Nouvelle attaque jihadiste au Mali : ÇA KAYES PRÈS DU SÉNÉGAL

L’attaque du Jnim à Kayes, ce jeudi, a provoqué l’enlèvement de 6 routiers sénégalais. Si le gouvernement n’a pas encore réagi, le groupe terroriste est en train de mettre en place sa stratégie d’asphyxie de Bamako, qui a aussi des répercussions économiques sur le Sénégal dont le Port de Dakar dépend fortement de ce corridor, qui alimente la capitale malienne.
Le danger se trouve toujours de l’autre côté de la frontière. Lointaine puis diffuse, la menace djihadiste est désormais à 95 km de Kidira. Il y a plus de deux mois, l’attaque terroriste de Diboli, situé à quelques km du tracé de la frontière entre le Sénégal et le Mali, avait montré la capacité d’expansion du Jama’at nusrat al-islam wal-muslimîn (Jnim), l’un des groupes terroristes les plus meurtriers du Sahel.
Ce jeudi, il a frappé la ville de Kayes en même temps que Nioro du Sahel, deux portes d’entrée sur le territoire malien via le Sénégal et la Mauritanie. Et les terroristes ont enlevé à Kayes, où ils étaient encore présents dans la journée d’hier, 6 transporteurs sénégalais, comme le confirme le communiqué de l’Union des routiers du Sénégal. «L’Union des routiers du Sénégal (Urs) informe l’opinion nationale et internationale, avec une profonde inquiétude, que six de nos compatriotes sénégalais, tous acteurs du secteur routier, ont été enlevés au Mali par des groupes djihadistes. Ces travailleurs, engagés dans leurs activités de transport transfrontalier, contribuaient quotidiennement aux échanges entre nos pays frères. Leur enlèvement constitue non seulement une atteinte grave à leur sécurité et à celle de leurs familles, mais aussi une menace pour la libre circulation et le commerce dans la sous-région.»
Arme économique
Par ailleurs, l’Urs, qui exprime toute sa solidarité et sa compassion aux familles des 6 routiers kidnappés, ajoute : «Nous appelons les autorités sénégalaises, maliennes, ainsi que les organisations sous-régionales et internationales, à tout mettre en œuvre pour obtenir leur libération dans les plus brefs délais. Nous rappelons que les acteurs routiers sont en première ligne de l’intégration africaine et qu’ils ne doivent en aucun cas être pris pour cibles dans ces conflits. L’Union des routiers du Sénégal continuera à suivre de près l’évolution de la situation et tiendra l’opinion informée.»
Pour plus de détails, il faut noter qu’il s’agit de deux chauffeurs et de leurs apprentis, qui ont été enlevés et amenés vers une destination inconnue. Joint par téléphone hier dans la soirée, Daouda Lô, chargé de communication de l’Union des routiers du Sénégal, espère un dénouement rapide et heureux. «C’est une situation un peu difficile. Nous ne savons pas où ils ont été envoyés, mais leurs camions sont dans la ville de Kayes. Pour la stratégie, nous attendons parce que c’est une question qui se règle entre Etats. Mais, il faut organiser le système de transport parce que tous les gens qui achètent des gros porteurs sont attirés par le fret malien.» Sans doute, il espère des mesures de sécurité plus renforcées, comme au Burkina Faso où les convois de camions de fret qui proviennent des autres pays sont «sécurisés par l’Armée».
Pour l’instant, les terroristes contrôleraient une partie de ce corridor à Kayes. «Ils étaient encore dans la ville», explique M. Lô. En attendant, le gouvernement n’a pas encore réagi. Wait and see ! Mais, il s’agit d’une forme de pression, même si les terroristes savent, comme on le dit de façon triviale, que les Etats ne négocient pas avec eux.
Isolement de Bamako
Pour le Jnim, en plus de montrer sa capacité d’expansion, il s’agit de mettre en place une stratégie d’asphyxie de Bamako. En démontrant sa capacité à couper les deux corridors qui alimentent la capitale malienne, le groupe terroriste veut semer le chaos pour précipiter le Ko dans les rangs de la junte. Dans un post de propagande sur X, le Jnim explique clairement sa stratégie : «Instauration d’un blocus sur Kayes et Nioro du Sahel, interdiction d’acheminer du carburant depuis la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Sénégal et la Mauritanie vers le Mali…»
Pour les experts des groupes terroristes, ces attaques font partie d’une stratégie échafaudée depuis longtemps par le Jnim, dans sa tentative d’isoler Bamako en coupant ses voies d’approvisionnement. Sans façade maritime, la ville dépend des ports sénégalais, mauritanien et ivoirien.
Dans son rapport publié au mois de mai 2025, Timbuktu Institute, fondé par Dr Bakary Sambe, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, alertait sur la menace du Jnim dans la zone des trois frontières du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal. «La région des trois frontières, située à la jonction du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal, est devenue un théâtre d’opérations stratégiques pour le Jama’at nusrat al-islam wal-muslimîn (Jnim), un groupe terroriste cherchant à étendre son influence au-delà des frontières maliennes. Cette zone, marquée par la proximité de villes clés et stratégiques pour l’approvisionnement de la capitale malienne, est devenue un espace caractérisé par des stratégies d’infiltration et de positionnement du Jnim augurant, pour certains, d’une menace croissante pour les prochaines années. Le Jnim, déjà actif dans le Sud-Ouest du Mali, notamment dans la région de Kayes, intensifie ses activités violentes et s’infiltre dans les réseaux économiques et criminels transfrontaliers, tout en tentant d’exploiter les vulnérabilités socio-économiques et idéologiques des zones voisines de la Mauritanie et de l’Est du Sénégal», explique le rapport. Ensuite, ajoute Timbuktu Institute : «Le Jnim a considérablement accru son activité dans la région de Kayes au cours des trois dernières années. En 2024, il a multiplié à plus de sept fois ses actions violentes dans la région par rapport à 2021.
Dans cette région de Kayes, le Jnim a attaqué des installations des Forces de sécurité, des postes de Douane et des convois sur les routes principales menant à Bamako, ainsi qu’en Mauritanie et au Sénégal. Les attaques consistent souvent en des raids menés par des hommes armés à bord de véhicules ou en des embuscades en bord de route, notamment à l’aide d’Engins explosifs improvisés (Ied).» Le think tank enchaîne : «Ces attaques ont principalement visé les Forces de sécurité, d’autres acteurs affiliés au gouvernement et des entreprises ou des commerces, afin de limiter leur capacité d’action et leur développement. On peut citer, à titre d’exemple, une incursion du sous-groupe Katiba Macina du Jnim, le 8 février, près de Melgué, à environ 35 kilomètres de Bakel, à la frontière sénégalaise. Cette attaque, qui a tué trois soldats maliens et en a blessé autant, fut la troisième du genre dans cette localité située sur la route entre Kayes et la frontière sénégalaise. Cette stratégie vise, à moyen ou long terme, à isoler Bamako de sa principale voie d’approvisionnement, mais elle serait également économiquement problématique pour le Sénégal dont le Port de Dakar dépend fortement de cette voie le reliant à la capitale et aux autres localités maliennes.»
Aujourd’hui, la menace, qui est toujours de l’autre côté de la frontière, est en même temps à portée de tir du territoire national, sanctuarisé évidemment par une présence militaire très forte. A l’image du Camp de Goudiry créé pour contenir la criminalité transfrontalière.
bsakho@lequotidien.sn