué le pouvoir. Du jamais vu !

S’il est permis de dire que Thiat est resté dans sa trajectoire depuis la fin des années 90, il reste qu’il y a à s’interroger non pas sur le talent d’artiste de Thiat, mais sur son engagement politicien. L’activiste a participé à encourager le complot inexistant que véhiculaient Ousmane Sonko et le parti Pastef à propos de l’affaire Adji Sarr. En effet, que n’a-t-il pas dit durant la période 2021-2023 à propos d’un complot inexistant qui a causé la mort de dizaines de personnes ? «On va vers un yeungueul national», disait-il pour défendre le client de Sweet Beauté. «Macky Sall s’est mué en Yahya Jammeh, il veut nous ramener à l’époque du parti unique. Senghor avait le courage de le dire et de l’assumer. Lui, il ne peut pas le dire, mais c’est le même principe. J’écrase l’opposition, ma ligne est tracée, mais c’est sans compter avec nous. Nous sommes là, le Peuple, et il nous trouvera sur son chemin, et cela commence le 7 avril», disait-il.
Thiat a longtemps nourri l’agitation subversive dans ce pays. N’est-ce pas le premier à avoir insulté publiquement le président de la République lors d’un rassemblement le 23 juillet 2011 ? En effet, au plus fort de la contestation contre une troisième candidature de Me Abdoulaye Wade, Thiat avait dit «kilifeu bouy fenn (un patriarche qui ment)». Il ne l’avait certes pas nommément cité, mais tout le monde savait de qui il parlait. Aujourd’hui, dire à une personne âgée «dangay fenn» (tu mens) est entré dans la banalité depuis ce jour.

Le même Thiat, en 2019, avait traité l’ancien ministre Farba Senghor de «singe», au point de lui faire bouder un plateau de télévision. En effet, invité dans l’émission «Kër Jaraaf» sur 7Tv, le rappeur de Keur Gui, Thiat, avait refusé de saluer l’ancien ministre. «On se connaît, mais je ne vais pas le saluer. Je ne vais pas te saluer parce que tu n’as pas fait dans ce pays ce pourquoi tu dois mériter que je te salue», disait Thiat, cité par le journal «Les Echos». Et le rappeur d’en rajouter une couche : «Tous ces singes qui ont transhumé, on ne doit même pas leur tendre le micro. Parce qu’ils ne perpétuent pas des valeurs pour nos enfants qui les suivent.» Suffisant pour que Farba Senghor se lève et vide les lieux.

C’est dire que Thiat a cherché à se frayer une voie pour un nouveau modèle de citoyen, pompeusement qualifié de Nouveau type de Sénégalais, orné de son irrévérence et couronné d’un épi de légèreté. C’est donc lui, l’un des ancêtres de la malveillance générique, qui structure nos dialogues citoyens et militants d’aujourd’hui. En effet, le mode de contestation et de revendication militante introduit par le mouvement Y’en a marre, il faut l’admettre, a fertilisé le terreau d’où a germé le style désinvolte, irrévérencieux et conflictogène de l’homopastefensis. La jeunesse pastéfienne n’est en vérité que la victime d’un modèle dont Y’en a marre est le géniteur, qu’elle a cru bon de s’approprier. Par son art si pauvre en vertus, dénué de toute conscience historique, retraçant l’itinéraire sinueux du combat dont il revendique l’héritage, il a aseptisé de la psyché de cette jeunesse, le relativisme inhérent au complexe problème de la réalité. Et de ce point de vue, Thiat doit faire amende honorable à la société. En effet, changer de régime ne veut pas dire changer de combat. Quand les promesses deviennent des contradictions, il faut des voix pour réveiller les consciences. Thiat est-il le mieux placé pour le faire ?